C9.4 Choix

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De retour dans le Sanctuaire d’Yr Menstein, le Pontife endormi fit s’élever sa voix éthérée alors que la princesse lui présentait le cristal de l’aube. Le vieil homme tressauta et sembla se réveiller d’un long sommeil sans rêve. Sans jamais ouvrir les yeux, il s’adressa au groupe.

— Voilà donc votre preuve. Vous avez vaincu le gardien du temple et récupéré le Cristal de l’Aube. L’un des 3 cristaux primordiaux du cristal lumière. Dites-moi, qu’allez-vous en faire maintenant qu’il est à vous, Majesté? Interrogea le Pontife.

Ainhoa avait eu le temps de se poser la question durant le trajet retour. Les cristaux primordiaux devaient être bien plus puissants que les vulgaires cristaux artificiels fabriqués par l’Empire. Elle avait enfin entre les mains quelque chose capable de rivaliser avec la puissance d’Astéa. Cependant, elle était tiraillée. Utiliser un objet qu’elle ne comprenait pas pouvait avoir des conséquences catastrophiques sur son royaume, elle devait donc en apprendre davantage avant.

— Je ne peux pas utiliser un objet que je ne comprends pas. Votre Sainteté, guidez-moi encore une fois vers la bonne voie, aidez-moi à comprendre ce cristal, à utiliser avec sagesse cette puissance pour défaire mon ennemi, répondit Ainhoa en s’inclinant devant l’homme saint.

— Je vais vous raconter leur histoire, l’essence de leur puissance et c’est alors que vous pourrez décider si vous l’utiliserez ou non. Je ne peux pas faire ce choix pour vous, votre destin vous appartient et c’est à vous de choisir quel genre de Reine vous voudrez être, acheva Hecbert VII.

Le Pontife marqua une pause, laissant Ainhoa se relever et les autres membres du groupe s’approcher. Le saint homme leva lentement le bras et la salle plongea dans l’obscurité la plus profonde. Il commença son récit alors qu’au-dessus des jeunes gens un ciel étoilé artificiel apparut se confondant au plafond voûté.

— Il y a fort longtemps, peu après la naissance de notre astre, une substance immatérielle se concentra pour former le cristal lumière. De ce cristal s’écoula la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il fallut bien sûr des siècles avant de voir apparaître les différentes espèces que nous pouvons observer ; certaines ont disparu, de nouvelles sont apparues jusqu’à l’ère des humains, commença la voix éthérée du sage.

Des humains primitifs apparurent dans le Sanctuaire et se déplaçaient autour des rebelles, certains les traversant. C’était un peu comme dans un rêve, une illusion projetée par le Pontife.

— Les êtres humains prospérèrent rapidement, érigeant des cités, des lieux de culte immenses. Hélas, le cœur de ces êtres est fragile, influençable et avide de pouvoir. Les guerres commencèrent rapidement. Aussi loin que l’on puisse voir, cette espèce s’est toujours battue, que ce soit pour des territoires, des ressources ou pour le pouvoir. C’est cette brutalité qui chagrina le cristal-mère, le corrompant à son tour par l’avarice et l’orgueil des humains, reprit Hecbert.

Un énorme cristal allongé et flottant au centre du sanctuaire apparu et devint peu à peu d’un rouge vermillon.

— La mort souillait nos terres, la planète agonisait, se noyait dans les mares de sang qui suivaient les grandes batailles. L’agonie lente et douloureuse de notre astre ne sembla pas alerter les humains qui n’entendaient pas ses cris désespérés alors que les sols pourrissaient et que la famine enrageait les peuples. Le cristal lumière rejeta du magus et de manière artificielle il nourrit les sols, l’air et l’eau de notre planète afin que l’astre puisse survivre. Déversant son pouvoir à travers le monde, le magus se répandit et l’utilisation de la magie fut acquise par les êtres humains. Les vies perdues lors des innombrables batailles rejoignirent le flux de magus, le cristal se servit de la volonté des humains à vouloir la paix pour créer des êtres difformes, inachevés et despotiques. Les Vexens.

Devant les yeux du groupe apparurent ces fameuses entités. Sans jambes, un torse nu couvert de plaques d’argent flottait au-dessus du sol. Leurs bras fantomatiques ressemblaient à ceux des êtres humains mais leur visage était comme une statue sculptée dans le marbre avec deux grandes fosses au niveau des yeux ne révélant que ténèbres. Chaque visage était légèrement différent mais tous étaient inexpressifs et androgynes. Pas de cheveux, pas d’oreilles non plus, des êtres humains inachevés, idéalisés par le cristal lumière.

