11.1 Hadès
La bataille battait son plein à l’extérieur du palais royal de Zhelès. Les rebelles marchaient devant le juge Blasius, désarmés et l’air grave. En passant devant les grandes fenêtres voûtées du château, des éclairs de feu et de lumière illuminaient leur passage, étirant leurs ombres sur les murs en pierre rouge de la bâtisse. Le juge qui les accompagnait avait son épée en main pointant en direction du convoi de prisonniers. Il observait attentivement les captives, s’attardant sur le bas de leur dos en se léchant les babines.
En parallèle, l’esprit de Red-an cherchait une issue de secours, un subterfuge qui leur permettrait de fuir. Il savait que les cristaux primordiaux ne devaient pas atterrir entre les mains du fils de l’Empereur et pour éviter que cela n’arrive il devait faire échapper Ainhoa. Alors qu’il cogitait, il perdit la notion du temps et en un battement de cil ils se retrouvèrent dans la salle du trône.
Un grand hall de la même forme que celui du sanctuaire, long, haut soutenu par des colonnes en pierre striées, une coupole ornée de joyaux et un trône devant une baie vitrée aussi haute que les murs offrant une vue sur la ville dévastée.
Un homme avec des cheveux noirs de jais lui couvrant les épaules et un costume de bonne manufacture noire se trouvait devant le trône, tourné vers l’extérieur une main sur le dossier du siège royal. Dans son autre main, un cristal luisait d’une douce lueur orangée. De l’autre côté du trône se trouvait un homme en blouse blanche, les cheveux ras poivre et sel et des lunettes rectangulaires sur le nez qui tenait également une pierre entre ses mains.
Erel stoppa sa marche et fit légèrement un pas en arrière. Elle se souvint de la conversation qu’elle avait eue avec le scientifique fou, la mort des prisonniers dans les cercueils métalliques et enfin la menace qu’il représentait.
Blasius, qui était dans son dos, la poussa violemment pour la faire avancer. Alors que les rebelles se trouvaient à quelques pas des deux Astéens, le magistrat leur ordonna de s’agenouiller. Aucun ne coopéra. Le juge frappa avec son talon l’arrière des genoux de Bahn puis de Red-an, suivi de Duskara et enfin d’Erel. Avant qu’il ne puisse toucher Ainhoa, il fut stoppé par un geste de l’homme aux cheveux noirs. Il avait simplement levé la main, toujours tourné vers l’extérieur, mais cela suffit à arrêter son subordonné.
La reine fronça les sourcils, sa mâchoire était serrée et ses narines retroussées. Elle n’avait pas besoin de le connaître ou de l’avoir déjà vu pour savoir qui se trouvait face à elle, Vaik Draxak d’Astéa. Grâce à Erel, elle avait compris que c’est lui qui fomentait toute cette guerre et il était donc le seul à blâmer. C’est à cause de lui qu’elle avait perdu son père et son mari, c’est de sa faute si elle n’avait plus de trône et que son royaume agonisait.
Tenant fermement son cristal entre ses mains, l’Impérial se tourna vers ses prisonniers. Ses grands yeux noirs se plongèrent dans le bleu de ceux de la reine, son regard malicieux heurta la monarque qui ne souhaitait qu’une chose, lui enfoncer une dague dans le cœur. Le Draxak s’avança, d’un pas très lent, vers les captifs en souriant. On ne voyait pas ses dents, seulement des lèvres fines étirées sur tout son visage, cela lui donnait un air menaçant.
Le scientifique ne se tourna pas, il semblait chuchoter à quelqu’un que personne ne voyait. Red-an ne quittait pas Cidolfus des yeux.
— Ma reine, je vous souhaite la bienvenue dans votre palais. Cela fait longtemps que je souhaitais vous rencontrer. Quelle force, quelle détermination ! Vous êtes digne de votre titre sans nul doute, scanda théâtralement Vaik.
— Laissez mon peuple tranquille ! Vociféra la reine Dafladienne, le menton levé.
— Mais j’y compte bien. J’ai un marché à vous proposer.
— Il n’y a pas de marché avec les Impériaux, vous allez payer pour ce que vous avez fait à mon peuple, cracha Ainhoa entre ses dents.
— Allons, cela n’est pas dans l’intérêt de votre royaume. Seriez-vous donc tant que ça aveuglée par votre vengeance ? Qu’est-ce que cela dirait de vous ? Que retiendra l’Histoire de notre petite conversation ?
Ainhoa grinça des dents, l’air condescendant de son interlocuteur acheva de la faire sortir de ses gonds. Elle saisit le cristal aube qui était dans sa sacoche. Le juge Blasius leur avait fait jeter leurs armes mais n’avait pas pris la peine de les fouiller, grosse erreur pensait la reine.
Elle pointa le cristal brillant vers Vaik et le menaça. L’Impérial en fit de même avec son propre cristal.
— Réalisez-vous seulement ce que vous faites, Majesté? lança Vaik d’un ton défiant.
— Je vais vous anéantir! s'exclama la Reine.
— Vous ne savez même pas vous en servir, je vous en prie, ressaisissez-vous, se moqua Vaik d’un air sarcastique en relevant ses sourcils.
La Dafladienne ne pouvait pas contenir sa rage face à l’homme responsable de toutes les calamités qui s’étaient abattues sur elle. Bahn tenta également de l’arrêter tout comme Duskara, mais Blasius les écarta et frappa de nouveau leur jambe.
La reine tenta d’extirper le magus de la pierre, elle se concentra et la lueur émise par le cristal aube s’intensifia.
