Préparatifs

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Mardi 28 juin

Marathon, Floride


Pablo Lopez se mit au volant de son pick-up F-150 flambant neuf et prit la route de Marathon. Il avait reçu un appel de William Rochambault la veille, lui annonçant la venue d’un client pour une croisière de pêche entre les Keys et les Bahamas. Pablo devait préparer le bateau pour une sortie de quatre à cinq jours et au moins cinq cent milles aller-retour. Ce n’était pas le genre de sortie qu’il effectuait le plus souvent, la plupart des touristes se contentant d’une journée en mer, mais son patron lui demandait de temps en temps de faire la traversée vers le nord de la grande île ou même jusqu’à Nassau.

La circulation était encore fluide à cette heure matinale et la météo annonçait du beau temps pour toute la semaine. Pablo était heureux de cette excursion qui le sortirait de sa routine. Il était le fils d’un exilé cubain de la première heure. Son père avait participé à la préparation de l’expédition désastreuse dans la baie des cochons et Pablo s’était juré de ne jamais se mêler de politique, s’efforçant de s’intégrer au maximum dans son pays d’adoption. À presque soixante ans, il commençait à songer à la retraite, tout en se disant qu’il pouvait bien continuer encore quelques années à sortir en mer, pêcher de gros poissons et passer le reste du temps à boire des bières sur les pontons de Marathon. Rochambault le payait assez généreusement pour que son bateau soit parfaitement entretenu, que les clients soient traités comme des amis du patron, le tout sans poser de question ni bavarder dans les bars.

Le Riviera 72, un bateau de vingt-quatre mètres équipé pour la pêche sportive était amarré au bout d’un appontement privé appartenant à l’une des sociétés de William Rochambault. La villa qui dominait légèrement la mer n’était que rarement occupée, mais un couple y résidait à l’année pour la maintenir disponible à tout instant. Pablo n’avait jamais eu envie de savoir d’où venait l’argent de son employeur. Il suivait les instructions qu’on lui donnait et c’était bien assez pour lui. Il échangea quelques mots avec Luis, qui était occupé à tondre la pelouse, avant de gagner l’embarcation. Après les vérifications d’usage, il lança les deux moteurs MAN V12 développant 2000 chevaux chacun et les laissa monter en température au ralenti. Quelques minutes plus tard, il largua les amarres pour se diriger vers la station service de la marina afin de compléter le niveau des réservoirs. Le temps que les pleins soient effectués, il passa commande des vivres nécessaires pour une semaine, nourriture et boissons, en demandant que tout soit livré à l’appontement pour le début de l’après-midi. Il était un peu plus de midi lorsqu’il ramena le yacht à son emplacement. Approchant à faible vitesse, il remarqua deux hommes sur la terrasse de la villa. Il reconnut le propriétaire en conversation avec une personne qu’il n’avait encore jamais rencontrée. Le client annoncé, pensa-t-il.

Alors qu’il terminait d’amarrer le bateau, Pablo vit les deux hommes descendre sur le ponton. Il se dirigea vers la coupée pour les aider à monter à bord.

— Bonjour Monsieur, je ne savais pas que vous deviez venir en personne. Bienvenue à bord.

— Bonjour Pablo, je vous présente Michael Brown, qui est un de mes amis et qui va passer quelques jours en mer avec vous.

Brown tendit une main ferme au marin.

— Heureux de faire votre connaissance, Pablo. Will m’a vanté vos mérites comme navigateur et comme pêcheur.

— Je fais de mon mieux, Monsieur Brown. Monsieur Rochambault sait qu’il peut compter sur moi.

— Appelez-moi Mick, je vous en prie. Nous allons passer pas mal de temps tous les deux, alors oublions les Monsieur.

— Pablo, reprit Rochambault, Mick souhaiterait partir demain matin assez tôt. Nous allons passer la nuit à la villa. Est-il possible de lever l’ancre vers six heures ?

— Je suis à vos ordres, de toute façon, à cette saison, à six heures il fait jour. Il n’y aura pas de problème.

— Je vous ai vu revenir de la marina, je suppose que tout est en ordre pour l’appareillage ?

— Les vivres seront livrés tout à l’heure, tout sera prêt demain matin. Il me reste à vérifier l’attirail de pêche pour que tout soit parfait.

— Nous repasserons en fin de journée pour examiner les cartes avec vous. Mick souhaiterait aller vers les Bahamas.

