Confidences

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Montgomery, Alabama

Dimanche 26 juin 2022

Tout en bavardant avec Betty, cette soirée de juin 1998 me revenait en mémoire. Je revoyais la même personne, avec presque vingt-cinq ans de moins, dans la chambre de William Rochambault. Une jeune fille de seize ans, ivre et sous l’influence de la coke, qui ne voyait pas l’incongruité de la situation. Sans nul doute, ce n’était pas une première, mais pensait-elle vraiment que j’allais avoir la même réaction qu’elle ? Il me fallait avoir une réponse à cette question, toutefois, il était encore trop tôt pour aborder le sujet. Pour le moment, il me fallait jouer le jeu et livrer ma légende à sa curiosité.

Je mentis sur la raison de mon changement de lycée, prétextant le plus fort investissement de BTW dans les disciplines artistiques. Je lui dis la vérité pour mes années d’université à Birmingham et la bourse d’études de l’Air Force, mais je ne lui donnai qu’une version très lissée de ma période Stanford et Colorado Springs. Quand elle me demanda si j’avais appris à piloter des avions de chasse, je répondis que je m’étais contentée de flirter avec les élèves pilotes au mess, ce qui était à peu près vrai. Le plus délicat était la période la plus récente. Comme lors de mon arrivée un peu plus tôt, je parlais d’une agence de renseignement économiques pour les entreprises de haute technologique. Je lui parlai de Business Angels et de jeunes pousses. Je précisai que c’était une activité plutôt lucrative qui me laissait beaucoup de liberté. Elle eut l’air de se contenter de cette version.

La suite de la conversation évolua sans surprise sur ma situation personnelle. Betty voulait savoir si j’étais mariée, si j’avais des enfants. J’avais plusieurs réponses toutes prêtes pour ce genre de questions, selon l’interlocuteur à qui je faisais face. J’optai pour une version un peu provocatrice, décrivant une orientation sexuelle m’incitant à ne pas choisir et me laisser ouvertes toutes les options. À cet instant, j’adorai le temps qu’elle assimile cette information, renforçant son trouble par une allusion directe, quoique aussitôt déniée, sur une possible attirance pour les femmes de pouvoir, à la féminité assumée. En Alabama, où le mariage homosexuel est officiellement autorisé, la plupart des comtés refusent encore d’enregistrer l’union de personnes du même sexe. Je ne m’attendais donc pas à une grande ouverture d’esprit de la part d’une femme blanche de la classe sociale la plus élevée.

— La Californie est beaucoup plus libérale que l’Alabama, réagit Betty. Je doute que ce genre de comportement soit très approprié par ici.

— Rassure-toi, je repars bientôt, répondis-je en riant. Ta vertu et ton mariage ne craignent rien de moi.

— Je ne crois pas sûre que mon mari comprenne ton humour.

— Tu n’as pas besoin de lui rapporter cette conversation. Et c’est toi qui m’a posé la question, rappelai-je.

Je profitai de cette occasion pour retourner la conversation sur son propre couple.

— Comme tu le sais, je suis partie faire mes études sur la côte Est, à Yale, puis je suis restée quelques temps dans le cabinet de Boston où j’avais fait mes stages. Je me suis vite lassée de l’ambiance et surtout du climat du Massachusetts. Mon père voulait développer son cabinet vieillissant avec de jeunes collaborateurs, il m’a donc naturellement proposé de rentrer travailler avec lui. La vie chez Morgan Lewis, ce n’était pas franchement Ally McBeal, c’était même tout à fait sinistre. Je n’avais pas vraiment d’amis ni de fiancé, alors j’ai accepté. C’est là que j’ai vraiment fait connaissance avec Jack. Bien sûr, nous nous connaissions un peu, puisque son père et le mien étaient associés, mais Jack vivait la plupart du temps avec sa mère à Mobile. Il n’était revenu travailler avec son père qu’au décès de cette dernière. Lui, comme moi, avions perdu de vue beaucoup de nos amis d’enfance à Montgomery, et puis le travail au cabinet était très prenant. Nous y avons passé plus d’une soirée à plancher tous les deux sur un dossier majeur. Nos pères souhaitaient garder certaines affaires particulièrement confidentielles. Très vite, tous ces dossiers sont revenus sur nos bureaux. Cette proximité finit par nous faire envisager une union, qui serait ainsi à la fois personnelle et professionnelle. Le père de Jack était en mauvaise santé et souhaitait prendre sa retraite. Le mien voulait lever le pied et profiter des dernières années de sa vie sur une ile des Caraïbes. Nous avons conclu un contrat qui actait tout autant la succession du cabinet que notre statut marital.

Betty évoquait son mariage comme un simple acte sécurisant un patrimoine professionnel autant qu’une aisance matérielle, mais je ne percevais dans son propos aucune trace d’émotion ou de sentiment. Pouvait-on vivre dix ans avec une personne sur une simple base rationnelle et économique ? Oui, bien sûr, dans les milieux les plus fortunés du pays, ces pratiques avaient toujours eu cours et se perpétuaient de nos jours. Est-ce pour cela que la vie du couple Stanton était aussi réduite sur les médias sociaux ? Je décidai de planter une banderille.

— Vous n’avez pas d’enfants ? demandais-je ingénument.

— Non, en effet. Jack souhaiterait un fils qui pourrait devenir avocat et prendre sa suite, mais moi je ne me vois pas devenir mère, plus aujourd’hui. De plus, je ne sais pas si je pourrais en avoir. Tu sais que dans ma jeunesse, j’ai eu une période un peu dissolue. J’ai contracté une maladie à cette époque et je crains qu’elle ait laissé des traces.

Je repensai à la jeune fille que j’avais connue au lycée, puis l’information de Louis concernant les consultations médicales. Jack Stanton devait se montrer pressant et son épouse ne voulait pas avouer qu’elle ne voulait pas d’enfant. Une impossibilité biologique était sommes toutes bien commode pour régler la situation. Je changeai brusquement de sujet, revenant sur le terrain professionnel.

— Et vous traitez quels genres d’affaires chez Miller Stanton ? demandais-je.

— Tu as besoin d’un conseil ? me répondit-elle amusée.

— Non, pas vraiment, j’ai déjà un avocat à Los Angeles et heureusement, je n’ai pas trop besoin de ses services.

— En fait, nous travaillons surtout pour des entreprises qui ont des litiges avec l’administration, la ville ou l’état. Cela peut porter sur des sujets d’urbanisme, de construction ou depuis quelques temps, d’environnement, comme les pollutions industrielles ou de consommation. Tu sais, les gens qui veulent faire des procès parce qu’ils ont trouvé un cafard dans leur yaourt. Je dois dire que notre rôle est surtout d’éviter à nos clients d’aller jusqu’au tribunal avec un résultat toujours incertain.

— Tu veux dire que vous cherchez à établir des compromis acceptables par les deux parties ?

— Oui, on peut voir ça comme ça, la plupart du temps.

Louis avait vu juste. Je ne creusai pas d’avantage. Il était temps d’introduire le seul sujet qui m’intéressait vraiment. Celui pour lequel j’avais accepté cette invitation.

— As-tu gardé des contacts avec des amis de nos années de lycée ? Comment s’appelait déjà ce garçon chez qui tu m’avais invitée ?

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