C11.3 Justice
Hadès poursuivait son chant alors qu'autour d'eux les murs éclataient et étaient remplacés par des parois translucides. Le plafond se fendit et ils furent écrasés par la vitesse, ils étaient sur une sorte de plateforme transparente sur laquelle se dessinaient des sceaux de couleurs bleue, rouge et jaune, tournoyant frénétiquement. Tous les êtres humains étaient à genoux et attendaient que l'ascension prenne fin alors qu'ils avaient du mal à respirer tellement leur cage thoracique était comprimée par l'accélération.
Au sommet de l'édifice cristallin, la plateforme s'arrêta subitement, renversant les êtres humains alors que le Vexen volait élégamment au-dessus du sol. Le chant s'arrêta mais leurs oreilles bourdonnaient encore, ils agitaient leurs bras et leurs jambes pour se redresser devant le regard froid et vide d'Hadès.
— Je vous remercie pour votre aide à tous, nous allons reprendre notre place. Désormais, l'ordre sera ramené dans notre monde, souffla la voix du Vexen dans l'air comme une légère brise douce et agréable. Il est temps de nous séparer, sans doute ne nous recroiserons-nous jamais, mais sachez que je vous réserve un meilleur avenir. Votre récompense sera à la hauteur de vos efforts, vivez en paix, humains.
Le Vexen leva le bras une nouvelle fois, les sceaux de couleur se positionnèrent sous chaque groupe d'êtres humains. Le bleu sous Ainhoa, Bahn et Blasius, le rouge enroba Gaven, Lysandre, Erel et Vaik puis le jaune aspira Duskara, Red-an et Cidolfus.
Chaque sceau se déplaça avec aisance entre les multitudes de faces cristallines, en haut, en bas, à gauche ou à droite. Chaque groupe se retrouva dans des zones différentes du cristal-mère qui s'étendait encore sur la ville de Zhelès.
*
Le sceau bleu recracha ses victimes dans une zone sombre du cristal. Les ténèbres dégoulinaient le long des parois de verre poli, un liquide visqueux et noirâtre qui inondait petit à petit la salle dans laquelle Ainhoa, Bahn et Blasius furent expulsés.
— Ce que j’aime chez les Vexens, c’est qu'on n'a pas besoin de grands discours pour connaître leurs intentions, commença Blasius en ricanant. Il a choisi une excellente arène en plus, pour notre grand final.
Ainhoa fronça les sourcils et serra les poings. Bahn se positionna devant sa souveraine d’un geste protecteur.
La voix d’Hadès s’éleva dans l'arène.
— La Justice est une des vertus de la Souveraineté. En tant que future souveraine du Daflad, Ainhoa Thal’en du Daflad, vous devrez choisir la voie la plus juste, entre le bien et le mal, l’équilibre. Celle qui sera bonne pour votre peuple. Je vous offre l’occasion de prouver votre valeur!
Le liquide s’articula, il semblait répondre à un ordre venu de l’être magique. Le fluide se déplaçait en ruisselant, il suivait une seule direction, celle de Blasius. La liqueur noire entoura l’armure du juge qui se mit alors à pousser des hurlements. La solution s’accumula entre les plaques de métal et pénétra dans le corps de l’homme de loi par la bouche, le nez et les oreilles. L’Astéen tomba au sol alors que l’eau noirâtre continuait à l’assaillir le recouvrant complètement.
Les yeux écarquillés, le souffle coupé, les deux Dafladiens regardaient la scène avec effroi, ils ne comprenaient pas réellement les mots du Vexen.
— Affrontez votre Justice et repentez-vous de vos crimes, Majesté, ce n’est que vierge de tout délit que vous pourrez accéder au trône que vous chérissez tant, expliqua la voix de l’être éthéré.
Ainhoa cherchait la présence de la Monstruosité dans la pièce mais il n’était pas là, sa voix voyageait à travers tout le cristal et c’est alors qu’elle pensa à tous ses compagnons. Ils avaient été séparés, seraient-ils tous soumis à une épreuve ?
Le fluide noir s’évapora autour de l’armure, celle-ci était marquée de symboles rougeoyants, le pantin désarticulé s’anima de nouveau de gestes déshumanisés et désorganisés.
Le magistrat était désormais Justice, ses bras métamorphosés en une longue lame rouge et l’autre en marteau doré. La partie du heaume qui permettait à Blasius de voir était couverte d’un bandeau visqueux, noir et épais. La Justice était aveugle, impartiale et punitive. Les deux Dafladiens se retrouvaient face à un maudit, créé spécialement pour tester la reine Ainhoa.