— Entendu, je serai à bord, répondit le skipper. Je vais juste faire une petite pause pour le déjeuner.

Pablo regarda les deux hommes remonter vers la maison avant de verrouiller l’accès aux cabines. Il reprit son véhicule pour aller à son steak house préféré, à quelques kilomètres sur l’île principale, à proximité de l’aéroport. Julia, la serveuse l’accueillit avec un grand sourire, réservé aux habitués.

— Un BBQ burger ? proposa-t-elle.

— Comme toujours ma belle, répondit le marin, avec une pinte de Bud Light.

Pablo regarda la serveuse s’éloigner en remuant les hanches un peu plus que de nature. Il était client de l’établissement depuis des années et Julia avait toujours été fidèle au poste. Il était rare qu’elle ne porte pas un jean moulant ses fesses un peu rondes et un chemisier un peu trop ajusté pour ses formes. Pablo lui donnait au moins cinquante ans, mais il y avait longtemps qu’il avait arrêté de fantasmer sur les gamines. Depuis que sa femme l’avait quitté vingt ans plus tôt, pour aller vivre sur le continent, il n'avait plus eu de compagne régulière, se contentant de relations occasionnelles, de moins en moins fréquentes. Il se doutait que Julia ne lui lançait pas ses œillades de façon tout à fait commerciale et elle avait plus d’une fois fait allusion à des sorties en mer sur le bateau de Monsieur William, mais il avait préféré garder un peu de distance. À son âge, il ne souhaitait pas se remettre en couple.

Julia déposa une assiette surchargée, un hamburger king size, entouré d’une montagne de frites et de quelques feuilles de salade. Il lui sembla qu’un bouton du chemisier avait sauté depuis son arrivée.

— Je t’apporte le ketchup ?

— Oui, merci.

— Tu as des clients en ce moment ? demanda la serveuse .

— Oui, répondit Pablo, je vais sûrement être parti deux ou trois jours. Le patron veut que j’emmène un de ses amis pêcher vers les Bahamas.

— Pourquoi si loin ?

— Je n’en ai aucune idée, et je m’en moque. On me paie pour un boulot. Je ne pose pas de questions.

— Tu m’emmènerais aux Bahamas ? J’en ai toujours rêvé, mais je ne suis jamais parti d’ici.

— Je ne crois pas que Monsieur Rochambault serait d’accord.

— Tu n’as pas besoin de lui dire, et on peut aller moins loin. On peut bronzer tranquille sur le pont. Tu dois être bien placé pour mater depuis le poste de pilotage.

Pablo choisit de ne pas entrer dans le jeu. Ce n’était pas la première fois que Julia lui faisait des avances de plus en plus explicites. Il aurait pu bien entendu lui dire oui, mais il avait des principes.

— Allez, il faut que j’y aille. On doit livrer les vivres sur le ponton dans vingt minutes. Tu mets ça sur mon compte ?

Le livreur du supermarché finit de déposer les caisses à l’extrémité du quai. Pablo signa le reçu et entreprit de transférer les provisions à bord. Le Riviera était équipé de plusieurs congélateurs et d’un vaste frigo. En plus de la navigation et de la pêche, le skipper assurait également la cuisine pour les passagers.

Le soleil commençait juste à décliner lorsque son patron, accompagné de Mick Brown, se présenta à la coupée. Il les amena à l’intérieur où il avait préparé la carte marine du détroit de Floride, couvrant les Keys et l’archipel des Bahamas.

— Combien de temps vous faut-il pour rejoindre le nord de la grande île ? demanda Brown.

— c’est une traversée d’à peu près deux cents milles, à vingt nœuds, c’est l’affaire d’une dizaine d’heures. Si vous voulez pêcher en même temps, il faut réduire la vitesse.

— On peut y être dans la soirée ?

— Oh oui, la météo est bonne.

— Et pour Nassau ?

— Ajoutez deux heures.

— Parfait, je vous préciserai demain matin si c’est San Andros ou Nassau. On se retrouve ici à six heures.

— J’y serai, je vais dormir à bord.

Pablo aurait espéré quelques commentaires de la part de son boss, mais il n’ajouta rien. Les deux hommes repartirent quelques minutes plus tard. Il était toutefois sûr d’une chose, la pêche était le cadet des soucis de ce Monsieur Brown.

Il prit deux bières dans le frigo et chercha une radio diffusant de la musique cubaine. Il monta sur la passerelle supérieure et s’installa confortablement dans le fauteuil de barreur pour une soirée solitaire.

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