C11.4 Pardon & Liberté
Dans une salle lointaine, un autre groupe de héros avait été transporté. Recrachés par un sceau rouge, Gaven, Lysandre, Erel et Vaik s’écrasèrent sur un sol rugueux, poussiéreux et chaud. Chacun d’un côté de l’arène qu’Hadès avait savamment agencée pour eux. Lysandre face à Vaik et Erel face à Gaven.
Ils reprirent leurs sens rapidement, Erel s’arrêta d’un air abasourdi face à Gaven, la culpabilité et la tristesse lui rougissaient encore les yeux. Le juge master ne savait pas comment réagir alors que Vaik se trouvait non loin, il ne voulait pas qu’il utilise Erel contre lui. Dans l’indécision, il resta statique, complètement immobilisé.
L’inaction n’était pas le genre de Lysandre qui n’hésita pas à s’avancer vers son frère aîné pour lui demander des comptes. Les sourcils froncés, les poings serrés, il articula difficilement une phrase accusatrice entre ses dents. Vaik se tenait droit devant lui et le regardait de haut au sens propre comme figuré. Il ne pensait pas avoir à se justifier de quoi que ce soit devant son petit frère. Il ne pouvait pas comprendre car il était trop jeune à ses yeux.
Autour d’eux, une lumière aveuglante s’élevait de plus en plus, réchauffant par la même occasion la zone dans laquelle ils se trouvaient. Un espace désertique et peu accueillant. Pour s’échapper, un seul moyen, que le Vexen allait leur expliquer.
- L’Amour, le moteur de votre espèce. Il est la source de conflit ou de charité. Je vous offre l’opportunité d’exploiter les deux facettes de cet amour que vous adulez tant. Pour traverser ce désert, seule le pardon pourra éclairer votre route.
La voix du Vexen raisonna dans la tête de tous les protagonistes, elle leur indiqua ce qu’ils devaient faire mais les êtres humains se toisaient avec méfiance et n’étaient pas sûrs de la marche à suivre.
Face à face, le groupe ne partait pas sur une bonne dynamique. Culpabilité, haine et rancœur étaient surtout les sentiments qui planaient entre eux et plus ils se détestaient et plus le chemin s’effaçait à leurs pieds. La poussière blanche recouvrait leur pas et voilait la bonne direction, sans doute voyageraient-ils éternellement dans ce désert s’ils ne trouvaient pas un consensus entre eux. Mais comment pouvaient-ils se pardonner, s’aimer les uns les autres?
Lysandre adulait aveuglément son frère, à l’inverse, son aîné ne le voyait que comme le jeune loup de la portée : téméraire et juvénile. Erel adorait Gaven, mais elle était incapable de soutenir son regard, de lui pardonner et de se pardonner. Qu’est-ce que l’amour véritable lorsqu’il est voilé d’interprétation et d’idéalisme?
Vaik se tenait droit, les mains derrière le dos, examinant ses pas qui s’effaçaient dans le sable en occultant la présence de tous les autres protagonistes. Pour lui, la priorité était de réussir l’épreuve pour rejoindre le Vexen et devenir un Dieu. C’est ce qu’il lui avait été promis par Hadès. Hélas, il ne connaissait pas le sens de cet amour véritable. Il n’avait jamais aimé, du moins pas dans le sens où l’on peut l’entendre dans les comédies romantiques. Il avait toujours vécu pour accomplir un plus grand dessein, celui de sauver l’humanité d’elle-même, de devenir le dirigeant qui changerait le monde. Il avait aspiré à des choses bien plus grandes et complexes que la plupart des autres Empereurs avant lui.
Jeune, il avait toujours connu la guerre et avait vu son père lutter pour conserver sa place d’Empereur dans une Astéa dévastée et stigmatisée par les conflits ultérieurs. La guerre civile avait failli frapper mais par d’astucieuses combines, Emett, son paternel avait réussi à étouffer la rébellion. C’est une chose qu’il avait toujours admirée chez lui.
