C9.2 Légitimité
Le groupe se stoppa quelques secondes, se demandant si la voix était celle du Pontife ou celle d’un ennemi. Puis reprenant confiance, ils avancèrent d’un pas plus pressé. Ils aboutirent à la fin de l’immense hall du sanctuaire, sur un trône gigantesque gravé à même la roche s’élevant aussi haut que toutes les colonnes du lieu saint reposait un vieil homme au visage impassible, les yeux fermés, il semblait dormir. Il était vêtu d’une toge turquoise et dorée ainsi que d’un collier en or couvert de pierre précieuse semblant très lourd à porter. L’homme âgée avait une longue barbe blanche qui lui arrivait jusqu’au nombril, d’un poil parfaitement gris, brossé et serti de bague en or. De part toutes ses parrures d’or, le groupe en arriva à la conclusion qu’il devait s’agir du Pontife Hecbert VII.
Ils s’inclinèrent devant le saint homme, ce dernier tendit paresseusement sa main et fit signe à la princesse du Daflad de s’avancer. Il gardait les yeux fermés et alors qu’il prit la parole, sa bouche ne bougeait pas, sa voix provenait de toutes les directions voire même s’exprimait peut-être uniquement dans la tête des protagonistes, il était impossible d’en être certain.
— Ainhoa Thal’en Du Daflad, revenu d’entre les morts, vous venez en ce lieu pour faire valoir votre droit de lignée sur le trône encore vacant du royaume de Zhelès, commença le Pontife de sa voix éthérée.
— Votre Sainteté, je suis en effet ici pour requérir vos conseils, répondit Ainhoa en s’agenouillant devant le trône de son interlocuteur alors que la main de ce dernier se posa sur le haut de son crâne.
— Je sais tout cela, la voix que vous empruntez ne sera pas simple, princesse. Quand bien même vous aiderais-je, votre réussite sera soumise à de nombreux facteurs. Mais j’ai foi en vous tous, résonna la voix qui sembla alors triste et mélancolique.
— J’ai besoin que vous reconnaissiez mon statut de reine du Daflad, afin que je puisse reprendre ma place sur le trône, demanda sèchement la princesse.
— Je ne peux accéder à votre demande sans preuve de votre lignée, trancha le Pontife.
— J’ai perdu tous mes effets, les Astéens m’ont tout pris, je n’ai que mon nom et mon sang pour preuve.
— Cela n’est guère suffisant. Aux yeux du monde, une Reine doit avoir des attributs royaux. Tout comme les 3 enfants du Roi-Dieu, un cristal prouvant votre puissance et affiliation avec le Roi élu des Dieux. Chaque souverain possède une de ces pierres dans son volumineux château, à l’abri des indiscrets et des avares.
— J’ai fui mon domicile, ce si prestigieux château est aux mains de l’ennemi. Je n’ai pas cette pierre sur moi, je suis encore morte aux yeux de mon peuple. Je ne peux pas encore rentrer à la maison.
— Je le sais, Princesse. Chaque décision que vous prendrez aura des conséquences, bonnes ou mauvaises, vous pouvez contrôler vos actes mais pas les effets qu’ils engendrent. Avancez prudemment, ne vous laissez pas guider par de fausses promesses. Votre route n’est pas terminée, désormais c’est au sommet de cette montagne que vous devrez vous rendre.
Ainhoa redressa la tête, repoussant involontairement la main du Pontife. La princesse écarquilla les yeux et fixa l’homme en face d’elle d’un air dubitatif. Erel frissonna alors que la cheffe rebelle parlait de "rentrer à la maison", réalisant que c’était ce que chacun d’entre eux désirait.
Le Pontife se redressa sur son siège de pierre, toujours les paupières closes. Son visage était parfaitement inexpressif, d’une pâleur de mort, alors que sa voix s’éleva de nouveau.
— Le temple au sommet de cette montagne abrite un cristal primordial, le cristal de l’Aube. Autrefois trésor d’Ordella, il a été donné au Sanctuaire il y a fort longtemps, reprit le saint homme de sa voix éthérée.
— Pourquoi un monarque donnerait un objet si précieux? S’étonna Ainhoa.
— Le geste de la reine de l’époque était parfaitement réfléchi, les bénéfices obtenus pour Ordella sont encore visibles aujourd’hui. Vous ne comprenez pas le fonctionnement de ces pierres, Princesse.
Le monarque s’affaissa de nouveau dans son siège, la Rebelle demanda des explications mais le vieil homme ne lui répondit pas. Il était “éteint”, son corps rigide semblait ne plus être réceptif à ce qui l’entourait. Erel s’avança, elle allait toucher le saint homme lorsque la princesse lui saisit le bras brusquement et le repoussa.
Le Pontife vacillait entre le monde mortel et divin, aucune main humaine ne devait toucher un tel être. La Belligérante observa le vieil homme, rien dans sa composition ne faisait penser qu’il avait un tel pouvoir. De profonds sillons ravageaient son visage immobile, de petites lèvres et des paupières tombantes fermement closes, le tout couvert de longs cheveux lisses et argentés de la même couleur que sa barbe. Homme sage et divin, voilà le rôle que devait jouer le Pontife.
