C13.2 L'Harmonia
A l’extérieur du cristal lumière.
Idalyce est plongée dans un tumulte sans précédent. Tout le continent fut frappé par une catastrophe qu’aucun n’aurait pu prévoir.
A Ordella, le ministère de la magie et des affaires occultes avait enregistré la perte du flux de magus sur leur territoire, les aéronefs étaient incapables de s’envoler, les installations ingéniomagus ne démarraient plus et les érudits pleuraient leur pouvoir.
A Astéa, au-delà des montagnes et du désert central, sur ses terres isolées et infertiles, la capitale était victime de la même crise. L’Empereur Emett était devant la fenêtre de son appartement Impérial. Le regard perdu dans le vide, il souffla entre deux quintes de toux le nom de son fils aîné. Des larmes roulèrent sur ses joues marquées par l’âge alors que les sirènes de la cité retentirent. Les vaisseaux de l’armée Impériale qui planaient au-dessus de la ville en temps normal s’écrasèrent sur cette dernière amputant les plus hautes tours de la citadelle et détruisant des quartiers entiers.
Au sanctuaire d’Yr Menstein, le Pontife resta silencieux. La montagne vibrait et grondait. Secoué par la rage de la planète, la cathédrale tremblait et les vitraux recouvrant la grande salle frémirent. Les réfugiés se tenaient les uns contre les autres, se demandant ce qui allait advenir d’eux.
Les îles flottantes d’Aq’Terra, en l’absence de magus, tombèrent dans le désert. Les roches taillées comme d’immenses icebergs s’écrasèrent sur la terre et firent trembler le sol sur des kilomètres, un choc qui résonna jusqu’aux autres continents. La cité d’Aq’Terra fut partiellement détruite. L’académie de magie était encore sur pied. Hélas, c’était une académie qui ne pouvait désormais plus utiliser la magie.
Le royaume du Daflad était défiguré, morcelé par la reconstruction du cristal lumière. La ville de Zhelès avait été complètement détruite et ses habitants avalés par le cristal. Au milieu du désert se dressait maintenant une immense tour cristalline perçant les cieux et s’élevant jusque dans les nuages. Balafrant le ciel comme la terre, l’édifice blanchâtre au reflet arc-en-ciel marqua le début d’une nouvelle ère.
Les civils qui avaient réussi à survivre à tous ces changements ne possédaient plus rien. Plus de ville, de maison, de biens et de famille pour certains. Le désespoir enveloppa le Daflad de son épais manteau macabre.
Au cœur d’Idalyce, une force étrange, invisible et inconnue vibra. Des ondes qui pénétrèrent dans le cristal nouvellement créé.
*
Du portail-vie Vexen, une nouvelle forme éthérée se forma. Puis une autre et encore d’autres. Sous le regard hagard des héros, de nouveaux Vexens se joignaient à Hadès, tous arborant un masque de pierre blanc immaculée dont les traits permettaient de les distinguer bien que ceux-ci soient parfaitement figés.
Erel et Gaven essayèrent d’arrêter Hadès mais ils lui passaient à travers, et ce chaque fois qu’ils tentaient un angle d’approche différent. Bahn se tenait l’épaule, Red-An se joignit à ceux qui tentaient quelque chose malgré le désespoir de leur situation. Duskara essayait malgré l’absence de magus de soigner les blessures du capitaine. Lysandre tenait son frère sévèrement blessé entre ses bras en pleurant et en le suppliant de lui expliquer les raisons de cette folie.
Ainhoa admirait ce spectacle de désolation en tenant fermement sa nouvelle épée entre les mains. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, elle sentait chaque battement de ses tempes jusqu’au bout de ses doigts. Elle tremblait. L’adrénaline embrasait son sang et la poussait à agir. La Reine du Daflad se précipita sur les êtres fantomatiques, pointant la lame de l’épée de Justice vers Hadès. L’être éthéré ne faisait plus attention à l’agitation humaine autour de lui, il récitait des cantiques permettant de faire revenir ses compagnons, il devait se concentrer uniquement sur cette tâche pour que le rituel fonctionne correctement. Il était à la merci des êtres humains qui luttaient pour l’arrêter en vain.
