C10.1 Lettre

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Dans les couloirs du palais Impérial d’Astéa, les chaussures à pointe noires de l’aîné Draxak battaient rapidement le sol ciré. Sa marche était suivie par les cliquetis de l’armure du Juge Blasius. Les deux hommes sortaient des appartements de l’Empereur dont l’état de santé était préoccupant. Les mains dans le dos, Vaik avait une mine agacée lorsqu’il croisa son cadet, Lysandre, au détour d’une allée.

— Mon frère, nous devons parler de ce qu’il...commença Lysandre.

— Pas maintenant, petit frère, le coupa froidement Vaik en levant la main.

— Je vous en prie, c’est important, le ton du jeune homme se voulait pressant.

— Plus tard, grinça l’ainé entre ses dents.

Lysandre allait tenter un nouvel assaut mais Vaik passa à côté de lui sans daigner l’écouter. La conversation était close, il ne voulait pas débattre une fois de plus avec son petit frère sur la guerre et le royaume ennemi. Il avait d’autres ambitions, bien plus grandes et importantes.

Les deux hommes abandonnèrent le jeune Draxak et descendirent vers les appartements des juges.

Vaik se stoppa devant une porte, il fit signe à Blasius de l’attendre devant en agitant mollement sa main. Le juge s’appuya contre un mur, une main sur la garde de son épée.

L’Impérial entra sans frapper, la pièce sentait les produits antiseptiques et seul le son d’une machine tintait à un rythme régulier. Le salon était vide, il jeta un rapide coup d’œil autour de lui avant de se diriger vers la chambre de son juge.

Sur le lit, couvert jusqu’à la moitié du torse, lui-même nu, Gaven était rattaché à des machines qui surveillaient ses constantes vitales. Le juge master avait les yeux entre-ouverts et un masque en plastique sur le nez. Un robot sphérique volait autour de l’homme blessé et scannait l’intégralité de son corps à intervalles réguliers, évaluant ainsi l’efficacité du traitement.

Vaik saisit une chaise qui prenait la poussière dans un coin pour la mettre à côté du lit puis s’installa en croisant les jambes. Il replaça ses longs cheveux noirs derrière ses épaules alors qu’une grosse mèche lui cachait encore la moitié du visage. Le Draxak saisit la lettre sur la table de chevet du juge master entre son index et son majeur. Il tapota le coin de l’enveloppe en regardant du coin de l’œil le magistrat alité.

— Je suis extrêmement déçu, Gaven, commença-t-il d’une voix chaude et sévère.

Le juge ne pouvait pas lui répondre, pour cela, il aurait fallu qu’il puisse bouger ses membres et retirer son masque. Hélas, il était trop faible pour réaliser le moindre mouvement. Le traitement qu’on lui avait donné lui donnait l’impression de se liquéfier et il entendait la voix du fils de l’Empereur comme s’il se trouvait à plusieurs mètres derrière lui. Gaven était conscient de ce qu’il se passait et les médicaments ne l’empêchaient pas de comprendre que Vaik n’était pas là pour lui souhaiter un bon rétablissement.

— Je croyais que tu serais docile et obéissant. Au lieu de ça, tu aides mon frère à enquêter sur moi, tu as perverti la juge Grace et tu conspires avec ta fiancée, reprit l’Impérial agacé. Je te rappelle que nous avions un accord. Lorsque la région d’Amdapor est tombée, tu étais presque mort. Un prisonnier parmi tant d'autres, mais tu as négocié ta liberté. L’Empereur a accepté, bien que je ne comprendrais jamais pourquoi. Ta vie, ton obéissance en échange d’une autre vie, celle de ta fiancée, continua Vaik lentement en prenant le temps d’appuyer chaque mot.

Une nouvelle pause dans son discours lui permit d’ouvrir la lettre et de prendre connaissance de son contenu. Le Draxak comptait bien rappeler à son limier qu’il ne devait pas mordre la main de son maître et que s’il goûtait au sang, il serait tué sur le champ. Un large sourire, féroce et inhumain, fendit le visage fin de porcelaine de l’Impérial alors qu’il lisait le mot destiné à son juge. Il termina par un ricanement dédaigneux.

— En parlant de ta fiancée, sais-tu où elle se trouve actuellement? Vaik interrogea Gaven comme s’il allait lui répondre puis reprit. Évidemment que non. Vous, les Dafladiens, n’êtes que des bêtes sauvages vénérant le désordre et le chaos. Votre cerveau étriqué ne voit pas plus loin que sa petite vie médiocre, cracha-t-il d’un ton irrité. Elle est partie ! Vociféra Vaik en tapant le poing sur l’accoudoir de son siège.

