C12.1 Bleu

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Équipe Bleue — sept heures avant la chute

Ainhoa et Bahn étaient au sol, écrasés par la pesanteur que le marteau de Justice semblait pouvoir augmenter à chaque fois qu’il touchait l’infini. Leur regard était perdu dans l’immensité luisante, des nuages clairs, des étoiles et des couleurs qui se mélangeaient dans ce qui pourrait faire penser au paradis. Il aurait pu l’être si la seule présence de Justice n’était pas une menace pour les deux Dafladiens.

La reine avait tenté de se libérer de ce poids physique en évoquant certains de ses crimes comme l’avait suggéré Hadès mais, à chaque fois, le marteau de l’ancien juge tombait violemment sur le sol. L’apesanteur devint si lourde, que les Dafladiens ne pouvaient plus bouger, écrasés par leur propre poids. Ils étaient cloués sur un sol qu’ils ne voyaient pas, et observaient la masse nébuleuse et céleste se déplacer alors qu’ils semblaient léviter au-dessus d’elle.

La pesanteur n’avait aucune prise sur Justice ; il se déplaçait aisément, menaçant de l’épée qui lui servait de bras les membres des Dafladiens. Face à Bahn, le maudit Astéen leva sa lame une fois de plus, visant n’importe quelle partie du corps du capitaine, qu’elle soit vitale ou non ; la lame s’abattrait sur sa victime aussi rapidement que l’éclair.

Bahn ferma les yeux, le souffle lourd et rapide. Le capitaine savait qu’il ne pourrait pas esquiver ce nouvel assaut. Un terrible claquement métallique et bruyant heurta leurs oreilles ; la foudre s’était abattue et emporta dans son sillage le bras gauche du capitaine.

Aussitôt après le grésillement, une douleur vive, brûlante, lancinante embrasa le corps de Bahn qui hurla. Ainhoa écarquilla les yeux, des gouttes de sang avaient souillé son visage alors que son capitaine se voyait allégé d’un de ses membres. Elle comprit ce qu’il s’était passé même si elle ne pouvait pas le voir ; sa tête était trop lourde pour pouvoir se tourner, mais elle savait. Elle supplia tout de même Bahn de lui expliquer ce qu’il se passait, de lui parler et finalement, de la rassurer, mais celui-ci n’en était pas capable. Il grommelait, haletait et respirait très fort.

Justice essuya la lame de son épée sur sa longue cape noire. D’un pas lourd et plus lent qu’au début de sa transformation, le maudit se positionna près de la reine.

— Confesse... souffla le Monstre d’une voix sépulcrale.

— J’ai déjà dit tout ce que j’avais fait, qu’est-ce que tu veux à la fin ! s’énerva Ainhoa.

Le maudit écarta la main gauche de la reine du pied, la lame dressée au niveau de sa tête. Il l’abattit.

De nouveau, la foudre frappa, un nouvel éclatement, et cette fois, l’annulaire gauche de la reine du Daflad vola avant de s’écraser à quelques centimètres. Ainhoa hurla à son tour alors que toute la partie gauche de son corps fut frappée par les morsures de la douleur. L’anneau lisse et doré qu’elle portait sur le doigt qui venait de lui être arraché roula jusque devant ses yeux grandement ouverts, remplis de larmes salines et injectés de sang. Il était tout ce qu’il lui restait de son mari, mort lors de la bataille de Qrita, celle qui avait valu à Bahn d’être trahi par son frère et à Erel d’être captive. Ce petit objet circulaire représentait tout le parcours de la reine, son combat pour venger les êtres qui lui étaient chers, mais aussi tout ce qu’elle avait perdu.

Ainhoa sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, sa colère, qu’elle avait essayé de rendre sourde et muette, grondait en elle. Que devrait-elle perdre de plus pour mettre fin à cette épreuve ?

Justice tourna les talons, repartit vers Bahn et, avant de lever sa lame, demanda de sa voix sépulcrale à la Reine de se confesser. Cette voix était parfaitement calme, libre de toute colère ou d’impatience ; le maudit pouvait faire cela pendant des heures, des jours même. Dans tous les cas, il obtiendrait ce pour quoi il fut créé.

Ainhoa ne lui répondit pas tout de suite, elle chercha, se creusa la tête alors que la peur s’emparait d’elle. Son souffle s’accélérait, l’adrénaline lui piquait le bout des doigts, et son cerveau marchait à toute vitesse.

— Je confesse un crime ! Un crime de trahison envers le peuple Dafladien, s’enquit Ainhoa, la voix tremblante.

Le maudit ne répondit rien, il n’avait pas soulevé son bras-épée non plus, il attendait la suite de la confession de la reine.

Bahn avait de nouveau les yeux clos et s’attendait à perdre un autre membre, la lame froide et tranchante de Justice lui semblait encore très proche.

— J’ai trahi mon peuple. Je n’ai pas créé la résistance pour libérer les citoyens du Daflad, souffla la Reine en pleurant.

— Pour… quoi… expira le maudit difficilement.

— La vengeance.

L’armure de Justice trembla, un soubresaut émit un cliquetis métallique permettant à Bahn de comprendre qu’il ne perdrait pas un membre supplémentaire. La confession semblait fonctionner.

— Réd-emp-tion, souffla difficilement Justice de sa voix sépulcrale saccadée.