— Les Vexens avaient pour mission de faire régner l’harmonie dans notre monde, ni bon ni mauvais, ils contrôlaient le destin des humains et maintenaient une paix sans libre arbitre. Très vite, les humains devinrent les esclaves de ces entités n’ayant d’autres choix que de satisfaire tous leurs caprices. C’est par d’innombrables machinations que les Vexens donnèrent un peu de leur magus à certains humains, leur donnant le rôle de Dieu sur notre planète. Répandant soit la terreur soit l’amour et la paix, tout acte était parfaitement maîtrisé et évalué. La planète n’était plus en danger mais notre espèce perdit sa liberté.

Parmi ces êtres humains illusoires, l’un d’eux se dressa et brisa ses chaînes. Il était facilement reconnaissable, il était représenté dans tous les lieux de ce monde, son épopée était célèbre et contée à tous les enfants de la planète. Le Roi-Dieu.

— Les Vexens, par excès de vanité, élirent un être humain au-dessus des autres, le Roi-Dieu. Ce dernier avait été choisi afin d’aider les autres dieux, parfois zélés, du monde à faire régner l’ordre et la paix. Seulement, ce dernier se rebella, brisa ses chaînes avec l’aide d’un Vexen. La trahison fut très mal reçue, les Vexens punirent sévèrement le traître parmi eux, puis tentèrent de destituer le Roi-Dieu. Il était trop tard, ce dernier prit la décision de scinder le cristal lumière, bannissant de ce fait tous les Vexens de notre planète. Privés de leur source de pouvoir, les entités disparurent mais demeurèrent endormies dans les cristaux primordiaux.

Le Pontife s’arrêta, baissa le bras et l’illusion disparut. Ils connaissaient la suite de l’histoire. Le monde avait connu de nombreux tumultes et de nombreuses menaces qu’il avait su affronter une à une. Aujourd’hui c’était le libre arbitre de l’humanité qui était mis à mal, si Vaik aidait les Vexens à reprendre leur place dans ce monde alors il était évident qu’ils allaient prendre le contrôle de leur destin comme il fut jadis. Le Roi-Dieu s’était battu pour libérer son peuple de l’oppression de ces entités, détruire les pseudo-dieux couronnés par des êtres imparfaits. À ce jour, il ne restait que des statues des usurpateurs, aucun vrai dieu n’avait foulé le sol de la planète, tout n’était qu’illusion, oubli et conte.

Ainhoa tenait fermement le cristal Aube entre ses mains et l’observait, les yeux embrumés, la commissure des lèvres tremblante. Erel la comprenait, sur ses épaules pesait un dilemme peut-être trop grand pour elle seule, alors elle la regardait, se demandant comment de simples êtres humains pouvaient lutter contre des forces toute-puissantes.

Bahn, qui avait bien plus d’assurance que tous les autres membres du groupe, posa une main rassurante sur l’épaule de la souveraine.

— Votre Majesté, le destin de l’humanité n’est pas seulement entre vos mains. La rébellion est avec vous, peut-être même qu'Ordella agira si elle apprend les desseins de l’Empire. Le comte Thasec, votre oncle, vous aidera aussi. Comme le Roi-Dieu, nous lutterons à vos côtés, argumenta le Caelistis d’une voix assurée et chaleureuse.

La princesse hésita.

— En utilisant un cristal primordial, un Vexen peut s’en échapper. Il en est de même pour la calamité mise au point par le scientifique Cidolfus, les cristaux artificiels. Les Vexens naissent des morts et du sang sur le champ de bataille. Notre planète lutte une nouvelle fois contre la suffocation de la guerre, elle pleure la Vie, en la poussant dans ses derniers retranchements, les Vexens seront son seul espoir de renaissance. Souhaitez-vous participer à cette mascarade, votre Altesse, ou désirez-vous vous ranger du côté de la Vie, de l’humanité? Interrogea le Pontife sans réellement attendre de réponse.

La souveraine du Daflad ouvrit les yeux, la mort de son père, de son mari... cela n’avait pour but que de faire revenir un peuple tyrannique qui offrait une paix éternelle contre la liberté de l’humanité. Un frisson parcourut la colonne vertébrale de la future reine. Elle n’était pas prête à prendre une telle décision.

— Faire la guerre ne fera que plonger la planète dans un nouveau désespoir, mais si on laisse faire l’Empire, les Vexens reviendront de toute manière. Quel choix nous reste-t-il, grand-père? S’agaça Red-an.

Les regards réprobateurs s’abattirent sur lui alors qu’il parlait avec tant de familiarité à un saint homme. Hecbert ne sembla pas s’offusquer ; il savait bien des choses, la planète les lui avait soufflées avec son extrême bonté et il ne se prenait pas pour un homme supérieur aux autres.

— C’est à vous de faire vos choix. En tant que Pontife, représentant de l’histoire de l’humanité, je ne peux hélas pas vous donner de réponse.