Le juge Astéen était désormais dans l’incapacité de voir ou d’émettre le moindre son, la liqueur sombre du Vexen avait traversé ses yeux et percé ses globes puis s’était infiltrée dans sa bouche, s’écoulant le long de son pharynx et enfin étranglant ses cordes vocales. Après la transformation, homme il ne restait plus, Justice n’était pas un être humain. Une chose était sûre pour les Dafladiens, cette Chose était une menace.
La disparition de l’eau noire et visqueuse avait révélé un paysage translucide, lumineux et infini. Ils avaient l’impression de flotter comme dans l’espace mais pourtant leurs pieds étaient posés sur une surface soumise à la pesanteur. Ils tenaient parfaitement sur leurs jambes et pouvaient marcher comme sur n’importe quel endroit de la planète. La reine et son capitaine étaient désorientés, l’agencement de la zone n’avait rien de rationnel et elle ne faciliterait pas leur affrontement contre Justice. Aucun lieu où se mettre à l’abri, où se cacher, où fuir.
Blasius se mit à bouger en mouvement saccadé comme une marionnette, ne pouvant plus parler, un souffle bruyant et rauque s’échappait de la bouche de la Chose qu’il était devenu. Le bras-épée au-dessus de la tête, il allait asséner son premier coup sur Bahn qu’il ne distinguait plus derrière son heaume voilé.
La reine eut à peine le temps d’extraire son capitaine de cette situation par la force que l’épée tomba et fendit l’air comme un éclair, le choc de la lame sur le sol qu’ils ne voyaient pas rugit et vibra telle la foudre. La marionnette paraissait lente mais ses coups étaient extrêmement rapides. L’équilibre.
La souveraine Dafladienne comprit, tout était équilibre dans la pièce. La lumière comme les ténèbres ou encore la vitesse et la lenteur. Le Vexen n’avait pas menti sur les conditions de son épreuve, la reine devrait trouver son équilibre. Cela ferait-il d’elle une bonne régente ? Sans doute pas, mais visiblement Hadès avait une idée bien précise de ce qu’il adviendrait de la descendante du Daflad.
Bahn se redressa et tenta de frapper son assaillant alors qu’il avait survécu de justesse à son premier coup. La carcasse du juge se tordit, fracassant les os de la colonne vertébrale du magistrat en lui arrachant un souffle douloureux et désespéré. À l’intérieur de l’armure, l’âme de Blasius souffrait, hurlait et implorait que son supplice cesse.
Malgré toutes les choses que le capitaine avait vues, les râles étouffés et le bruit des os brisés de son ennemi lui extirpèrent un haut-le-cœur. Le soldat n’était pas du genre compatissant mais le sort du juge était peu enviable. Aussi détestable soit-il, Blasius ne méritait pas une telle fin aux yeux de Bahn.
En revanche, Ainhoa se délectait secrètement de cette misère, elle appréciait chaque souffle désespéré du général Astéen. Elle avait imaginé pendant des années, le plaisir que chacun de ces généraux avait pris lorsqu’ils assassinaient des individus de son peuple. Alors, à ce moment-là, elle savourait la torture qu’il subissait.
Deux avis divergents et aucun des deux ne leur permettrait de s’échapper de leur prison au mur infini et invisible. La Justice pour seule compagnie, le duo se protégea des assauts permanents de cette dernière sans comprendre pourquoi ils étaient frappés ou ce qu’ils devaient faire face à ce maudit.
— Comment peut-on affronter cette Chose sans arme ? geignit la reine du Daflad.
— Je n’en ai aucune idée, mais d’après le Vexen, ce n’est pas l’affronter la solution, raisonna Bahn.
— Alors on doit se laisser transpercer par cette bête et mourir ?
— Vous devez vous repentir, affirma le capitaine à la hâte en esquivant un nouvel assaut de l’ennemi.
— Mais pour quelle raison ? Je ne vois pas quel crime j’ai commis, c’est à moi que l’on a tout pris, ce n’est pas à moi de me confesser ! S’énerva Ainhoa.
Justice frémit, un frisson qui secoua toute l’armure noire puis le marteau frappa le sol invisible fracassant les oreilles des Dafladiens. La lumière s’assombrit, l’infini sembla se rétracter sur lui-même. La pression dans la pièce augmentait lentement, comprimant le corps des rebelles.
Bahn supplia la reine de se rétracter de se repentir sur n’importe quelle crime qui pourrait satisfaire Justice.
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