Le groupe rebelle n’obtiendrait plus aucune réponse du Saint-homme alors ils quittèrent le sanctuaire, ils savaient qu’ils devaient se rendre dans le temple au sommet de cette même montagne qu’ils avaient commencé à gravir. Ils entamèrent cette nouvelle ascension en suivant un nouveau chemin qui se prolongeait sur plusieurs kilomètres avec un dénivelé moyen rendant la marche accessible mais particulièrement désagréable vu la météo. Ils glissèrent plusieurs fois, ils n’y voyaient pas à plus de deux mètres et la neige leur fouettait sauvagement le visage.
Leur peine dura quelques interminables heures, le sommet atteint, ils se trouvèrent à l’abri de la tempête de neige, au-dessus des nuages et face à un soleil radieux à son midi.
Le temple ressemblait à une vieille ruine abandonnée, le toit s’était effondré et rendait l’accès à la bâtisse impossible. Le groupe effaré fit le tour du bâtiment, aucune zone ne semblait accessible, l’intérieur du lieu avait dû être complètement écrasé. S’il y avait eu un cristal ici, un jour, ce dernier avait complètement disparu. Red-an, qui était plus accoutumé que ses camarades par ce genre de lieu énigmatique n’abandonna pas et chercha une entrée secrète. Duskara, son acolyte de toujours, faisait de même de son côté. Les contrebandiers savaient que les temples étaient des lieux capricieux et qu’ils n’offraient pas facilement ce qu’ils pouvaient contenir.
Au bout d’un moment, derrière une roche recouverte de neige, poisseuse et glissante, Duskara découvrit une trappe menant peut-être dans les profondeurs du temple. En l’ouvrant, une forte odeur de soufre s’en échappa, faisant grimacer la Madows.
Le groupe n’eut cependant pas d’autre choix que de descendre l’échelle en métal rouillé. L’intérieur de ce qui leur parut être le temple était obscur. Duskara invoqua une boule de feu afin de pouvoir percevoir ce qui se trouvait devant eux. Ils serpentèrent entre les allées, ayant cette impression qu’ils s’enfonçaient toujours plus dans les tréfonds, le cœur de la montagne. Plus ils s’engouffraient à travers des passages étroits en pierre, plus la température montait. Un long chemin les mena à une grande salle ronde dont les surfaces semblaient polies car totalement lisses et reflétant la lueur de l'orbe scintillante créée par Duskara.
Dans cette pièce, quatre pylônes de hauteurs différentes trônaient, respectivement à l’ouest, à l’est, au nord et au sud. Sur ceux-ci, Red-an distingua des symboles inconnus, des runes peut-être. Le contrebandier était habitué à ce genre d’énigme qui permettait généralement d’accéder au trésor. C’est en soulevant le col de son épaisse combinaison qu’il nargua le reste du groupe.
— Laissez-moi faire, je ne voudrais pas me vanter mais je suis le meilleur pour résoudre ces petites énigmes, s’exclama le voleur une pointe d’orgeuil dans la voix
Ainhoa retroussa le nez tandis que Bahn lui jeta un regard en biais. Erel se moquait de savoir qui résoudrait cette épreuve, l’essentiel étant qu’il fallait la faire pour continuer. Duskara se positionna près de son compagnon et analysa la pièce plus en détail. Chaque pylône avait une rune différente gravée sur une de ses faces. Au plafond, malgré le faible éclairage dont ils disposaient, elle aperçut une sorte de carte du ciel. La Madows se concentra, joignant ses mains sur sa poitrine et récitant des incantations qu’elle seule pouvait clairement entendre. Elle leva les bras vers le plafond, les mains encore jointes comme si elle retenait entre ses paumes un insecte. Lorsqu’elle les ouvrit, une flamme intense s’en échappa, quelques secondes seulement, durant lesquelles elle eut le temps d’apprécier les détails de la carte du ciel. Red-an avait commencé à tourner les pylônes, malgré leur taille imposante ils étaient faciles à tourner, car ils étaient sur un socle en argent brunie par les années qui cachait les rouages d’un mécanisme souterrain bien plus complexe.
Les autres membres du groupe restèrent à l’écart, attendant que les experts en résolution d’énigmes aient terminé leur besogne.
La carte du ciel que Duskara dut éclairer plusieurs fois avant d’en comprendre le sens donnait les indices nécessaires à l’orientation des pylônes, elle nota mentalement l’ordre de chacun d’eux en fonction de leur taille et de la rune qu’ils portaient. Elle donna ses conclusions à Red-an, qui s’activa à faire pivoter les imposantes colonnes de pierre dans le bon ordre.
Lorsqu’il tourna le dernier, un cliquetis se fit entendre, une portion du mur face à eux s’éleva, faisant trembler la pièce et obligeant les rebelles à se boucher les oreilles.
— Et voilà le travail! Un baiser pour votre sauveur, mesdames? S’enquit fièrement Red-an
Ainhoa fronça les sourcils et ignora la réplique du contrebandier qui n’eut pas d’autre choix que de se tourner vers Erel. Cette dernière l’évita et avança. Duskara fut donc la dernière victime de son compagnon, elle poussa la tête de son ami sans montrer d’expression particulière, elle affichait toujours son calme déstabilisant.
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