Seulement, la guerre était inévitable. Astéa était une contrée désertique, pauvre en ressources avec une terre difficilement cultivable. Le territoire semblait maudit et allait les mener à de nouveaux affrontements, si ce n’était pas pour les territoires ce serait pour les ressources. Alors, une idée naquit dans la tête de Vaik : et si on imposait une paix universelle avec harmonisation des ressources sur l’intégralité des territoires du continent?
L’idée plantée dans son esprit, il eut le temps de la mûrir de par son apprentissage, des discussions avec son sage père mais aussi grâce à sa rencontre avec Cidolfus. Le scientifique travaillait sur une nouvelle forme d’arme basée sur l’utilisation du cristal primordial qui se transmettait d’Empereur à Empereur. Jusqu’ici, personne ne pensait se servir de ce caillou qui était davantage un bijou royal qu’un réel pouvoir à utiliser. C’est grâce au scientifique fou que la véritable utilité et la dangerosité de ce “bijou” furent percées. Hadès en sortit et conforta l’ainé Draxak dans ses idées, il l’aida même à la concrétiser et lui proposa de devenir un Dieu. Un statut qui lui permettrait d’imposer cette paix et cette harmonie grâce à la puissance qu’il lui offrirait. Cependant, en échange, il devait l’aider à faire renaître son peuple. Un marché que Vaik ne put refuser.
La discorde ébranla le quatuor, la poussière se soulevait au loin en tempête. Plus ils avaient de désaccord et s’ignoraient plus la tempête s’approchait d’eux. Lysandre tenta de raisonner son aîné alors que du côté d’Erel et Gaven la conversation semblait également difficile.
La Belligérante hésita, affronter le regard de son fiancé était difficile même si elle ne le voyait pas sous son heaume. Ce dernier était silencieux, il avait eu le temps d’imaginer Erel dans les bras de son frère après leurs retrouvailles, elle était peut-être plus amoureuse de lui finalement? Et il se souvint, la douleur qu’il avait ressentie lorsqu’à son réveil au château d’Astéa il s’était rendu compte qu’elle avait fui. Une douleur sourde, une absence insoutenable. Maintenant face à face, il avait envie de la serrer dans ses bras et en même temps de la fuir pour ne plus jamais ressentir ce vide.
*
Le dernier groupe fut transporté dans une zone humanisée, du métal recouvrait les parois et le sol était en pierre mal taillée. L’éclairage était fourni par un plafonnier dont l’ampoule grésillait à intervalles réguliers, une lampe de bureau posée sur une table vide offrait un deuxième éclairage.
Red-an reprit conscience après le coup que le juge lui avait asséné derrière la tête, il s’appuya contre le mur pour se redresser et sa main passa entre deux barreaux en métal.
En observant la pièce avec plus d’attention, il comprit, ils étaient dans une cage. Duskara aida son ami de toujours alors que face à eux s’élevait le corps de Cidolfus Continius Arch. Il tenait encore fermement son cristal artificiel entre les mains.
Les contrebandiers cherchèrent rapidement une sortie mais la cage ne comportait pas de porte ni de verrou. Aucun subterfuge ne permettrait au duo de voleurs de s’extirper de cette situation. Pendant ce temps, le scientifique regardait la zone avec son pragmatisme habituel. S’il n’y avait pas de sortie apparente alors qu’ils avaient tout de même été placés à l’intérieur, cela ne pouvait signifier qu’une chose, c’est que la cage s’est construite autour d’eux. Un piège ou une arène. Le maître du Labyrinthus s’interrogea en frottant sa barbe grisonnante.
Bientôt, Hadès allait confirmer ses pensées mais aussi leur annoncer les modalités de leur épreuve.
