Vieilles connaissances

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Lundi 27 juin

Los Angeles, Californie


Il ne m’avait fallu que deux heures pour rejoindre l’aéroport Hartsfield-Jackson à Atlanta. Je parquai la Tesla dans un parking privé en précisant l’identité de la personne qui viendrait la récupérer. J’avais réservé un vol Delta à quinze heures onze. Il me restait un peu de temps pour transférer les données que Louis venait de m’envoyer sur mon portable. Je montai au salon de la compagnie et je me servis un verre avant de connecter au wifi offert. Je passai par un VPN sécurisé avant de rejoindre l’espace de stockage indiqué par mon partenaire. Il y avait deux dossiers intitulés simplement « Holmes » et « Carter ». Je décidai d’attendre d’avoir embarqué avant de les ouvrir. Je jetai un coup d’œil à l’écran affichant les vols. Le mien était maintenant annoncé. Je rangeai mon équipement et me dirigeai vers la porte d’embarquement en empruntant la navette automatique desservant les multiples terminaux.

J’avais une place hublot en business, et j’espérais que le vol serait assez peu rempli pour ne pas avoir de voisin. Dès les portes fermées, je m’installai pour parcourir les documents préparés par Louis.

Je commençai par le dossier « Carter ». Il y avait plusieurs photos de Stuart, à différentes périodes. Je reconnus le garçon brun au regard sombre que j’avais brièvement croisé, pour mon malheur, en 1998. Suivait une photo visiblement plus soignée, extraite du trombinoscope de Duke. On le retrouvait une dizaine d’années plus tard, en tenue de sport, une raquette à la main, posant avec un homme un peu plus âgé que lui, le sénateur Andrew Jackson, d’après la note de la main de Louis. La dernière image avait été prise en 2020 au moment des élections présidentielles. On le voyait aux côtés de William Weld, challenger malheureux de Donald Trump lors des primaires du parti Républicain. Louis avait ajouté que Weld avait été procureur du Massachusetts puis gouverneur de ce même état jusqu’en 1997.

Le curriculum professionnel mentionnait de brillantes études juridiques à Duke, obtenant un LLM en 2005. Pourtant, au lieu de suivre la voie paternelle et de s’orienter vers la magistrature, il s’était engagé sur la voie plus hasardeuse de la politique, devenant assistant parlementaire puis conseiller de plusieurs élus au Sénat.

En 2015, il s’était rapproché de la mouvance libertarienne pour entrer au service de Weld à l’occasion de la campagne de 2016. Déçu des médiocres performances de son champion en 2016 et 2020, il s’est alors tourné vers le privé, entrant dans le conseil d’administration de SynBioLabs, une jeune pousse des biotechnologies établie à Cambridge, Massachusetts.

Du côté matrimonial, Stuart Carter avait épousé en 2008 Mary Thomson, fille d’un élu du New Hampshire à la chambre des Représentants pour divorcer cinq ans plus tard, visiblement à l’amiable, continuant de fréquenter son ex-femme ainsi que son père dans de nombreuses occasions publiques. Il s’était remarié en 2018 avec Julia DePriso, fille du principal actionnaire de Valantis, un laboratoire pharmaceutique de la côte Est. Giovanni DePriso, le père de Julia était par ailleurs un généreux donateur au service du Grand Old Party et principal soutien financier de SynBioLabs. Julia DePriso, âgée de vingt-cinq ans seulement le jour de son mariage, avait une forte présence sur les réseaux sociaux, flirtant assez régulièrement avec la mouvance QAnon. Le couple, sans enfants, vivait dans un très bel appartement de Beacon Hill, à Boston. Il avait une vie sociale très active, sortant et recevant beaucoup, ce qui était très facile à confirmer au travers des très nombreuses publications de Julia. Louis n’avait trouvé aucune connexion significative entre Carter et Rochambault, même si les deux hommes avaient probablement eu l’occasion de se croiser dans le sillage de leurs mentors respectifs.

Ce portrait me laissait un peu sur ma faim. Autant la bio de William me laissait entrevoir des failles dans lesquelles il me serait assez facile de placer des coins, autant celle de Stuart me semblait lisse et sans prise. Le parfait parcours d’un gosse de bonne famille, assez doué pour surfer les bonnes vagues et progresser dans l’Establishment.

