C10.2 Intrusion
Le groupe rebelle avait passé quelques jours au sanctuaire d’Yr Menstein avant de revenir aux îles flottantes d’Aq’Terra pour présenter la nouvelle reine du Daflad à l’ensemble de la rébellion.
Ils en avaient profité pour établir un plan de reconquête de la capitale Dafladienne. Les préparatifs furent aussi courts que possible, 2 semaines au total pour rassembler les guerriers et guerrières, le matériel et des vaisseaux capables de résister un minimum à la flotte impériale. Sur toute la planète, rares étaient les volatiles d’acier capables de lutter face aux rapaces Astéens.
Ainhoa participait à toutes les besognes comme n’importe quel autre soldat. Nuit et jour, elle cogitait pour construire un plan qui tienne la route et qui prendrait par surprise les Astéens. La reine convoitait son trône, elle avait hâte de jeter dehors les étrangers qui lui avaient volé ses titres et sa famille. L’usurpateur Astéen allait payer son tribut... avec des intérêts.
Bahn, en tant que capitaine de l’armée rebelle, assistait la nouvelle reine avec bienveillance et sagesse. Le Caelistis organisait son armée avec minutie, le plan qu’il avait établi avec Red-an et Duskara semblait convenir à la monarque tout comme au comte Thasec.
Les îles d’Aq’Terra allaient quitter leur statut d’éternelle neutralité et entrer en guerre contre le puissant Empire Astéen. Dans toute l’histoire d’Astéa et depuis que les îles flottantes furent indépendantes, c’est la première fois qu’elles prenaient part à un conflit armé. Le Comte Thasec et ses prédécesseurs avaient savamment évité de se positionner en temps de conflit, mais la donne avait changé.
Les aspirations de Vaik Draxak étaient désormais connues de toute la rébellion, de tous les peuples libres ; même le royaume d’Ordella avait été prévenu. La réussite de la nouvelle reine, née des épreuves d’Yr Menstein, était une priorité absolue. Il était hors de question qu’un homme fourbe et ambitieux tel que Vaik devienne le prochain Dieu-Roi.
Bientôt, l’armée rebelle, accompagnée par la puissance d’Aq’Terra, allait prendre d’assaut Zhelès, la capitale du royaume du Daflad. Une bataille qui allait de nouveau changer le visage du Daflad, le balafré d’une immonde cicatrice. Cependant, les Dafladiens se relevaient toujours. La future reine et ceux qui la précéderont relèveront le pays de sa longue agonie pour les guider vers un avenir radieux.
Red-An et Duskara avaient d’autres ambitions, eux qui étaient si loin de la guerre. Ils n’avaient plus de nation, n’étaient les bienvenus nulle part. En tant que contrebandiers, ils vivaient une vie sans lieu d’attache où revenir, bannis de leur lieu de naissance. Pourtant, peut-être par jeu du sort ou encore ce que l’on nomme destinée, ils s’étaient retrouvés sur la route du capitaine Bahn Caelistis. Et depuis, ils suivaient le chemin de cet homme avide de liberté et fier.
Red-An avait fui son pays dans l’espoir de retrouver son libre arbitre, il avait évité la guerre et fermé les yeux sur les atrocités commises par Astéa. Mais, il ne pouvait plus fuir, quelque chose le ramenait éternellement vers sa patrie de naissance. Une forme de rédemption pour le contrebandier.
— Hé ! Bouge-toi un peu ! Il est temps, s’exclama Bahn de l’autre côté de la plateforme de décollage à Red-An.
Le bellâtre esquissa un sourire charmeur, hocha la tête en guise de réponse et s’élança à travers la plateforme pour grimper la rampe et monter dans le vaisseau qui l’attendait.
La troupe d’Ainhoa allait utiliser le même rafiot que pour leur voyage à Yr Menstein. Il était passe-partout et n’éveillerait pas immédiatement l’attention des Impériaux.
Le décollage était imminent, quelques boutons à activer, tourner et enclencher pour que la carcasse de métal vrombisse et s’élève dans l’immensité nébuleuse d’un ciel couvert et froid.
Le plan des rebelles était d’emprunter les égouts de la capitale pour remonter dans le château. Il existe des passages secrets permettant de rejoindre les cuisines de ce dernier. Les Impériaux ne connaissaient pas les lieux aussi bien que les natifs Dafladiens et sans doute bien moins que l’ancienne princesse qui a vécu toute sa vie dans ce domaine. Bahn avait soigneusement cartographié les passages évoqués par sa souveraine afin de prévoir un angle d’attaque et une zone de repli en cas d’échec. C’était un homme prévoyant, surtout depuis sa défaite face à son propre frère lors de la bataille de Qrita.
