C12.2 Rouge

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Équipe rouge — cinq heures avant la chute.

De leur côté, la fratrie Draxak et le couple Dafladien se retrouvaient en mauvaise posture. Les reproches et disputes incessantes entre les pairs des deux royaumes avaient fait se lever une tempête de sable dont ils ne pouvaient pas se cacher.

Vaik et Lysandre se disputaient sur l’avenir de l’Empire, sur ce qu’il aurait été judicieux de faire pour garantir un avenir radieux. Gaven était frustré, jaloux et malheureux ; l’absence de sa fiancée lui avait été insoutenable. Amer de cette absence, il ne manqua pas de la lui reprocher ainsi que son manque de discernement et la faute qu’elle avait commise en le quittant de la sorte. Il lui expliqua ce que cela aurait pu lui coûter, lui rappela qu’il faisait tout pour leur survie et leur avenir. Chose avec laquelle la guerrière n’était pas d’accord. Erel avait conscience que fuir aurait pu tuer le juge master, mais elle luttait aussi pour leur avenir et pour elle, le plus important était de mettre un terme à ce conflit.

De dispute en dispute, le sable se souleva, des éclairs violacés fendaient le ciel et bientôt le vent fut si fort qu’ils ne s’entendaient même plus rouspéter les uns sur les autres. Au cœur de la tempête, ils furent fouettés par les grains de silice. Gaven enroula sa cape autour d’Erel pour la protéger le plus possible, Vaik saisit son petit frère entre ses bras, qui enfouit son visage contre la poitrine de son aîné.

Malgré les rancœurs, ils étaient de la même famille ou amants et des liens particuliers les unissaient. Alors que leurs chamailleries s’apaisèrent, la tempête se calma également, le sable se reposa au sol attendant un nouveau soulèvement de rage et espérant l’acalmie.

Lysandre serrait son frère contre lui. Son héros ne pouvait pas être aveuglé par le pouvoir et berné par une espèce qui se prétendait divine si facilement. Il rejetait catégoriquement les faiblesses de son aîné et espérait qu’il allait lui annoncer qu’il avait un plan plus abouti. Vaik voyait cet idéalisme comme une faiblesse et plaignait très sincèrement son cadet mais l’enviait en même temps. Il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait pu s’abandonner à tant de candeur. Son père, l’Empereur Emett, était un homme rude et froid, il n’avait jamais autorisé son héritier à s’adonner à ce genre de menues activités. Pour sa majesté, ce qui comptait le plus, c’était que son successeur soit fort et prêt à affronter le peuple et les nobles d’Astéa. Personne ne serait indulgent ; il avait appris très jeune que ce monde était aussi froid et rude que son paternel.

Chose qui avait été épargnée au cadet, Lysandre n’était pas celui qui avait été envisagé comme héritier, trop faible aux yeux de son propre père. Ainsi, il vivait dans l’ombre des actes remarquables de son frère aîné et avait échappé à l’exposition à la cour. De ce fait, le jeune Lysandre n’avait pas eu à affronter les mêmes épreuves que son aîné. Cela les séparait drastiquement. Mais face au danger, à la douleur, Vaik se dressait comme un bouclier pour protéger son petit frère.

— Grand frère, il faut mettre un terme à cette folie, reprit Lysandre d’une voix plus douce.

— Nous ne pouvons pas, tu ne comprends réellement pas ? C’est trop tard, petit frère. Les Vexens vont revenir et nos vies seront plus harmonieuses, expliqua Vaik d’un ton distant et froid.

— Harmonieuses ? Lâcha Erel alors qu’elle écoutait la conversation de ses voisins.

— Ce que l’on mérite nous sera enfin donné, vous ne voyez pas à quel point notre monde est injuste. Les Vexens vont rétablir l’équilibre et grâce à eux, la souffrance de ce monde sera atténuée. Je ne suis pas un idéaliste et je sais que tout ne sera pas parfait. Mais si on peut améliorer la vie de millions, voire de milliards de personnes, contre quelques pertes, n’auriez-vous donc pas fait pareil ? S’indigna l’aîné de la famille Draxak.

— Mais c’est impossible, aucune entité en ce monde ne peut faire ça et qui va évaluer ce que l’on mérite ou non ? Il y aura forcément encore plus d’injustice et de frustration, argua le cadet comme si c’était évident.

