C8.4 Désillusion
Blasius tenait dans sa main une pierre azurée parfaite. Grace sentit le magus suinter du cristal, une puissance qu’elle n’avait jamais rencontrée auparavant. C’était donc ça, un cristal artificiel. Gaven n’était pas éveillé à la magie et donc il ne ressentait pas cette force, mais il comprit à la posture de son subalterne qu’il n’était pas là pour capturer l’ancien juge master mais bien pour l’annihiler.
Odexat n’était pas surpris. Il connaissait bien les agissements de l’Empire et il savait qu'il en avait trop vu. Il observa la pierre maudite, celle qui lui fit commettre son plus grand péché. Le pouvoir était l’appât de tous les êtres humains, mais une fois dans leurs mains, ils étaient incapables de le contenir et de s’en servir intelligemment. C’est fort de cette idée, et prêt à subir son jugement, que l’ancien juge master saisit le manche des dagues attachées autour de sa ceinture. Il savait qu’un jour il devrait faire face à ses actes, payer pour toutes les vies qu’il avait prises et tous les humains qu’il avait blessés. Il savait. La mort venait enfin, mais il ne lui ferait pas face sans se battre.
Grace se dressa entre les deux combattants, elle demanda à son collègue de reconsidérer ses actes, d’épargner la vie de l’ancien juge et de laisser la justice punir les actes de cet homme.
Blasius pesta sous son heaume, insulta la femme juge et lui ordonna de s’écarter. Par principe, la femme se rebella et tenta de nouveau de faire entendre raison à son acolyte.
S’il y a une chose à retenir du juge Blasius, c’est qu’il n’est pas homme à être raisonné. La cruauté et la rage sont les seuls mots qu’il semblait bien porter. Les supplications de la magistrate n’eurent aucun effet sur lui, il était déterminé à en finir, et au détour de la conversation, peut-être par maladresse, il dévoila ses véritables intentions.
— Dégage de là! De toute manière, j’ai eu l’ordre du seigneur Vaik de détruire ce traître! fulmina l’homme de loi.
— Non! L’ordre est de le ramener en vie pour qu'il soit jugé, renchérit Grace.
— Tu es vraiment stupide, ma parole! Vous n’êtes là que pour que je me débarrasse de vous aussi. Tu crois que Vaik n’a pas vu tes petites manigances, qu’il n’est pas au courant pour l’escapade du juge master? Vous êtes débiles! Et ce qui vous arrive, vous l’avez bien mérité, cracha d’une voix grasse et dérangeante Blasius.
— C’est impossible, bégaya la femme de loi d’une voix tremblante.
— Et oui, on sait tout! Surprise! En même temps, quelle discrétion! Et oui, Vaik va recréer le cristal lumière en rassemblant les trois cristaux du roi-dieu. Et oui, ce sont les Vexens qui vont l’aider à le faire afin qu’il devienne le prochain roi-dieu. Bravo, vous avez tout découvert. Oh mais… vous allez mourir, s’amusa d’un air sadique l’homme dont la posture et les ricannements grinçaient aux oreilles de ses compagnons.
Gaven était tourné vers Blasius, il avait des doutes quant aux intentions du seigneur Vaik Draxak, il le soupçonnait d’être un homme ambitieux et qu’il prolongeait inutilement une guerre qu’il avait gagnée depuis longtemps. Mais là, il n’y avait plus de place pour les doutes, son collègue lui exposait le plan de son supérieur, du futur empereur d’Astéa. Il avait bien deviné d’où provenait la réelle menace et donc tuer l’aîné Draxak lui aurait permis de mettre fin à la guerre, de retrouver Erel et de fonder le foyer auquel il aspirait. Mais hélas, cette découverte allait lui coûter la vie.