— La Liberté, le destin n’a jamais emprisonné les êtres humains, d’ailleurs, la pire des cages est celle que l’on s’impose à soi-même. Vous qui chérissez tant votre liberté, je vous donne l’occasion de la saisir pleinement, de vous libérer de vos chaînes afin de pouvoir avancer et ainsi accomplir votre véritable destinée. Humains, saisissez la Providence et déployez vos ailes.
Les barreaux en métal vibrèrent au son de la voix du Vexen. Pour s’échapper, il suffisait de le vouloir ? Cette ironie arracha un sourire à Red-an qui n’appréciait pas ce genre de coup du destin et encore moins la façon qu’avait la Créature éthérée de jouer avec leur vie. Comme de vulgaires pantins, Hadès les avait placés sur un échiquier et attendait de voir comment réagirait chaque pièce.
— J’espère que vous vous délecterez du spectacle, ricana le contrebandier de sa voix chaude et douce habituelle.
Il occultait complètement la présence du scientifique dans la pièce. Mais ce dernier ne fit pas de même, il redressa ses lunettes en l’observant et croisa les mains dans son dos.
— C’est bien toi, quelle chance mon petit spécimen.
Red-an grimaça, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas entendu la voix de cet homme et il était plus mal à l’aise que jamais enfermé avec lui entre ces barreaux. Cela lui rappelait de mauvais souvenirs.
— Je ne suis plus ton cobaye, vieux cinglé, rétorqua le contrebandier calmement alors que son sang bouillonnait dans ses veines.
— Bien sûr que si, tu es moi. Ton développement ne s’est pas passé comme je l’aurais souhaité cependant, quel échec intéressant. Je me demande quel paramètre j’ai omis d’ajouter dans mes calculs ?
Comme à son habitude, cette question posée par Cidolfus à voix haute n’attendait aucune réelle réponse. Il réfléchissait tout haut devant son auditoire. Red-an prenait grand soin d’éviter le regard du scientifique, il savait ce qu’il sous-entendait et avait peur d’entendre de nouveau cette réalité à laquelle il avait dû faire face il y a quelques années de cela.
Duskara restait en retrait, son regard attentif sur son compagnon. Elle savait que le vieux fou était la nemesis de son allié et elle souhaitait l’aider. Cependant, elle attendrait son signal. La Madows savait que c’était un homme dangereux, du moins d’après les dires de son ami, elle était donc sur ses gardes.
— Des chiffres, des cobayes, des règles... tu as oublié le plus important, vieil homme, reprit Red-an en fixant ses yeux azur sur son interlocuteur.
— Le plus important ? Le... plus... important ? Répéta Cidolfus en accentuant les mots.
— Tu ne vois pas, ce n’est pas étonnant. Si je suis toi, alors dis-moi, quand as-tu cessé d’être humain ?
— Quel non-sens ! Je n’aurais jamais pensé avoir cette conversation avec moi, quel gâchis, souffla le scientifique las de cet échange.
Red-an siffla entre ses dents puis ignora le scientifique pour se tourner vers sa camarade. Il voulait sortir et pour cela, il leur fallait un plan. Les paroles du Vexen étaient énigmatiques et il ne voyait pas comment il pouvait briser ses chaînes. D’autant qu’il ne voyait pas encore où elles étaient. Très vite, ils en arrivèrent à la conclusion que c’était Cidolfus la clé et la chaîne de Red-an. Duskara se demanda brièvement quelles étaient les siennes ? Si elle était dans cet endroit, alors elle était sûrement là pour une bonne raison également.
Cidolfus tendit le cristal artificiel vers les deux contrebandiers.
— Je vais rectifier mon erreur, comme sur un tableau blanc, il faut tout effacer pour tout recommencer, ricana le scientifique.
Le cristal scintilla entre ses mains, sa lueur se refléta sur ses lunettes rectangulaires masquant ses petits yeux sournois. Il comptait les tuer et utiliser la pierre pour s’échapper de cette prison. Mais, la magie s’évanouit comme absorbée par le cristal lumière lui-même. Le trio comprit que quelque chose s’était produit, le monde avait effectivement changé.
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