C9.1 Yr Menstein
Le petit groupe de rebelles mené par la princesse Ainhoa était sur le point d’embarquer dans un vaisseau. Le Comte Thasec en avait fait don à la princesse lorsqu’elle lui avait annoncé qu’elle voulait dresser une armée contre l’Empire. Ce petit appareil ne pouvait pas transporter une armée entière comme les puissants chars aériens d’Astéa, mais il était furtif et rapide, ce qui permettrait au petit groupe de se déplacer rapidement et sous le nez des mastodontes impériaux.
Red-An et Duskara avaient pris les commandes de l’appareil. En tant que contrebandiers, ils savaient parfaitement piloter ce genre de vaisseau. Red-an avait raconté à ses nouveaux camarades qu’avant d’être emprisonné, lui aussi avait son propre vaisseau, mais que l’Empire le lui avait confisqué. Le plus intriguant dans cette histoire, c’était de savoir pourquoi il avait été enfermé, mais le pirate restait évasif sur la question. Duskara, plus fidèle amie du voleur, n’apportait pas plus de réponse au reste du groupe.
Bahn et Ainhoa étaient derrière les sièges du pilote et du copilote. Le cockpit leur offrait une vue panoramique sur l'extérieur et bientôt sur l'étendue nuageuse des cieux. Deux sièges encore se trouvaient derrière eux. Erel s’installa derrière Bahn en silence, croisa les jambes et appuya sa tête sur sa main.
La destination de l’escouade rebelle était le sanctuaire d’Yr Menstein, une zone neutre de par son affiliation avec les religions de tout Idalyce. Dans ce monde, il n’y a pas de Dieu unique, plutôt une multitude d’entités en lesquelles chaque individu est libre de croire ou non. Ainsi, certains vénèrent une divinité, alors que d’autres prient auprès de plusieurs dieux. Le sanctuaire avait la particularité d’avoir toutes les effigies de tous les dieux existants sur Idalyce. Ainsi, peu importe ses croyances, ce lieu était une terre de prière pour tous. La cohabitation n’a pas toujours été aussi harmonieuse, bien sûr, mais la guerre qui déchirait le continent avait soudé les individus. Survivre était plus important que de se disputer pour savoir qui priait qui.
Le pontife actuel était Hecbert VII, il avait été élu il y a 15 ans par l’assemblée des cardinaux. Tous les représentants des dieux se verrouillaient dans le sanctuaire d’Yr Menstein jusqu’à ce qu’une personne de cette assemblée soit élue à l’unanimité. Une fois leur verdict rendu, une flamme bleue s’élevait en haut de la plus haute tour du bâtiment et les portes s’ouvraient alors, dévoilant le visage du nouveau pontife. Hecbert était un partisan du Dieu de l’Harmonie, tout comme son prédécesseur, une entité divine qui avait autrefois participé à ramener l’équilibre entre les différents continents d’Idalyce.
En cette période, l’harmonie était avidement recherchée et tous les habitants de la planète espéraient vivre assez longtemps pour voir une nouvelle ère de paix se dessiner dans leur monde.
Hecbert était un pontife juste et inflexible. Il ne serait pas aisé pour la princesse de le convaincre de lui rendre sa place. En effet, ce genre de consécration par le sanctuaire était soumis à condition. Nos héros ne les connaissaient pas bien, ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils allaient devoir faire pour permettre à la princesse d’être reconnue par la plus haute autorité religieuse du monde.
Cependant, aucune autre option ne semblait s’offrir à eux. Avant leur départ, ils apprirent par un membre du Réseau que l’armée astéenne se rassemblait, que les puissants vaisseaux de guerre de l’Empire se réunissaient dans la ville mère. Erel ne put s’empêcher d’avoir une pensée pour Gaven qui devait à ce moment même se préparer pour une future bataille. Un combat qui les ferait peut-être s’affronter.
La loyauté était une chose bien fugace en ces temps perturbés, chaque individu suivait ses propres aspirations, les convictions s’étiolaient alors que l’instinct et la survie prenaient possession de la plus puissante des volontés, celle de vivre. Ainhoa ne dérogeait pas à cette règle, elle enrobait ses intentions autour de SA responsabilité, SON devoir alors que ce qu’elle recherchait réellement s’appelait Vengeance. Une vendetta en l’honneur de l’âme de son tendre père, trop naïf pour anticiper les réels desseins de ses adversaires, un doux mari désespéré d’accomplir son devoir et protéger sa patrie. Deux personnes qui ont façonné la femme qu’était la princesse rebelle, qui ont permis à la rébellion de voir le jour au travers des actions de la future reine du Daflad. Il ne pouvait pas en être autrement pour la jeune femme, ses yeux d’un bleu profond s’enflammaient alors que son regard se noyait dans la mer de nuages. Un feu embrasant la surface tranquille d’un lac, sa détermination était visible, son corps entier transpirait la dignité due à son rang.