Je décidai de laisser de côté le dossier Carter et ouvrit le dossier Holmes. Plusieurs sous-dossiers étaient présents dans le répertoire, dont l’un spécifiquement dédié à l’entreprise Holmes Building Corporation ou HBC. Un autre dossier était intitulé « Affaires ». Le dernier enfin contenait les informations sur Marvin Holmes lui-même. C’est par celui-là que je commençai ma lecture.

Marvin avait quitté l’Alabama lui aussi assez rapidement pour suivre un cursus universitaire à dominante financière, d’abord à UPenn, à Philadelphie, puis ayant été refusé à Harvard Business School, il avait réussi à intégrer Columbia à New York. Son diplôme en poche, il était revenu travailler pour l’entreprise familiale au milieu des années 2000, sans toutefois vivre en Alabama. Il s’était fixé au Texas, à Dallas, pour y implanter une filiale, spécialisée dans les travaux pétroliers. Il était encore à ce jour CEO de Holmes Petroleum Texas, HPT.

Sur le plan personnel, Marvin Holmes avait été marié trois fois, et trois fois divorcé. Il avait eu quatre enfants avec ses différentes épouses, mais n’avait revendiqué le droits de garde sur aucun d’eux. Il se contentait de faire expédier chaque mois des chèques conséquents pour subvenir à leurs besoins. Selon Louis, il avait actuellement une liaison tapageuse avec la fille d’un gros propriétaire foncier disposant de gros intérêts dans l’industrie agro-alimentaire. La note faisait également état de nombreuses infractions routières, Marvin appréciait les voitures de sport, ainsi que quelques signalements pour des comportements inappropriés auprès de jeunes femmes un peu trop naïves, problèmes systématiquement classés sans suite. Le Marvin Holmes d’aujourd’hui, n’était sommes toutes que le Marvin que j’avais connu en plus âgé.

Je passai à l’entreprise HBC, conservant les affaires pour la fin. Holmes Building Corporation était le résultat de la croissance d’une petite entreprise de bâtiment établie après la grande dépression par John Holmes, premier du nom. Son fils et surtout son petit-fils, le père de Marvin, avaient su développer la compagnie pour en faire un acteur incontournable de tous les projets de construction en Alabama, ayant réalisé en 2020 un chiffre d’affaires proche de trois milliards de dollars.

Construction de ponts et routes, bâtiments publics et immeubles d’habitation, rares étaient les chantier ne portant pas le logo de HBC, au minimum comme sous-traitant. John Holmes III, à plus de soixante-dix ans, était toujours à la tête de l’entreprise et conservait une forte emprise sur les décisions stratégiques. C’est lui qui avait décidé de se diversifier dans les travaux pétroliers en confiant les opérations à son fils. Malgré les frasques de sa vie privée, Marvin semblait avoir réussi à s’implanter solidement au Texas ainsi qu’en Louisiane, même si les chantiers qu’il avait conduits avaient pour bon nombre provoqué de vives controverses dans les milieux écologistes.

Le dossier « Affaires » faisait état de plusieurs conflits ayant opposé HBC ou une de ses nombreuses filiales à des parties prenantes, publique ou privées. Louis avait identifié une dizaine de cas, s’étalant sur les vingt dernières années. On y trouvait un accident de chantier ayant provoqué la mort de deux ouvriers, des malfaçons majeures ayant mis en cause la pérennité des bâtiments concernés, un cas de pollution grave d’une rivière par le rejet d’effluents toxiques et quelques autres litiges similaires. Toutes les affaires avaient en commun d’avoir été traitées par le Cabinet Miller Stanton pour le compte de HBC et d’avoir abouti à un compromis permettant leur résolution sans recourir au tribunal.

Chaque affaire était détaillée, avec de nombreuses références et documents annexés. J’en avais assez appris pour le moment et décider de me faire offrir un verre aux frais de Delta Airlines avant de me laisser aller à un petit somme, pour réparer le manque de sommeil de la nuit précédente.

L’hôtesse vint me réveiller en me priant d’attacher ma ceinture et de me préparer à l’atterrissage. N’ayant pas de bagage enregistré, j’étais dans le hall d’arrivée quinze minutes plus tard. Je remarquai l’homme portant une tablette affichant mon nom. Son visage ne m’était pas inconnu. Louis faisait toujours appel aux services de la même société de limousines.

— Bonjour, Mademoiselle LeBeau, j’espère que vous avez fait bon voyage. Où voulez-vous que je vous conduise ?

— Chez moi, à Pacific Palisades.

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