Cidolfus se tourna soudainement, les yeux écarquillés, paniqués, et hurla à la souveraine de cesser. Les sourcils de la régente tressaillirent, surprises par l’ordre désespéré du scientifique, mais elle n’arrêta pas pour autant. Elle ne voyait plus que Vaik, elle se concentra uniquement sur lui, fixement, intensément. L’homme lui jetait un sourire narquois, carnassier et vicieux qu’elle souhaitait par-dessous tout lui arracher.
Devant ses yeux, une silhouette floue, brumeuse, avec un visage de pierre inexpressif taillé dans le plus blanc des marbres. Cette chose n’avait pas de jambes, uniquement un tronc translucide, ni homme ni femme, avec des membres supérieurs fins et articulés comme ceux des humains. La Chose surprit la Reine, qui laissa échapper un cri entre ses lèvres entrouvertes ; elle lâcha le cristal qui tomba et roula à ses pieds. Arrachant le Draxak de son duel, l’Ectoplasme resta entre les duellistes, ses bras fantômatiques le long de son corps. Une voix s’éleva dans la salle du trône, à la fois lointaine et proche, fluette et forte, féminine et masculine, douce et sévère, étrangère et tellement familière. C’était peut-être un millier de voix ; les rebelles n’en étaient pas certains. Elle faisait penser à celle du Pontife, une voix éthérée, immatérielle et lointaine.
— Les cristaux ne sont pas faits pour être utilisés de la sorte, argua le Monstre d’un ton grave et solennel.
Alors qu’il parlait, ses lèvres restèrent figées, son visage ne s’articula d’aucune expression. L’Homoncule flottait dans les airs, s’élevant à hauteur humaine, il faisait face aux rebelles. Cidolfus le rejoignit d’un pas pressant, snobant les humains face à lui et s’extasiant devant l’être supérieur qui le fascinait tant. Il chuchota quelques mots, inaudibles pour les captifs. Lorsqu’il eut terminé sa phrase, le scientifique daigna se tourner vers les insurgés, souriant de la même manière malsaine que lorsqu’il rencontra Erel pour la première fois.
— Je vous présente Hadès, illustre représentant des Vexens. Il est le responsable de son peuple, commença Cidolfus puis se tournant vers l’être éthéré il ajouta. Vous ne devriez pas vous montrer maintenant, ils ne sont pas dignes de votre présence.
— Il faut qu’ils comprennent. Reine du Daflad, je sais que vous avez souffert, je reconnais dans vos yeux la haine et la tristesse. Je ne peux vous rendre ce que vous avez perdu, mais comprenez, ceci est pour restaurer l’ordre, la paix et l’harmonie dans notre monde, se justifia la Chose d’un ton plat et dérangeant.
— L’harmonie au prix de notre libre-arbitre ? Il en est hors de question ! Nous resterons les maîtres de nos destins ! s’écria la reine.
— Qu’est-ce que le libre-arbitre, votre Majesté ? Interrogea l’entité calmement.
— C’est de faire ses propres choix ! Nous ne sommes pas vos marionnettes ou vos esclaves !
— Des choix ? Qui sont les humains qui peuvent se targuer d’avoir le choix si ce ne sont les monarques de vos nations ? Pensez-vous qu’un paysan fait le choix de se ruiner la santé pour vous fournir tous vos mets, un infirmier qui soigne jours et nuits les soldats mourants que VOUS envoyez à la guerre, un enfant orphelin qui n’a d’autre choix que de mendier ? Qui a réellement le choix ? Vous autres, humains, vous complaisez dans l’illusion d’avoir le choix mais le destin pèse lourd sur vos épaules. Vous vivez avec des forces que vous ne voyez pas, que vous ne comprenez pas. Et lorsque nous vous proposons d'apaiser vos tourments, alors vous nous rejetez. Ce que je vois, Majesté, ce n’est pas du libre-arbitre, c’est de l’auto-destruction, de l’égoïsme et de la complaisance.
Le monologue du Vexen heurta tous les êtres humains dans la pièce, non pas qu’il usât d’un ton violent ou menaçant. C’est justement par l’absence de tous sentiments dans son dialogue qu’il laissa bouche-bée son auditoire. L’être éthéré n’avait pas la même vision du monde que l’humanité. Son point de vue était pragmatique et froid, vide de toutes émotions.
En l'absence de répartie de la Reine, le Vexen se tourna vers les autres mortels qui le fixaient les yeux écarquillés.
— Nous vous offrons la paix, une justice que vous ne pouvez atteindre par vous-mêmes car corrompus par vos émotions. Nous sommes impartiaux, justes et bienveillants envers l’humanité. Nous sommes les conservateurs et la Justice de la planète. Ne rêvez-vous pas de reprendre le contrôle de vos terres, Majesté ? Et vous, commença-t-il en tournant son visage de marbre inexpressif vers Erel, ne souhaitez-vous pas vivre avec l’être aimé ? Tout ceci est possible, nous pouvons réaliser vos souhaits.
— Ça suffit ! Le coupa Red-an. C’est de la folie, vous n’êtes rien ! Le Pontife nous a prévenus, ne vous laissez pas…
Blasius frappa la tête du contrebandier avec force, lui faisant perdre connaissance. Le Vexen ne devait pas être coupé et ce n’était pas une façon de parler à un Dieu. Cidolfus observa l’être désormais inconscient, il esquissa un sourire en redressant ses lunettes de son index. Il reconnut le contrebandier qui n’en fut pas toujours un ; il ordonna à Blasius de frapper avec modération son spécimen. Duskara fronça les sourcils et laissa échapper un grognement. Erel savait ce que cela signifiait : Red-an était une victime de ce scientifique fou et il avait réussi, tout comme elle, à s’échapper.
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