Le choc fit sursauter le juge, sa fréquence cardiaque augmenta et le petit robot sphérique scanna le torse de son patient. Plus la vitesse des impulsions ventriculaires augmentait, plus le robot s’agitait autour du corps de Gaven.

Vaik hurlait à en perdre un poumon, il insulta son juge, la fuyarde, l’intégralité du château et toutes les personnes qu’il jugeait responsables du ralentissement de ses plans. Le robot en prit aussi pour son grade, d’un geste furieux, l’Impérial frappa la sphère robotique à de multiples reprises contre le mur, non loin de là où reposait la tête du magistrat. Le pauvre appareil, désormais en pièces détachées, envoya un signal de détresse à l’infirmerie avant de disjoncter.

Le Draxak respira profondément et ménagea ses nerfs, déjà très à vif. Il reprit le contrôle, enfoui de nouveau sa colère derrière un épais masque de faux-semblant et regagna son siège. Toujours les jambes croisées et ses yeux noirs tournés vers le juge master.

— Je vais te rappeler notre marché puis te lire la lettre de ta bien-aimée. Que cela fasse office de rappel et que je ne te croise plus jamais sur ma route ou alors je détruirai toutes les choses qui sont précieuses à tes yeux, en commençant par ta petite Erel. Est-ce bien clair? Le ton du Draxak se voulait très menaçant bien que cette fois il n’hausse pas le ton.

Gaven put à peine bouger la tête en signe d’approbation. Son corps lui faisait mal, il avait envie de plonger son épée dans l’être immonde qui lui faisait du chantage. Mais il n’en avait pas la force, ni même le courage. Tuer un héritier impérial était un crime extrêmement grave et il l’aurait payé de sa vie. Or, il souhaitait par-dessus tout revoir Erel. Le souvenir des derniers baisers qu’ils avaient échangés assaillit sa mémoire et l’obligea à se poser les bonnes questions : pourquoi avait-elle fui ? Le magistrat savait que Vaik ne lui racontait pas tout, un événement avait dû la forcer à quitter le château. Elle avait renoncé à la rébellion pour lui lorsqu’ils étaient à Aq’Terra et juste après leur retour elle fuyait le château ? Cela n’avait aucun sens.

— Notre accord mentionnait que la vie d’Erel Jerioth serait épargnée, offerte au juge master Gaven Caelistis. En échange, tu devais trouver un moyen pour arrêter ton frère jumeau et tuer le prince du Daflad. Tu as brillamment accompli ton devoir, tu as fait au moins semblant d’être fidèle et tout ça pour quoi ? Cette femme va te mener à ta perte, par sa fuite je pourrais mettre fin à notre accord et te tuer. Mais vu que tu as survécu au juge Blasius, je vais te trouver une autre utilité.

Vaik marqua une pause, replaça ses cheveux noirs de jais derrière ses épaules avant de parler à nouveau.

— La rébellion s’est rendue au sanctuaire d’Yr Menstein. Je pense savoir ce que compte faire la princesse. Elle sera en mesure de m’apporter les deux cristaux primordiaux qu’il me manque mais pour cela, il faudra prendre Zhelès. Je te propose un nouvel accord : tu m’offres le château de la capitale Dafladienne et en échange, je t’offre l’occasion de revoir ta bien-aimée, sans l’abîmer bien sûr. Elle est avec la princesse du Daflad, si tu l’emportes tu pourras la sauver.

De nouveau, un sourire carnassier trancha le visage d'albâtre de Vaik. Il était prêt à tout pour parvenir à ses fins et si cela devait inclure la survie du juge master et de la rebelle, alors il s'y ferait.

Le magistrat tourna son regard pour affronter celui de l’aîné Draxak. Le choix qui s’offrait à lui n’en était pas réellement un. Gaven voulait rester en vie, la voir une dernière fois, la toucher, entendre sa voix... encore un peu. Le temps a toujours été ce qui leur avait manqué, le juge master avait l’impression qu’on lui avait arraché toutes les belles années qu’il aurait pu passer auprès d’Erel. Que n’aurait-il pas accepté pour la revoir?

— Très bien, j’imagine que nous sommes d’accord. Nous allons te remettre rapidement sur pieds. Tu reprendras ta place de juge master et dirigera l’assaut sur Zhelès comme un bon petit soldat. En récompense, je vais te lire la lettre de ta fiancée, s’enthousiasma l’Impérial sans lâcher son sourire machiavélique.