— Tu ne connais pas les êtres humains, petit frère. Ils sont cruels mais se contentent du minimum, ils n’auront aucun mal à s’habituer à cette nouvelle condition s’ils y trouvent leur compte. Même la reine Dafladienne pourrait récupérer sa place si elle parvient à passer les épreuves des Vexens.

Lysandre s’extirpa de l’étreinte de son frère et fit quelques pas en arrière, les yeux écarquillés et les lèvres tremblantes. Il ne se souvenait pas avoir déjà entendu son frère parler de cette manière. Il savait qu’il n’était pas un homme très jovial et enjoué, il était même plutôt cynique et pince-sans-rire mais jamais il n’avait été fataliste. Le cadet Astéen n’en croyait pas ses oreilles, son idole avait baissé les bras et offert le destin de l’humanité à une espèce fantomatique par désespoir ? Le jeune homme tremblait de tout son corps, de toute son âme ; il se heurtait à la réalité, une vérité que son juge master lui avait chuchotée délicatement mais qu’il n’avait jamais acceptée. Lysandre pensait réellement que son frère était quelqu’un de bien et de fort, un héros comme il n’en existe que dans les légendes. Le petit garçon dut admettre que les héros, c’est bien pour les histoires mais dans la vraie vie, ils n’existent pas.

— Tu n’es plus un enfant Lysandre, il est temps que tu comprennes. Ce monde est cruel, froid et il t’achèvera si tu lui en donnes l’opportunité. Je suis désolé que tu prennes la chose comme ça, de toute façon je n’attends pas de toi que tu me comprennes, juste que tu ne sois pas en travers de mon chemin. Je te promets de veiller sur toi quand tout sera réglé. Ta place n’est pas à la cour, mais dans une maison pleine d’amour, d’art, de gens comme toi, tout ce que tu ne connaîtras jamais dans notre château à Astéa, reprit Vaik en tournant le dos à son frère.

Erel et Gaven étaient spectateurs de la scène et avaient leurs propres problèmes à mettre sur la table. Mais ce n’était pas la priorité de la belligérante qui voyait là une occasion unique de détruire l’ennemi, celui qui avait causé tant de malheur. Elle saisit la dague accrochée à la ceinture du juge master, s’élança sur Vaik, poignard au-dessus de la tête, prête à asséner un grand coup à sa némésis.

Le magistrat rattrapa sa fiancée en lui saisissant la taille, Lysandre n’eut pas le temps de réagir, encore trop abasourdi par la réalité. Vaik tourna son regard voilé par une mèche noire de jais et fronça les sourcils, défiant la guerrière en pointant la lame de sa rapière vers elle.

— Évidemment, une telle bassesse ne peut être commise que par les barbares Dafladiens, reste à ta place, servante, toi aussi tu pourras avoir ce que tu mérites si tu respectes ton rang, cracha Vaik le coin de la lèvre retroussé.

La belligérante se débattait alors que son fiancé la tenait fermement, l’empêchant d’en finir. La provocation de l’Astéen fonctionna parfaitement sur la guerrière qui s’empressa de fulminer contre lui. D’un rire machiavélique, il mit fin au vomi d’injures d’Erel.

— C’est vrai que je suis la cause de tous tes problèmes ! Crois-tu que j’ai supplié le juge master pour qu’il prenne autant son rôle de général à cœur ? Penses-tu que je l’ai supplié de veiller sur mon petit frère ? Tout cela était de son propre chef. Mais si c’est plus simple pour toi de penser que c’est de ma faute alors soit, je prendrai ta haine, celle de tous les Dafladiens s’il le faut, mais j’accomplirai mon devoir. L’humanité n’est pas capable de se diriger seule, je suis allé chercher le leader dont nous avons besoin. Si l’on doit un jour me le reprocher, si l’histoire ne retient que ma lâcheté, je m’en accommoderai. Mais au moins, les êtres humains seront saufs, reprit Vaik.

— Oh, mais c’est que l’on veut se faire passer pour le héros en plus ! Comment osez-vous dire que vous pensez à l’humanité alors que vous ne pensez qu’à votre petite personne, vos privilèges ! Qu’est-ce que vous savez de la dureté de la vie, vous qui vivez dans un joli petit palais ? Oh... la cour est méchante avec vous, pauvre petite chose, s’exclama Erel hors d’elle et avec cynisme. Vous n’êtes qu’un putain d’égoïste, vous avez embrasé le monde pour assouvir votre égocentrisme, c’est VOTRE place de dieu que vous avez gentiment négociée, le reste de l’humanité vous n’en avez rien à foutre. Nous ne sommes rien à vos yeux, et jamais vous ne serez un dieu.

