C8.2 Fuite
Héso et Erel avaient fui la capitale astéenne sans trop d’encombre. Le cœur lourd, la guerrière avait le meurtre d’Enoch sur les épaules et avait du mal à accepter qu’elle n’ait eu d’autre choix que d’en arriver à cela. Tuer ne lui avait pas posé de problème, tant que cela était pour la paix ou la libération de son pays, mais là, elle avait assassiné un de ses supérieurs, un compagnon de guerre, un homme qui l’avait protégée sur le champ de bataille.
Elle pouvait essayer de se consoler en se disant qu’elle n’avait pas eu d’autre choix, qu’elle avait été contrainte sous la menace mais n’y avait-il réellement aucune autre solution?
Le pilote du cargo était plus terre-à-terre et surtout bien content d’être en vie. Il essaya de faire comprendre à sa collègue d’infortune que non, elle n’avait pas eu le choix et qu'il en allait de sa survie, que le mal était fait et que de toute façon elle devait se soucier de sa vie et profiter de sa liberté. Des mots qui flottèrent mais n’atteignirent jamais son interlocutrice. Erel était imperméable à ce genre d’argument. Elle préférait prendre le temps de s’apitoyer sur ses actes. Certes, cela n’était pas héroïque et n’allait pas aider à la faire avancer, mais dans son processus d’acceptation, c’était un passage qui lui faisait du "bien". Elle eut ainsi tout le trajet pour se conforter dans son malheur. En arrivant à Aq’Terra, elle se sentait déjà un peu mieux, apaisée, la tête haute. Elle savait qu’elle devrait un jour payer pour ce crime, justifier ses actes. En attendant, elle devrait trouver la force d’avancer.
Erel et Héso, après leur évasion, arrivèrent à l’aérogare des îles flottantes. Ils utilisèrent le numéro d’identification volé par Lysandre pour obtenir une autorisation d’atterrissage.
Entre-temps, la rébellion avait été mise au courant que ce numéro correspondait au cargo transportant les fugitifs grâce au réseau d’Angélique.
Les fuyards furent accueillis par deux rebelles, la femme à la tenue sensuelle et l’homme qu’elle avait déjà rencontré derrière le Red Roots lors de sa première venue avec Lysandre et Gaven. Par courtoisie, ils se présentèrent de nouveau, ce qui permit à Héso d’en faire de même.
Les deux rebelles leur donnèrent une cape à capuche. Ils allaient devoir s’aventurer dans les rues de la ville à couvert. Sans plus de politesse, les rebelles pressèrent les fugitifs, ils étaient attendus. Ils quittèrent l’aérogare bondée, même à l’heure matinale qu’il était. La foule était une parfaite couverture, rien ne vaut l’agitation et l’effervescence d’une gare remplie de personnes pressées pour passer incognito.
Les gens ne se regardent pas, s'ils se bousculent, ils ne prennent pas le temps de se retourner. Pour s’excuser, ils se contentent de lever la main en signe de politesse. Même avec une capuche sur la tête, Erel et Héso n’étaient pas les individus les plus suspects.
Les passants dits "importants" portaient leur plus beau costume avec des lunettes de soleil aux verres teintés, voilant leur regard. D’autres portaient de grands bagages et faisaient suivre en file indienne leurs enfants en braillant une dizaine d’ordres en même temps. Enfin, les voyageurs "de travail" étaient penchés sur leur dossier, un thermos de café collé sur les lèvres, alors qu'ils relisaient pour la centième fois leurs notes gribouillées la veille.
C’est parmi cette ribambelle de personnes que les rebelles se frayèrent un chemin. Les rues qui entouraient l’aérogare étaient également très animées, les commerces ouvraient leur rideau métallique, les cafés servaient encore les petits-déjeuners et les derniers retardataires accouraient vers leur lieu de travail. Cependant, plus les rebelles s’éloignaient de la gare, plus le calme matinal s’abattait sur la ville. Les passages étaient progressivement déserts, la puissante fourmilière perdait de son dynamisme à mesure que le groupe s’éloignait du centre névralgique de la colonie. Bientôt, ils furent seuls à arpenter la rue montante vers l’académie de magie d’Aq’Terra, leur destination.
Le bâtiment de pierre grise s’élevait très haut, la tour centrale avait la forme décaédrique d’un cristal. Les nombreuses meurtrières qui la recouvraient scintillaient alors que les rayons du soleil levant les baignaient de lumière. L’académie ressemblait à un immense château, seule l’aile est apportait un style moderne à la bâtisse avec ses murs blancs, ses fenêtres voûtées et son toit végétal duquel pendaient des branches de glycine en fleur très odorantes.
Un des rebelles ouvrit la grande porte à double volet de l’académie, dévoilant un hall majestueux. Erel et Héso n’eurent pas le temps d’en apprécier l’architecture digne d’un palais royal et furent guidés dans l’aile ouest d’un pas qui se voulait très pressant. Toujours la capuche sur la tête, le visage bas pour cacher leurs traits, ils passèrent entre plusieurs groupes d’étudiants jusqu’à une salle de classe vide.