Red-an et Duskara s’étaient chargés de trouver une zone d’atterrissage. Entrer dans l’aérogare avec ce vaisseau n’attirerait pas particulièrement l’attention mais en temps de guerre, c’était un endroit très contrôlé. Ils ne pouvaient pas prendre le risque de se faire reconnaître dès qu’ils poseraient un pied sur les strapontins de débarquement. Les contrebandiers ont donc eu l’idée d’utiliser le désert entourant la ville et les canyons qui l’entourent. Red-an est parti en reconnaissance sur les lieux ce qui lui a permis de trouver une zone où cacher l’appareil, le reste du trajet se ferait à pied.
Une fois qu’ils seraient arrivés devant la porte ouest de la ville, les rebelles devaient utiliser le premier passage secret sous le nez des Impériaux qui surveillaient cette entrée.
Descendre dans les égouts, continuer tout droit, passer les écluses, remonter le long escalier, ouvrir la porte, aller à la salle du trésor, donner son sang, prendre le cristal du crépuscule, envoyer un signal à la flotte rebelle.
Voilà le plan, et tout se déroulait parfaitement bien. Aucun problème pour emprunter le premier passage secret. Les citadins de Zhelès aidèrent volontiers en détournant l’attention des gardes.
Les égouts n’étaient pas l’endroit où ils trouveraient le plus de soldats Astéens. L’odeur était désagréable, l’eau qui s’écoulait des grandes bouches métalliques était boueuse et visqueuse. Les rebelles avançaient avec un tissu devant le nez, ils marchaient sur des chemins étroits sortis de ces eaux impies comme par miracle, serpentant entre les déchets et divers fluides corporels. Aussi désagréable que cela puisse paraître, ils progressaient avec détermination et concentration. Ainhoa se sentait de nouveau chez elle, enfin elle reverrait du balcon de sa chambre un horizon rempli de toits aux tuiles colorées, des odeurs de pain chaud et le brouhaha du marché aux épices remonteraient à ses oreilles. La ville vibrerait de la même frénésie commerciale que dans le temps, elle relancerait l’exploitation des minerais précieux, ornerait sa cité de rubis, érigerait un mémorial pour les victimes de la guerre couvert de fleurs du désert et de pierres scintillantes… autant d’aspirations qui lui permettaient d’avancer malgré la moiteur du lieu, l’odeur fétide des égouts de Zhelès.
Il faisait sombre, les grilles au-dessus de leur tête servaient de puits de lumière et étaient réparties tous les cent à deux cents cinquante mètres, en plus, Duskara avait invoqué une sphère incandescente qui leur permettait de voir devant eux. Ils devaient avancer avec précaution, parfois leurs pieds glissaient sur les dalles qui formaient le chemin à suivre et heurtaient la surface du bourbier.
Il ne leur fallut pas très longtemps pour atteindre les écluses, des vannes hautes de plusieurs mètres retenaient les eaux viciées des différents secteurs de la ville. Un mécanisme central permettait de réguler le flux dans les différents canaux qui formaient les égouts. En cas d’intempéries, ce système avait pour rôle de permettre d’éviter que l’eau ne remonte dans les rues. Dans cette zone, une porte, normalement fermée à clé, permettait de passer d’un secteur à un autre. Actuellement, ils se trouvaient sous la zone ouest ; pour aller dans la zone centrale où se trouve le château, seule cette porte leur faisait barrage. La clé était entre les mains des égoutiers, mais qui a besoin de clé lorsque le plus fin des voleurs est dans son équipe.
Red-an avait dans la poche de son pantalon cargo un couteau suisse du voleur parfait. Adoptant son air théâtral habituel, le contrebandier invita ses camarades à observer son habileté à crocheter des serrures. Les acolytes ne manquèrent pas de montrer leur exaspération mais s’abstinrent de tout commentaire alors que la porte face à eux s’ouvrait. Satisfait de sa performance, le voleur fit une révérence élégante à ses compagnons, personne ne l’applaudit.
L’escalier. Dernière étape avant d’atteindre le château. Ils étaient proches de leur but et n’avaient rencontré aucune résistance. Les égouts étaient déserts comme prévu. Ils avançaient encore et encore, même recouverts de souillure, l’objectif n’avait jamais été aussi proche. Ainhoa allait enfin récupérer sa demeure, Bahn retrouvait enfin sa patrie et Erel retrouverait enfin Gaven. Elle en était sûre, il la retrouverait lorsqu’il apprendrait que la rébellion a repris le contrôle de ses terres perdues. Il devait savoir ce que Cidolfus et Vaik avaient en tête et ce qu’ils avaient planifié pour le reste du monde. L’homme qu’elle connaissait et qu’elle aimait ne pouvait tolérer une telle décadence, pas même s’il était contraint. La guerrière aspirait à le voir revenir, à retrouver leur appartement dans le centre-ville de Zhelès, à vivre tout simplement près de lui.