Vaik avait la mâchoire serrée, les yeux exorbités et le teint rouge de rage, l’impérial contenait sa colère.

Cependant, cet excès de haine souleva une fois de plus les sables du désert. Ils furent balayés, fouettés et réduits au silence. Sauf que les grains de silice s’agençaient de manière différente et devenaient plus gros. En conséquence, la douleur qu’ils causaient était plus grande. Ils commençaient à déchirer les vêtements, brûler la peau, fouetter la chair et ensevelir les corps.

Ce n’est qu’une fois tout le monde calmé que la tempête s’arrêta. Ils s’agitèrent sous le tapis doré qui les recouvrait pour s’extraire et revoir la lumière d’un soleil de plomb. Gaven avait eu le temps d’envelopper une nouvelle fois sa fiancée dans sa cape qui était en partie déchirée après cette nouvelle bourrasque. Lysandre et Vaik ne s’étaient pas approchés l’un de l’autre, le cadet avait repoussé l’aide de son aîné.

— Erel a raison, il faut mettre un terme à cette folie. Peu importe tes motivations, il faut t’arrêter. C’est à moi de te sauver aujourd’hui, je vais te ramener sur le bon chemin, mon frère ! S’exclama Lysandre en saisissant la garde de son épée.

Gaven souffla d’exaspération et tenta de raisonner la fratrie afin de ne pas provoquer un nouvel ouragan tout en tenant fermement le bras de sa compagne qui souhaitait trucider l’aîné Draxak.

— Je vous en prie, on n’ira nulle part en agissant de la sorte ! Si on reste coincé dans ce désert, nos points de vue n’auront aucune valeur et ne pourront pas être défendus, supplia le juge master.

Tous les regards interloqués et toutes les chamailleries cessèrent instantanément pour se tourner vers le magistrat.

— Tu as quelque chose à nous proposer peut-être, juge master ? Ricana Vaik.

— Notre épreuve, c’est l’Amour. Le Vexen nous a parlé de pardon. Je suggère qu’au lieu de nous jeter des accusations et des insultes au visage, nous tentions de nous pardonner. Tous, reprit le général à bout de souffle.

— Gaven, est-ce que ça va ? S’inquiéta Erel.

— Ce n’est rien... il fait un peu trop chaud, c’est tout, rassura le soldat.

Erel cessa de se débattre et retira le heaume du juge master. Son front dégoulinait de sueur, sa peau était rouge et du sable était collé contre ses joues. De sa bouche entrouverte, il respirait difficilement.

Les colériques protagonistes avaient oublié que le soleil montait dans le ciel. Alors qu’il approchait de son zénith, la température dans la zone ne cessait de croître. En plus des tempêtes de sable, ils subiraient dans peu de temps le manque d'eau et la chaleur insoutenable d’un soleil au midi en plein désert. Impossible de savoir lequel des deux était le plus dangereux et ils ne souhaitaient pas en faire l’expérience.

— Il a raison, mourir ici ne fera pas de nous des héros et nous ne pourrons rien empêcher. Je ne sais pas quel genre de pardon est envisagé dans notre situation, mais je préfère chercher une solution avec mon ennemi plutôt que de me laisser mourir, reprit Erel, en soutien à son fiancé.

Vaik dédaigna la jeune femme, bien qu'il soit d’accord avec eux. Faire équipe était le seul moyen de se sortir de cet endroit. Le cadet hocha la tête face à Gaven. Le juge master avait toujours été de bon conseil pour lui, alors il le suivrait une fois de plus. Pourtant, aucun des quatre ne prit la parole. Ils se regardaient et attendaient que quelqu'un se jette à l’eau.

Pardonner n’était pas une chose facile. Il fallait trouver les mots et, évidemment, être le plus honnête possible. La Bélligérante serra les poings, la tête basse. Elle prit la parole, n’osant pas regarder le juge master dans les yeux alors qu’il était si proche d’elle.

— Bon... j’imagine que le pardon se formule à voix haute, non ? Je te demande pardon, Gaven, pour être partie, pour t’avoir abandonné alors que je t’avais dit que je resterais près de toi. Je te pardonne pour avoir rejoint le camp adverse. Maintenant, je comprends à quel point "un camp" c’est futile. Lysandre, j’ai appris à vous apprécier alors que vous êtes un seigneur Astéen. Vous êtes un jeune homme déterminé et futé. Et enfin, Erel stoppa son discours rédempteur quelques secondes en tournant ses yeux sombres vers le dernier Impérial, j’ai pitié de vous, Vaik Draxak. J’ai entendu ce que vous avez dit sur ce monde. Finalement, vous êtes faible. Je ne peux que vous pardonner pour vos faiblesses.