Erel soupira, exaspérée, effrayée par ce qui les attendait. Elle avait souffert de la mort de son fiancé, puis de son retour, et aujourd’hui elle se rendait compte que ses petits problèmes n’étaient rien à l’échelle de la planète. La guerre dans laquelle elle avait plongé par amour était bien plus complexe et destructrice que le commun des mortels ne pouvait le penser. Des enjeux qui la dépassaient se jouaient et elle ne savait pas non plus quelle était la bonne posture à adopter. Elle n’enviait pour rien au monde le statut de sa souveraine.

Ainhoa ravala ses larmes, sa gorge nouée lui faisait mal, mais elle se devait de prendre une décision. Elle allait choisir la liberté ou la guerre. Dans les deux cas, les Vexens risquaient de revenir et peut-être devrait-elle les affronter. Peu importe la situation qui se déroulerait, elle prendrait ses responsabilités.

— Je veux être reconnue Reine du Daflad. Je vais venger mon peuple, l’Empire doit payer pour tous les crimes qu’ils ont commis. Leur motivation sera révélée! S’exclama avec détermination la Dafladienne.

Les sourcils du Pontife tressaillirent ; c’était la première fois depuis leur rencontre que le visage parfaitement immobile du vieil homme donnait signe de vie.

Le saint homme leva de nouveau le bras, la voix éthérée s’éleva dans la pièce.

— Ainhoa Thal’en du Daflad, fille de Fremin Thal’en du Daflad, héritière légitime du trône du royaume du Daflad. Je vous reconnais, moi Hecbert VII, gardien du sanctuaire d’Yr Menstein et représentant des Dieux d’Idalyce, reine et protectrice du royaume du Dafald. Puisse votre règne être long et prospère. Longue vie à la reine !

Les autres membres du groupe scandèrent “longue vie à la reine”. Alors que la grâce du saint homme résonnait dans la bâtisse abandonnée, toutes les lumières s’allumèrent, le sanctuaire s’éveilla. Le hall du bâtiment était bien plus grand que ce qu’ils avaient pu voir ; de nombreuses personnes les entouraient, des lits de camp étaient entassés, et beaucoup de prêtres, prêtresses et réfugiés foulaient le sol de ces terres bénies.

Tous les regards étaient tournés vers les rebelles ; des gens pleuraient, des enfants criaient, des vieillards s’étaient redressés dans leur lit, tous voulaient voir la nouvelle reine. Ainhoa avait les yeux rouges, le poids de sa charge grandissait sur ses épaules et elle n’était pas en mesure de le partager avec qui que ce soit. Elle repensa à son mari, puis à son père... Ils devaient la guider dans cette fonction, mais ils n’étaient plus là ; elle devrait se débrouiller.

Erel fut impressionnée par le nombre d’êtres vivants dans ce hall immense, entassés les uns sur les autres, chassés de leur terre à cause de la guerre. Les illusions du Pontife étaient particulièrement puissantes ; le vieil homme avait pu cacher toutes ces personnes, leur offrant un endroit sûr. Malgré les conditions quelque peu rudimentaires, le visage des réfugiés s’éclaira devant la nouvelle reine du Daflad ; ils s’agenouillèrent en signe de respect. Bientôt, la nouvelle circulerait dans tout Idalyce : une nouvelle reine venait de naître, et elle reprendrait bientôt sa place sur le trône.

La guerrière se demanda un instant comment la nouvelle serait perçue du côté des Astéens. Est-ce que Gaven se réjouirait de cette nouvelle ? Prendra-t-il les armes pour la détrôner ? Que faisait-il en ce moment ? Le cœur d’Erel bondit dans sa poitrine ; si seulement il avait pu être là pour voir et entendre tout cela. Resterait-il du côté de l’Empire s’il avait su ?

Red-an et Duskara s’écartèrent de la nouvelle régente dafladienne ; la politique ne les intéressait pas. Ils se contentèrent d’observer la misère de tous ces gens. Le contrebandier savait comment les choses avaient commencé, et il savait qu’à un moment donné, il allait devoir affronter ces questions…

Bahn et Erel s’agenouillèrent à leur tour devant leur reine. Le Pontife s’endormit de nouveau, et Ainhoa resta face à tous ces gens, incapable de prononcer un mot. Elle ne savait pas ce qu’ils attendaient d’elle. Devait-elle dès maintenant afficher ses positions ? Devait-elle les remercier ? Qu’était-il coutume de faire lors d’un couronnement ? Était-ce même un couronnement ? Autant de questions qui l’empêchèrent de s’exprimer. La reine s’avança et quitta alors le sanctuaire sans dire un mot, portant tous les espoirs du Daflad sur les épaules.

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