Bahn stoppa la marche et fit signe à ses camarades de ne pas faire de bruit. Alors qu’ils avaient entamé l’ascension des marches vers le palais, des cliquetis métalliques se firent entendre au loin. L’index sur sa bouche, le capitaine leva la tête, entre les grilles d’aération la ville au-dessus d’eux semblait s’agiter. Avait-il été aperçu? Dénoncé?
Des ombres passaient devant les barres métalliques couvrant la lumière, stoppant les rayons lumineux et créant des ombres monstrueuses à la surface de l’eau croupie. Des éclats de voix, des gens qui courent, des cris, des pleurs, il était impossible pour les Dafladiens de percevoir ce qu’il se passait réellement au-dehors. Ainhoa fit signe à Erel et Bahn de continuer. Peu importe ce qui agitait la capitale, rester planté là ne les aiderait pas à comprendre. Elle s’activa, prit la tête de la marche et gravit les marches à la hâte en espérant qu’il ne serait pas trop tard.
La troupe suivit son leader. C’est à la hâte, essoufflés et inquiets, que les rebelles ouvrirent la porte secrète, le deuxième passage pour entrer dans le palais.
La porte s’ouvrit lentement, un coup d’œil dans les environs puis le groupe entra dans les caves du palais. De gros tonneaux en bois, l’obscurité, le silence et la poussière les accueillirent. Ainhoa connaissait les lieux par cœur, elle savait comment rejoindre la salle du trésor mais pour cela ils devraient traverser une bonne partie du palais, du moins toute une aile.
En effet, même en étant les plus discrets du monde, ils devraient affronter des soldats Astéens, un combat attirerait l’attention et donc la traversée vers la salle au trésor serait donc compromise. Ou plus périlleuse. Le capitaine suggéra une alternative qui ne ravissait pas la souveraine du Daflad, Bahn et Erel partiraient affronter des soldats et les dirigeraient à l’opposé de la direction que prendrait la princesse et les contrebandiers.
— C’est trop risqué ! On ne sait pas combien ils sont là-dedans. Vous ne tiendrez pas face à tout un escadron d’Impériaux, protesta Ainhoa.
— Ils mettront du temps à arriver, ils ne connaissent pas le château aussi bien que moi. Nous trouverons des chemins qui nous donneront l’avantage sur nos ennemis, notre priorité est votre survie, ma Reine, argua Bahn d’une voix chaleureuse.
— Votre rôle est de me protéger ! Je vous interdis de quitter votre poste, s’énerva la reine, les yeux rougis.
— Je vais le faire, coupa Red-An.
Les rebelles se tournèrent vers le contrebandier. S’il y avait bien une chose qui ne le définissait pas, c’était le courage. D’où le fait que tous le regardèrent avec des yeux ahuris, incertains de ce qu’ils venaient d’entendre.
— J’ai dit que j’allais le faire. Visiblement, la reine-mère n’en a rien à faire du gentleman que je suis ! Et elle a raison, il vaut mieux que son capitaine reste près d’elle en cas de conflit, ricana Red-an.
— Alors je te suis, ajouta Duskara, sa plus fidèle amie.
— Vous ne connaissez pas le château, c’est du suicide ! S’exclama Bahn avec inquiétude.
— C’est vrai, alors j’irai aussi, renchérit Erel. Sa Majesté a besoin de protection, avec toi à ses côtés ça devrait être suffisant.
— Erel ? Tu ne connais pas vraiment cet endroit non plus, à quoi est-ce que tu joues !
— Hé ! Il n’y a pas qu’un seul héros en Idalyce, va falloir que tu nous fasses un peu confiance, cap’taine, s’amusa Red-an en adoptant son sourire le plus dramatique.
Bahn protesta quelques instants encore mais finit par céder. Ces compagnons avaient pris leur décision et aussi terrifiant que cela puisse lui paraître, il se devait de leur faire confiance. Ainhoa ne s’attendait pas à ce qu’ils risquent leur vie pour elle. Le groupe qu’ils formaient était récent et de nombreuses querelles les avaient aussi bien éloignés que rapprochés, mais la reine n’imaginait pas qu’ils s’étaient autant investis à sa cause.
— Je n’oublierai jamais votre geste, quand tout ça sera terminé et que j’aurai récupéré mon trône, je vous récompenserai comme il se doit, s’enquit Ainhoa en joignant ses mains sur sa poitrine.
— J’y compte bien, princesse ! lança Red-an en adressant un clin d’œil en direction de la souveraine.
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