Le sable se souleva sous les pieds du quatuor, mais pas en tempête. Un petit chemin étroit et timide se dessina progressivement sous leurs pieds. Il pointait dans une direction et s’arrêta. Tous devraient pardonner pour voir le chemin se terminer.

Erel avait été la plus honnête possible. Il est évident qu’elle n’oublierait pas les actes et les paroles de Vaik, mais elle comprenait. Au début de toute cette histoire, elle souhaitait mourir sur le champ de bataille. Elle s’en moquait du sort de son pays et des autres royaumes. Elle pensait son fiancé mort et tout le reste n’avait aucune importance. Elle souhaitait le rejoindre. Mais n’ayant pas pu mettre fin à ses jours par ses propres moyens, elle rejoignit le bataillon du capitaine Bahn.

— Erel... ma fiancée, ta fuite m’a énormément blessé. Je souhaitais ne plus jamais avoir à connaître cette douleur. Mais c’est hypocrite de ma part car je t’ai fait bien pire et pourtant tu m’as pardonné. Si tu en as eu la force alors, moi aussi, je te pardonne. Maître Lysandre, je suis désolé que vous ayez à affronter la réalité de cette manière et je vous demande de me pardonner le fait que je n’ai pas su davantage vous protéger. Seigneur Vaik, malgré vos fautes, je ne peux pas vous reprocher vos actes. Sans doute aurais-je pris le même chemin que vous si ce Vexen m’avait soufflé à l’oreille que c’était le seul moyen d’assurer mon avenir avec Erel, continua Gaven.

Le chemin s’étendait de plus en plus.

— Je ne veux plus être celui qu’on protège. Je vous prie de tous m’excuser de ne pas avoir été assez fort. Je ne fuirai plus mes responsabilités, qu'elles soient familiales ou politiques. Je te pardonne, mon frère, de ne pas être le héros que j’ai tant idéalisé. Maintenant je te vois, l’homme imparfait que tu es. Si je t’avais soutenu, tu n’aurais peut-être pas eu la nécessité d’en arriver là. Je vais te sauver, mon frère, je te le promets ! s’exclama Lysandre en lâchant son épée, tendant plutôt la main vers son aîné.

Le chemin s’éloigna, fendit le sable et ouvrit la voie vers la sortie.

— Je vous pardonne aussi d'avoir pensé que j’étais un vil criminel, se contenta d’articuler Vaik d’un ton désinvolte.

Le chemin se resserra et allait se fermer. Sous le regard réprobateur de ses compagnons de désinfortune, Vaik râla et reprit son discours de manière plus convaincante, ouvrant pour la première fois ses pensées à son jeune frère. La tâche lui fut plus complexe, mais la situation pressante ne lui permit pas de faire des manières.

— Je te demande pardon, petit frère. Je n’ai jamais été à la hauteur de tes attentes. Plus tu m’inventais de vertus, plus je m’apercevais que j’en étais loin. Je ne m’excuserai pas d’avoir ramené les Vexens, car je pense réellement qu’ils peuvent soigner l’humanité. Mais je suis désolé pour tout ce que vous avez perdu à cause de la guerre, la vie que vous auriez pu avoir si elle n’avait jamais commencé. J’espère sincèrement que le peuple dieu vous récompensera et vous offrira la vie de couple que vous méritez.

Les lèvres d’Erel tremblèrent, l’émotion s’empara d’elle. Elle ne pensait pas voir le jour où le fils de l’Empereur avouerait ses crimes et chercherait la rédemption. Pourtant, tous avaient une bonne raison de demander pardon et devaient justifier les choix qu’ils avaient faits pour, soi-disant, sauver le monde et arrêter la guerre.

Le chemin acheva sa course, se pavant de pierre grisâtre et invitant le quatuor à le suivre. La sortie n’était finalement qu’à quelques pas d’eux, mais il fallait libérer le cœur, reconnaître ses fautes pour pouvoir sortir du désert émotionnel dans lequel ils s’étaient enfoncés.

Ils débouchèrent sur un escalier en cristal luisant et translucide qui les ramènerait en haut du cristal lumière, où Hadès les attendait.

Trois heures avant la chute...

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