Ainhoa tenta de frapper le Vexen au niveau du visage de pierre mais un autre l’en empêcha, s’interposant, la main aux phalanges trop longues de cet autre fantôme retint la lame.
La reine écarquilla les yeux, elle ne pensait pas que cela fonctionnerait, toutes les autres armes avaient été inutiles mais celle qu’elle avait obtenue pouvait toucher le peuple-dieu.
— Comment osez-vous vous rebeller contre vos maîtres? S’énerva le Vexen qui retenait la lame de l’épée d’Ainhoa. Aucun être humain n’est censé pouvoir nous tuer. Vous ne savez pas à quoi sert cette épée, n’est-ce pas? Au lieu de faire n’importe quoi, vous feriez mieux de vous interroger sur la véritable raison de votre présence.
Ce Vexen avait une voix qui ressemblait à celle des personnes vieillissantes. Son visage de marbre avait des traits fins, un visage rond et marqué par l’âge. Ni homme, ni femme dans la forme, des arabesques serpentaient de son front à ses sourcils et de ses tempes à son menton. Le tout lui entourait le visage faisant apparaître des reliefs dorés et fins sur la pierre blanche. Sur sa tête, une couronne de fleur de lys fanée dégageait une odeur pestilentielle.
Ainhoa fut violemment projetée en arrière par la magie de l’être éthéré, s’écrasant lourdement sur le dos, la reine en lâcha son épée qui glissa quelques mètres plus loin.
Erel et Red-An l’aidèrent à se relever. L’épée était leur dernier espoir, Gaven avait été témoin de la scène et se précipita vers la dite arme pour abattre au moins un des membres du peuple-dieu. Ce qui n’échappa pas au Vexen protégeant Hadès, d’un simple geste de la main, il étreignit le juge master d’une force invisible qui l’empêcha d’avancer et le fit tomber face contre terre.
— Cessez de lutter, je ne voudrais pas vous blesser. Moi, Erèbe, celui qui garde le royaume des âmes humaines et l’ascension des Vexens. Je ne suis pas fait pour me battre contre vous. Veuillez rester tranquille le temps que les Vexens qui s’occuperont de votre destinée reviennent, ordonna-t-il d’un ton fatigué
Erel fulmina et tenta d’aider Gaven. Red-An et Ainhoa en profitèrent pour se jeter sur l’épée du cristal. Il ne s’était pas rendu compte qu’un autre Vexen avait achevé sa résurrection. Ce dernier, dont la silhouette était plus imposante que celle des autres, portait sur la tête une couronne d’épines dont trois s’élevaient à plusieurs centimètres au-dessus des autres. Sous la couronne, un voile blanc voletait autour de la créature avec grâce. Le visage de celui-ci était taillé dans la même roche immaculée que les autres mais l’expression qui y était figée était triste, mélancolique, une larme pétrifiée coulait de son œil gauche. Ce nouveau fantôme leva les deux mains. La reine ainsi que le contrebandier se retrouvèrent à flotter à quelques centimètres du sol, enfermés dans une bulle, ils tournaient dans les airs se débattant contre le vide.
— Je ne vois pas pourquoi tu essayes encore de raisonner avec les humains Erèbe, tu sais qu’ils ne peuvent pas comprendre. Leur petite existence ne voit pas assez loin pour cela, s’empressa d’ajouter le nouveau venu.
— Ne me fais pas la morale Thémis, je ne côtoie pas aussi souvent ces êtres que toi, souffla d’un air las le Vexen en question.
— C’est vrai. Regarde ce qu’ils ont fait depuis que l’Harmonia n’existe plus. Mes pauvres créatures, nous allons mettre fin à votre peine.
Le ton de Thémis se voulait vraiment miséricordieux mais les héros y voyaient plus de la condescendance et de la pitié. Les Vexens ne comprenaient pas pourquoi ils luttaient autant contre eux alors qu’ils pouvaient leur permettre de vivre en paix. Le prix pour celle-ci serait de laisser leur destin entre les mains de ces êtres dépourvus d’émotion et de corps physique. Une facture qu’aucun protagoniste n’était prêt à payer.
Duskara et Erel tentèrent leur chance, saisirent la garde de l’épée et s’élancèrent sur Thémis. Avant l’impact entre la lame et le corps ectoplasmique du Vexen, les deux femmes furent entravées par un fil doré brillant et très résistant.