La pesanteur redevint subitement normale, les deux Dafladiens pouvaient de nouveau se mouvoir. Ainhoa s’empressa de récupérer son anneau puis de se relever pour rejoindre Bahn. C’est alors qu’elle découvrit qu’il avait perdu son bras gauche, qui gisait non loin du corps auquel il aurait dû rester attaché. La blessure du capitaine était plus grave que la sienne, et la souveraine s’empressa de faire un garrot autour du membre sectionné en utilisant le tissu de ses propres vêtements. Idem pour son doigt, autour duquel elle entoura un tissu normalement immaculé, qui vira immédiatement au pourpre lorsqu’il compressa la plaie sanguinolente.

Bahn se tenait l’épaule, le regard vide et la peau très pâle, il avait perdu beaucoup de sang. Ainhoa se dressa entre le capitaine et le maudit comme pour faire barrage de son propre corps au cas où la créature déciderait de s’en prendre une fois de plus au guerrier.

Justice tressaillit de nouveau, l’armure noirâtre s’ébrécha en plusieurs endroits, elle craqua puis les deux bras de la créature se détachèrent comme s’ils avaient toujours été amovibles. L’âme de Blasius, coincée à l’intérieur de la chose, agonisait, hurlait et suppliait. Si le monstre paraissait insensible à n’importe quelle douleur, ce n’était pas le cas de la personne qu’elle renfermait.

Le tronc sans membres supérieurs tomba à genoux, se tortilla en grinçant et chuintant comme si une corde lui enserrait le cou. Les membres qu’elle avait abandonnés se soudèrent, s’étirèrent et formèrent une balance dorée d’os et de chair.

Le reste du corps s’allongea, l’armure se dissout et laissa place à un énorme serpent aux écailles métalliques et une gueule pleine de crocs courbés en acier. Dans cette bouche ouverte à cent quatre-vingts degrés se trouvait une épée en cristal bleuté, à la lame épaisse et à double tranchant. Un pommeau serti de glyphes rougeoyants couvert d’un tissu d’un blanc immaculé, dans la lame se trouvait une pierre primordiale incrustée : la pierre de l’aube, que la reine n’eut aucun mal à discerner.

Le serpent ne pouvait pas parler et le peu qu’il restait de l’âme déchiquetée de Blasius à l’intérieur ne pouvait plus se manifester. Enroulé sur lui-même et la tête redressée, le monstre tourna ses yeux dorés à la pupille fendue vers ses adversaires en sifflant de sa langue bifide.

— C’est quoi cette chose encore ? râla la Reine.
— Majesté, l’épée dans sa bouche, c’est notre seule chance ! s’exclama Bahn.
— Bien sûr, et comment j’y vais moi là-dedans ?
— Utilisez la balance !

La balance dorée se tenait à équidistance entre le serpent et Ainhoa. Le petit objet doré servirait d’appât pour que la créature ouvre la gueule, permettant ainsi à la reine de s’enfoncer dans le gosier de la bête pour récupérer l’épée qui lui trancherait la tête.

Malheureusement, le serpent avait les prunelles rivées sur ses adversaires et n’attendait qu’un mouvement de leur part pour les empaler sur ses crocs énormes. Ainhoa devait donc agir rapidement, malgré la douleur et la fatigue.

La souveraine prit une grande inspiration, sa poitrine se redressa et elle essaya de s’emparer de tout le magus qu’elle pouvait pour l’accumuler autour d’elle. Le faire exploser ou le consommer d’un seul coup lui permettrait d’accélérer ses mouvements, mais elle devait être très précise dans ses calculs afin d’atteindre sa cible qu’était la balance.

Au moment de l’expiration, le magus s’enflamma autour de la reine qui fut propulsée et se saisit de l’objet convoité. Il était plus lourd qu’il n’en avait l’air ; Ainhoa ne put soulever la balance et se retrouvait figée devant la bête.

Le serpent fit volte-face et se jeta sur sa cible, tout crocs dehors, exposant le cristal de l’aube. Le même cristal qu’elle avait tenté d’utiliser contre les Astéens pour leur faire connaître les mêmes souffrances qu’elle. Ce n’était pas un hasard si ce cristal surgissait de nouveau devant elle.

La gueule du monstre s’écrasa sur sa proie.

Entre ses dents une lumière jaillit, repoussant la bête avec violence. La balance s’était éclairée, protégeant la reine de sa puissance. Elle se mit à vibrer puis à se déplacer dans les airs. Ne lâchant à aucun moment l’objet, Ainhoa se retrouvait ballotée en criant dans la zone, s’accrochant fermement pour ne pas tomber. La reine suivait la balance dans sa course folle. Celle-ci se termina dans la gorge du serpent métallique. Se chargeant de toute la lumière des lieux, la balance explosa au cœur de la bête, éclatant cette dernière en mille morceaux à travers l’espace nébuleux de l’Infini. La reine du Daflad gisait dans les entrailles du monstre, tenant non plus la balance mais l’épée sertie du cristal de l’aube.

Ainhoa se redressa en affichant son dégoût pour le liquide visqueux dans lequel elle baignait. Bahn la rejoignit, il n’avait pas été affecté par la puissance de la balance et avait été témoin de toute la scène.

À ce moment-là, l’Infini s’étendit et un escalier en cristal apparut devant eux, la sortie était sans doute proche. Après avoir dégringolé plusieurs étages du cristal-lumière, ils allaient devoir tout remonter pour affronter Hadès.

Les deux Dafladiens s’élancèrent dans l’ascension, en laissant derrière eux reposer la dépouille de Blasius, juge d’Astéa corrompu par le cristal.

Quatre heures avant la chute...

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