Blasius grinça des dents et laissa échapper un rire sadique étouffé par son heaume, le cristal émit une lueur entre les doigts de l’homme de loi, un éclair éblouissant s’en échappa et transperça de part en part l’abdomen de sa camarade sans lui laisser la chance de riposter car elle était trop proche de lui. Odexat profita de la confusion pour s’élancer sur son adversaire, il essaya de le déstabiliser pour lui faire lâcher le cristal artificiel. Un coup de dague après l’autre, les deux hommes s’étaient lancés dans une danse macabre durant laquelle chacun évitait les coups de l’autre. Une chorégraphie millimétrée, un seul faux mouvement pourrait leur coûter la vie. Gaven s’était lancé vers Grace, son armure noire avait désormais une teinte vermillon, le sang qui s’échappait de la fente béante de sa blessure ruisselait sur le béton. Le juge master retira le heaume de son amie et lui tenait la tête alors que la femme de loi lui offrait ses dernières paroles.
— Ça n’aurait pas dû se finir comme ça... souffla-t-elle difficilement.
— Je te demande pardon, Grace.
— Tu sais, je t’ai toujours aimé. Mais... tu ne m’as jamais vue, n’est-ce pas ? Tu ne m’as jamais considérée de cette manière. Erel a de la chance... j’aurais voulu être aimée comme tu l’aimes. S’il te plaît, Gaven, reste en vie et protège Lysandre.
Gaven tenait la tête et la main de sa camarade et collègue, il ne pouvait lui retourner ses sentiments, mais il la considérait comme son amie. Il savait qu’il avait toujours pu compter sur elle et qu’elle était une alliée précieuse au château d’Astéa qui ressemblait davantage à un nid de vipères.
— Promets-le moi ! S’impatienta Grace.
— Je te le promets ! S’exclama le magistrat.
Le visage de Grace s’illumina d’un sourire. Elle leva la main pour atteindre le heaume du juge master, mais ses forces l’abandonnaient. Sa main retomba lourdement sur le sol alors que ses yeux restaient figés sur le casque de métal noir de son amie. La seule femme juge de l’Empire Astéen venait de s’éteindre alors qu’elle était dans les bras de celui qu’elle aimait en secret depuis des années.
Pendant ce temps, les deux autres hommes se battaient, luttaient pour leur propre vie. Blasius n’eut aucun mal à se défendre contre l’ancien juge master. Malgré son âge, il était habile et rapide. Les épaisses plaques de métal de son armure de juge lui servaient de bouclier et il esquivait avec grâce son ex-camarade. Odexat ne cherchait cependant pas à tuer le juge. Il savait que la réelle menace venait du cristal, et il en avait donc fait sa priorité. Il ne fallut pas longtemps à son adversaire pour le comprendre.
— Juge master, ressaisissez-vous ! Si vous voulez voir un autre lendemain, il est temps pour vous de vous battre ! hurla Odexat à l’attention de Gaven.
Gaven traîna son corps tendu par les stigmates de l’attaque foudroyante précédente vers le meurtrier de son amie. Blasius avait donc deux adversaires, cela le mettait en mauvaise posture et il en avait conscience. C’est le moment qu’il avait patiemment attendu pour utiliser son cristal. Il allait détruire les deux juges master en même temps, en une seule attaque. Il tendit son bras et dirigea la pierre azurée vers les deux hommes. Quelques mots en langue antique et une puissante lumière jaillit du décaèdre. Odexat comprit, se plaça instinctivement et rapidement devant le juge master actuel. Le sourire aux lèvres, il allait être libéré de sa culpabilité mais avant cela, il transmis un dernier mot à son successeur.
— Détruis-les, s’exclama une dernière fois l’ancien juge master.