À l’intérieur, les tables et chaises vides avaient un air austère et une forte odeur de poussière prenait aux narines. Les volets étaient fermés, l’éclat du jour passait péniblement entre les planches de bois vernies apportant une lumière tamisée ne permettant que de distinguer une silhouette au fond de la pièce.
Il s’agissait du comte Thasec lui-même, Erel n’eut aucun mal à le reconnaître lorsqu’il prit la parole.
— Je vous prie de m’excuser de cet accueil quelque peu austère. Au vu de votre situation, des précautions étaient de mise, commença le comte. Je suis ravi de recevoir de nouvelles recrues pour la rébellion. Cependant, la paix que connaît mon pays est extrêmement précaire, ce qui explique cette virée à couvert à travers les rues de ma cité.
— Nous comprenons la situation, monsieur le Comte. Nous vous sommes déjà reconnaissants de votre aide, le remercia poliment Héso.
— Assez de politesse, le Réseau m’a dit que vous aviez des informations importantes à nous transmettre, reprit le Comte.
— Les cristaux de magus que vous faites parvenir à l’Empire, ils servent à créer les cristaux artificiels. Mais le magus ne suffit pas, il faut aussi des vies humaines pour cela. Vaik et Cidolphus sont les deux maîtres de ce projet. Mais le scientifique ne me paraît pas sain d’esprit, il m’a parlé de Vexen et de divinité. Je n’ai pas vraiment compris, confessa la Belligérante.
— Ce dont nous sommes certains, c’est que ces cristaux représentent une menace réelle. Le Réseau se chargera des investigations concernant les Vexens et les Dieux. Quant à vous, vous allez devoir vous rendre utile.
Les deux fugitifs se regardèrent, Héso se proposa comme pilote de vaisseau, il faisait déjà partie du Réseau.
Ce système s’étendait comme une immense toile d’araignée à travers tout Idalyce, personne ne le dirigeait réellement mais il permettait d’obtenir des informations sur à peu près n’importe quel sujet. Il était composé d’individus au statut varié allant du serviteur au ministre. Tout le monde pouvait faire appel à ce réseau, cependant, depuis le début de la guerre, il était surtout utilisé par les Rebelles. Le Réseau était connu pour sa grande discrétion et son langage codé que seuls ses membres étaient capables de déchiffrer, de cette manière, toutes les informations qui passaient dans la toile ne pouvaient être comprises et utilisées que par des individus choisis par l’expéditeur de l’information. Cela permettait de garantir la confidentialité des informations et l’anonymat de son commanditaire. Un jeu d’espionnage certes dangereux mais très lucratif pour les plus malins d’entre eux, qui plus est en temps de guerre.
Pour Erel, l’évidence voulait qu’elle rejoigne les rangs de l’armée de la Rébellion. Cependant, son affiliation avec le juge master et sa relation à peine cachée avec ce dernier posaient un problème. Même si son visage n’était pas parfaitement connu des rebelles, ses agissements l’étaient et ils criaient déjà à la trahison. Toutes sortes de rumeurs avaient entaché la réputation de l’ex-brave guerrière du Daflad, aujourd’hui devenue l'amante d’un juge master. L’intégrer dans l’armée serait donc très complexe. Heureusement pour la Belligérante, le capitaine Bahn, lui aussi ancien paria, avait déjà réfléchi à sa réhabilitation et avait un plan.
La guerrière sentit son cœur se serrer alors que le Comte lui expliquait pourquoi elle était aujourd’hui tant détestée par l’armée pour laquelle elle aurait donné sa vie il y a quelques mois de cela. Elle savait que sa relation avec Gaven allait lui coûter et elle s’attendait à un déferlement de haine, mais elle avait espéré ramener la paix avant de devoir leur faire face de nouveau.
Le comte Thasec fit signe à Héso et à leurs deux accompagnateurs de quitter la pièce. Il souhaitait parler en tête-à-tête avec la fugitive.
— Très chère, dans votre cas la situation est différente. Certains rebelles vous ont vue avec le juge master et le fils cadet de l’Empereur. Je ne vous cache pas que vous serez très mal accueillie. Je vais vous guider vers le leader de l’insurrection contre Astéa. Cette personne décidera de votre sort, reprit le monarque.
— Mais je n’ai trahi personne ! J’étais prisonnière, et puis, Gaven... commença la Dafladienne d’un ton éhonté.
— Mais vous l’avez choisi, lorsque vous auriez pu fuir, vous êtes restée. De nombreuses rumeurs parlent de votre relation avec ce juge. Cela ne joue pas en votre faveur, la coupa précipitamment Thasec.
— Mais…
— Gardez vos arguments pour ma nièce, vous en aurez besoin, acheva le Comte.
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