— Que faites-vous donc à mes protégés ? s’agaça une voix féminine puissante.
Un Vexen sortit de son cocon. Son visage était moulé dans l’or pur et ses traits étaient féminins. Des feuilles de lierre sculptées dans l’étain entouraient son visage, lui faisant office de chevelure. Ses yeux étaient couverts par de petites ailes blanches ailées dans le même métal que les feuilles. La créature avait deux paires de membres supérieurs, une qui tenait un rouet trop petit et l’autre qui tirait un fil doré d’une bobine trop grande.
— Ah ! Te voilà enfin Clotho, tu vas pouvoir t’occuper de ces créatures avant qu’elles ne se blessent, s’agaça Thémis.
— Qui nous manque-t-il ? s’interrogea Erèbe.
— Hestia et... commença Clotho, hésitante à finir sa phrase.
— Elpis, bien que ce soit un traître, son nom peut être évoqué, tu n’as pas à avoir honte Clotho, le coupa Thémis d’une voix sévère.
— Je le sais, mais c’est une phase difficile à aborder. Pensez-vous qu’Hadès le fera revenir ? s’inquiéta la tisseuse.
— Non, Elpis pourrait recommencer. Le gardien des légendes sera muet pour l’éternité, trancha Erèbe froidement.
Les êtres humains écoutaient la conversation des Vexen alors qu’ils étaient complètement immobilisés pour la plupart. Lysandre tenait son frère entre ses bras et observait tous les visages qui étaient apparu au fur et à mesure. Les divinités étaient de retour et cette réalité le terrifia. En les entendant parler et en les voyant se réorganiser, ils comprirent que reprendre la main sur cette situation serait hardue.
Hestia, le dernier Vexen manquant, sortit de l’abri cristallin. Sa silhouette frêle et plus petite que ses pairs peina à sortir du cocon. Son visage était sculpté dans une roche noire scintillante comme un ciel de nuit, il était parcouru de fines lignes dorées sous les yeux, en-dessous de la lèvre inférieure et le long de l’arête du nez. Cependant, la partie droite de ce dernier était creusée de part en part par une profonde marque de lacération, comme un coup de griffe incrusté dans la chair.
Après le réveil de ce dernier être éthéré, le chant d’Hadès se stoppa enfin et les Vexens se réunirent en cercle parfait entourant les êtres humains.
— Enfin ! J’ai accompli ma tâche mes amis, j’espère que vous remplirez les vôtres avec la même détermination, commença la voix d’Hadès.
— Il faut tout reconstruire, à commencer par notre siège. La cité d’argent s’est effondrée lorsque le cristal fut scindé, j’en construirai une nouvelle digne de notre mission, s’enthousiasma Hestia d’une voix enfantine.
— Chacun à sa tâche, l’Harmonia fait loi, si nous ne les respectons pas cela aura des conséquences. Même pour les êtres informes et immatériels que nous sommes, rajouta sévèrement Thémis.
— J’imagine que je vais devoir reconstruire le domaine des morts, toutes ces âmes éparpillées aux quatre coins du monde, sans guide, sans terre de repos... quelle plaie, geignit Erèbe.
— Mes pauvres protégés, sans chemin pour les guider. Quelle vie ont-ils pu mener jusqu’ici ? Je vais vous offrir un bel avenir, pas uniquement de la joie mais la guerre n’existera plus, mes pauvres créatures, se lamenta Clotho.
— Écoutez-vous, je sais que vous avez hâte de reprendre votre place. Mais avant cela, il faut que nous parlions en ce qui concerne le sort de ces personnes, les interrompit Hadès sèchement.
— Devant eux ? s’inquiéta Erèbe.
— Ils sont les témoins de notre résurrection et de notre grandeur, affirma Thémis en hochant la tête d’approbation vers Hadès.
Les autres Vexen n’objectèrent rien, c’est ainsi que les êtres éthérés réalisèrent leur première réunion sous les regards interloqués et les oreilles grandes ouvertes des êtres humains. Ils n’étaient pas sûrs de comprendre toutes les informations qui leur furent données. L’Harmonia, les Vexens et le monde, beaucoup de choses leur échappaient encore.
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