Le visage à moitié tourné vers Gaven, il lui souriait. C’est la dernière image qu’aperçut le juge master. La clarté s’intensifia, enveloppa tout l’espace autour des deux hommes et les projeta brutalement en arrière, le corps d’Odexat encaissa la décharge lumineuse quelques secondes mais finit par se disloquer, des bouts de chair et d’os éclatèrent face à l’homme de loi qui plaça ses bras face à lui pour se protéger. La lumière heurta l’armure noire, elle commença à brûler, à fondre sous la puissance de la magie. La force du flot ininterrompu de magus écrasa les membres du juge, ses os craquèrent sous la pression et son heaume explosa, le blessant au visage. Enfin, le flux de magie s’arrêta, Gaven s’effondra au sol, le regard tourné vers le ciel obscur, les premiers rayons du soleil perçaient les ténèbres et fendaient d’une couleur orangée les cieux. Il percevait encore quelques étoiles et entendit le rire sadique de son collègue.
*
— Alors les cristaux sont faits à base... d’humain? S’étonna Ainhoa d’un air dégoûté.
Erel avait exposé ses découvertes au noyau de rebelles. La souveraine du Daflad ne s’attendait pas à autant de bassesse de la part de son ennemi, mais s'inquiétait surtout du pouvoir de ces abominations.
— Que font ces cristaux exactement? Demanda la princesse.
— Je n’ai pas vu quelqu’un les utiliser. Le scientifique m’a confié qu’il était difficile d’en obtenir d'utilisables, j’imagine donc qu’ils en possèdent peu et ne les utilisent qu’en cas d’extrême nécessité, rapporta Erel.
— Ils détruisent des villes entières, ils balayent toute une population, rayent de la carte des cités, rajouta Red-an d’un air nostalgique... presque coupable.
— Tu as vu quelqu’un s’en servir? S’étonna Ainhoa.
— Non, j’en ai entendu parler... Amdapor... c’est comme ça qu’ils l’ont détruite, soupira le contrebandier.
— Odexat, l’ancien juge master. Il a utilisé un cristal artificiel pour détruire la cité d’Amdapor pendant l’invasion du Daflad, expliqua plus clairement Duskara.
— Comment le savez-vous? S’étonna Bahn.
— Odexat est contrebandier maintenant, il s’est confié... souffla Red-an.
Un long silence s’installa entre les protagonistes, une sorte de malaise, tous les regards étaient de nouveau bas et lointains. Erel n’ajouta rien, elle avait donné toutes les informations qui étaient en sa possession, elle laissait donc à la princesse le plaisir de décider de son sort.
La dirigeante rebelle n’appréciait pas la guerrière et ne lui faisait pas confiance, mais vu le nombre de rebelles à disposition, elle ne pouvait pas se permettre de faire la fine bouche. Elle allait garder la collaboratrice du juge master sous bonne garde, mais elle se devait d’accepter son aide. Ainhoa mit fin au silence glacial de la pièce en prononçant son verdict.
— C’est bon, tu peux te joindre à nous, mais tu seras sous la supervision de Bahn, tu vas rester proche de nous et tu vas venir avec nous pour la suite du plan, ordonna la princesse froidement.
— À vos ordres, votre majesté, accepta Erel sans protester.
— Bienvenue dans la rébellion, sous-lieutenant Erel Jerioth, s’amusa Bahn joyeusement.
Les deux anciens soldats se sourirent. Red-an et Duskara lui souhaitèrent également la bienvenue. La rébellion allait donc poursuivre ses plans de reconquête de la capitale du Daflad, l’objectif principal était de reprendre Zhelès. Cependant, la princesse ne pouvait pas reprendre son trône sans signe distinctif de son appartenance royale.
Elle devait aller à la rencontre du Pontife du sanctuaire d’Yr Menstein pour qu’il la reconnaisse comme étant la légitime reine du Daflad devant les dieux. L’homme saint était également un grand historien et connaisseur des légendes d’Idalyce ; il pourrait donc les renseigner sur les cristaux du roi-dieu et sur les vexens. Ces informations allaient les aider à mettre sur pied un plan permettant de lutter contre ces cristaux artificiels qui pourraient détruire la rébellion en quelques secondes.
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