Rochambault Manor

4 minutes de lecture

Coosada , Alabama

Samedi 20 juin 1998

La voix de Will avait interrompu ma discussion avec Oliver. Ce n’était pas vraiment une invitation, plutôt une injonction, un ton ferme, habitué à être obéi sans discussion. Ce garçon, même pas majeur, se comportait déjà en maître sur son domaine et moi, descendante d’esclave, je me devais de le suivre. À quelques pas derrière lui, Marvin et Stuart attendaient, l’air goguenard. Betty était un peu plus loin, elle me regardait, indifférente. Je ne savais plus que penser. Je ne pouvais pas être en danger, pas dans un tel lieu, avec autant de personnes autour de moi. J’aurais pourtant apprécié avoir une présence amicale à mes côtés.

— Oui, bien sûr, avec plaisir, finis-je par répondre.

Je suivis mon hôte vers les grandes ouvertures et le salon de réception. Quelqu’un avait rechargé la cheminée. Malgré les fenêtres ouvertes, il régnait une chaleur insupportable dans la pièce.

— On crève de chaud ici, dit Will, allons prendre un verre.

Les trois garçons se dirigèrent vers le bar. Will avait subrepticement pris ma main et n’entrainait derrière lui.

— Je t’ai vue boire avec Oliver, tu aimes le bourbon ? Celui de mon père est excellent. Quatre bourbons, demanda-t-il à un serveur qui s’empressa de servir les verres.

— Non, pas pour moi, protestai-je faiblement.

— Allons, ça ne te fera pas de mal, insista Marvin avec un sourire carnassier. Ça va t’aider à te décoincer un peu.

Je trempai les lèvres dans l’alcool, je ressentis la même brulure qu’un peu plus tôt avec Oliver. Je tentais de reposer le verre, mais ce fût Stuart qui arrêta ma main.

— Allez, ne joue pas les gamines. Si tu es venue ce soir, c’est pour t’éclater, non ? Comme nous autres.

J’absorbai une gorgée supplémentaire. Je ressentais une étrange sensation, d’un côté, je voulais me rebeller contre cette forme d’agression et tout en même temps, la liqueur ambrée commençait à me donner du plaisir en s’évaporant sur mon palais.

— Quelqu’un a de la poudre ?

Je reconnus la voix de Betty. Elle me semblait un peu moins ferme qu’au début de la soirée. Je me dis qu’elle avait sans doute pas mal bu, elle aussi.

— Oui, bien sûr, répondit Stuart. Viens par ici, je vais te préparer une ligne. Qui est intéressé ?

— Présent, dit Marvin.

— Et toi, tu veux essayer, me demanda Will ?

— Oh non, fis-je avec un mouvement de recul.

— Tu devrais, il n’y a pas de vraie soirée sans coke ! Laissez m’en un peu les gars.

Je regardais ébahie les quatre jeunes gens inspirer la poudre blanche. Je n’ignorais pas que ce genre de substances puisse circuler dans les soirées d’étudiants, mais je ne l’imaginais pas si proche de moi. Après quelques instants, Will se releva et secoua la tête, faisant onduler sa chevelure. Je ne pus m’empêcher de lui trouver un certain charme.

— Bon alors, on y va ? demanda-t-il.

— Si Betty est en état de monter l’escalier, ricana Marvin.

Une nouvelle fois, Will prit ma main tout en se dirigeant vers l’escalier menant à l’étage. Les murs étaient décorés de grands tableaux. Sans doute les ancêtres Rochambault, pensai-je. À mesure que l’on montait, le style évoluait ainsi que les vêtements des personnages représentés. Au bas le l’escalier, on voyait des hommes en tenue de cour, à la française, comme j’avais pu en voir sur les illustrations de mon livre d’histoire. Au niveau du palier, un personnage en uniforme de l’armée sudiste. Une manche, vide, étaient refermée par une épingle, le collaborateur de Lee, sans doute. Will confirma mon impression.

— C’est l’aïeul qui a rebâti cette demeure à la fin de la guerre de sécession.

Plus haut encore, les tableaux peints étaient remplacés par de grands portraits photographiques. Le dernier et le plus récent représentait un homme encore jeune.

— Et voici mon cher père. Bonjour Papa !

Nous étions arrivés aux dernières marches. Will eut un commentaire acerbe.

— Je constate qu’il n’y a plus de place dans la galerie. Je suis sans doute destiné à être renié par ma famille. Je m’en fous après tout, raison de plus pour se défoncer maintenant.

Malgré le bourbon qui avait eu un léger effet euphorisant, je recommençais à m’inquiéter. Je n’avais pas l’intention de me « défoncer ». J’avais déjà plus bu durant cette soirée que dans toute ma vie. Will continuait de me mener le long d’un vaste couloir. Il s’arrêta devant une double porte barrant l’extrémité.

— Ici, c’est mon domaine privé, dit-il en ouvrant les deux battants. Il n’y a que mes amis qui ont le droit d’y pénétrer. Et la bonne bien sûr !

— Will, tu as à boire ici ? demanda Stuart.

— Tu as raison, vas donc nous chercher une bouteille.

J’examinai la pièce. Elle devait faire au moins cinquante mètres carrés, bien plus grande que le séjour de la maison de ma tante en tout cas. Face à l’entrée, un lit plus grand que tous ceux que j’avais jamais vus. Sur la gauche, un bureau sur lequel tronait un ordinateur dernier cri. Sur le mur opposé, un écran de télévision plat, comme je n’en avais vu qu’en exposition dans les magasins spécialisés. En-dessous, sur un meuble bas, étaient installé un magnétoscope, plusieurs consoles de jeu et un appareil que je ne connaissais pas.

— Un lecteur de DVD, expliqua Will. Ça ringardise le VHS. Tiens regarde !

Il prit un étui plat sur une étagère et en sortit ce qui ressemblait à un simple CD. L’écran s’alluma et le générique du film se lança. C’était un pastiche de James Bond, mais les deux femmes de part et d’autre de l’acteur étaient complètement nues.

— Bluffant, non ? me demanda Will.

Je ne savais que répondre. Parlait-il de la qualité de l’enregistrement ou du sujet de la vidéo ?

— On n’a pas besoin de ça quand on a deux nanas canons pour s’amuser, répondit Stuart à ma place.

Il but une gorgée, directement au goulot de la bouteille qu’il venait de rapporter et la tendit à Marvin. Les mains libres, il défit sa ceinture et ouvrit la braguette de son jean.

— Laquelle de vous deux veut commencer ? demanda-t-il avec un rire gras.

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