Vaik déplia proprement la lettre, la lumière qui la traversait permit à Gaven de voir quelques lettres se former par transparence. Même de loin, il reconnut la plume de sa bien-aimée, de belles lettres joliment calligraphiées, des L avec de grandes boucles, une écriture large et fine.

Mon cher Gaven,

Te voilà loin de moi, une fois de plus. Si tu lis cette lettre, c’est que tu es rentré de ta mission sain et sauf. Peut-être m’as-tu cherché avant de voir l’enveloppe que j’ai soigneusement laissée sur ta table de chevet.

J’ai dû fuir ce maudit château. Mon plus grand regret sera toujours de ne pas t'avoir dit ces mots en face et de ne pas avoir pu te dire au revoir. Alors avant toute chose, même si tu ne liras peut-être jamais ces phrases, sache que je t’aime, Gaven. Tu es et resteras mon fiancé.

Je te demande de me pardonner de ne pas avoir été honnête avec toi, ni avec moi-même. Aujourd’hui, je ne suis plus en mesure d’être à tes côtés et ce pour notre sécurité à tous les deux. Finalement, la guerre nous a rattrapés et nous a remis à nos places d’origine. Serait-ce un coup du sort ? Je n’ai jamais cru au destin, jusqu’à ce que l’on se rencontre. Toi et moi, c’était une évidence. La seule chose simple et à laquelle je tenais réellement en ce monde.

Je tiens toujours à toi, malgré mes efforts pour te haïr après ta trahison, je n’ai pas pu te sortir de mon cœur ou de mes pensées. Tes bras, ton sourire, ta voix, ton corps, tes lèvres, toutes les parties de toi qui m’ont tellement manqué, je rêve encore d’être dans tes bras. Mais je dois partir.

Je quitte Astéa pour rejoindre la rébellion car j’ai enfin découvert les motivations de l’Empire. Tu avais raison, Gaven, les choses ne sont pas toutes noires ou blanches. Vaik a bien des aspirations qui visent au-delà de la simple guerre que nous menons, il ambitionne de devenir un dieu. Je ne sais pas très bien ce que cela signifie et je peux comprendre que tu aies du mal à me croire. Ces informations nous viennent du scientifique Cidolfus Continius Arch, le responsable du Labyrinthus. Il utilise des êtres humains prisonniers pour fabriquer ses cristaux artificiels !

J’aurais tellement de choses à te dire, quelques heures ont suffi à faire tout basculer. Notre bonheur retrouvé, cette félicité que l’on méritait nous a été volée une fois de plus par l’Empire.

Je t’en prie, pardonne-moi, je n’ai même pas assez de temps pour t’écrire tout ce que j’aimerais te dire.

Fais-moi confiance, mon amour. Tu n’as aucun allié dans ce château, tu ne peux te confier à personne sur le contenu de cette lettre sauf à ma camarade de corvée, Angélique. Elle sera en mesure de te donner toutes les informations que nous avons obtenues.

Gaven, mon très cher fiancé. Nous ne sommes peut-être plus dans la même ville, si éloignés une fois de plus. Mais nous sommes sous le même ciel. Un seul ciel, une seule destinée.

Je ne vis que pour te retrouver,

Ta tendre Erel.

Vaik referma lentement le papier. Des perles salines avaient noyé le visage du juge master, sa poitrine se soulevait de manière irrégulière et ses lèvres tremblaient alors que ses yeux rougis regardaient à l’opposé de son interlocuteur. L’Impérial voyait la souffrance du magistrat de manière complètement froide, il jeta l’enveloppe sur le torse du blessé et se leva de sa chaise avec toute la dignité que lui insufflait son rang. Le Draxak trouvait cette lettre ridicule, écoeurante et son contenu ne l’émouvait ou ne l’inquiétait pas plus que ça. Tout se déroulait selon son plan.

— Tu sais tout désormais. J’aurai une discussion avec Cidolfus au sujet de cet incident. J’espère que tu feras le bon choix, Gaven Caelistis, sinon je t’assure, tu me supplieras à genoux de t’envoyer en enfer pour abréger tes souffrances, termina Vaik avant de quitter la pièce.

Gaven eut envie d’hurler, de frapper tout ce qui l’entourait mais son état l’en empêcha. C’est à peine s’il réussit à serrer ses poings. Le seul mot que le magistrat réussit à articuler entre deux soubresauts de désespoir fut : “Erel”.

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