À l'opposé de la posture de la princesse, Red-an plaisantait et avait un air complètement décontracté. Un peu comme s’il était un simple observateur des enjeux qui se jouaient devant lui. Ce qui ne manqua pas d’agacer Ainhoa, leurs échanges étaient comme d’interminables joutes verbales durant lesquelles aucun participant ne se voyait accorder une quelconque victoire. Bahn et Duskara avaient pour rôle de calmer les personnes qu’ils s’étaient chargés de protéger, Red-an pour la Madows et Ainhoa pour le capitaine rebelle. Dans ce melting-pot de personnalités, Erel se sentait à part, à l’écart. Son esprit était loin des préoccupations de la rébellion, seul Gaven la hantait. Il était si loin et pourtant tellement présent. Elle se demandait si l’Empereur s’en était pris à lui, l’avait puni pour sa fuite. Mais la bataille qu’annonçait le rassemblement des troupes à la capitale lui faisait espérer qu’il ne tuerait pas son précieux général.
Le vaisseau de la rébellion vola au-dessus d’un désert puis franchit une montagne balayée par des vents glacials et recouverte d’un manteau blanc immaculé qui camouflait les dents acérées des pics d’Yr Menstein.
C’est entre deux cols que se trouvait le sanctuaire. Les vaisseaux n’avaient pas le droit de s’y poser directement, ils allaient donc devoir terminer à pied, sur le sentier de la repentance, celui qui offrait à tout pèlerin le temps de se laver de ses péchés avant de fouler la terre du Sanctuaire.
La tempête qui faisait rage ne facilitait pas les affaires des rebelles mais Red-an et Duskara étaient de vrais professionnels, ils atterrirent sans dommage à quelques mètres du sentier sur une zone peu pentue de la montagne. En sortant du véhicule aérien, le froid mordit les joues de la bande, leurs yeux mirent du temps à s’habituer au vent et à la faible température. Heureusement, ils avaient prévu des tenues adaptées à ce froid glacial, une combinaison offerte par les autres membres de la rébellion pour faciliter les conditions de leur mission, un tissu spécial protégeant du froid et très léger permettant au groupe de pouvoir se déplacer facilement dans l’étendue immaculée sans finir congelé.
Ainhoa ouvrit la marche et remonta le sentier de la repentance suivi de près par son protecteur Bahn Caelistis. De dos, le capitaine rebelle ressemblait trait pour trait à Gaven, Erel forçait son regard à ne pas se poser sur les épaules larges de la puissante carrure qu’elle suivait de près et qui la coupait un peu du vent. Duskara avançait sans difficulté, son regard au loin, elle semblait parfaitement alerte et capable de voir à l’horizon malgré la tempête de neige, Red-an souffrait davantage de la météo et avait solidement entouré ses bras autour de lui en bougonnant. Le chemin sinueux leur fit longer des falaises abruptes, marcher sur de la glace glissante tout en testant leur volonté et leur pugnacité. Si le contrebandier gémit plusieurs fois en voulant abandonner, la force des autres membres du groupe lui permit de poursuivre son ascension. Erel ne souhaitait plus être un poids pour quiconque et elle s’abstint de se plaindre, la Belligérante voulait que la princesse voie sa force d’esprit, il était hors de question pour la guerrière qu’elle était de paraître faible. Alors, malgré qu’elle pensât n’être digne d’aucune repentance, elle avança sur le même chemin que celui de la rébellion.
C’est poussé par cette force partagée que le groupe atteignit le sanctuaire. Un temple de pierre noire sculpté dans la roche de la montagne, la porte faisait plusieurs mètres de haut et était en étain lui-même martelé et orné d’arabesques. Avec la tempête, leur vue ne leur permettait pas de voir le sommet de l’immense bâtisse, des fenêtres arrondies recouvertes d’un vitrail aux couleurs majoritairement bleues et vertes semblaient ressortir de cet amas de roche avec impétuosité. Ainhoa n’hésita pas à pousser la grande porte qui gémit douloureusement alors qu’elle coulissait sur ses gonds rouillés. Une allée semblant infinie éclairée uniquement par des candélabres noirâtres difformes les accueillit. Ils marchèrent en suivant le tapis usé le long de l’allée entourée de statues aux formes riches et variées. Chacune d’elles représentait un dieu d’Idalyce, tantôt de forme humaine ou bien hybride jusqu’à ceux qui étaient informes. Nos héros n’en connaissaient pas la moitié, ils n’étaient après tout pas très croyants. Ainhoa avait été élevée sous les préceptes du Dieu de l’Amour mais elle s’en était détachée suite à la perte de son mari. À l’inverse, Bahn et Gaven avaient connu les préceptes de la déesse de la Guerre, patronne de leur village natal. Mais pour des raisons qui leur étaient propres, les frères Caelistis avaient également abandonné cette déité au bénéfice de la vraie guerre, la vraie vie, celle où aucun Dieu n’avait été aperçu depuis des siècles.
Duskara observait attentivement toutes les statues qui lui ouvraient les portes d’un monde qu’elle ne connaissait pas. Chez les Madows, seule la forêt est digne d'être vénérée car elle leur offrait nourriture et sécurité ainsi aucun des Dieux dont elle croisa la représentation dans le sanctuaire ne lui était familier. Idem pour Red-An, ses parents étaient des scientifiques ainsi, ils ne prêtaient aucune foi en des forces aussi incertaines.
Une voix puissante s’éleva et résonna entre les parois rocheuses du bâtiment, elle sembla secouer jusque l’âme des rebelles. Son ton était chaleureux et doux alors que son timbre puissant semblait autoritaire.
— Approchez visiteur!
Annotations
Versions