Coup de semonce

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Mercredi 29 juin

Cambridge, Massachusetts

Stuart Carter gara sa BMW X5 sur l’emplacement réservé à son nom devant les bureaux de SynBioLabs. Le temps était plutôt frais et humide pour un début d’été, mais il n’avait que quelques pas à faire pour rejoindre son bureau. La réceptionniste le salua en précisant que Maria Masek, la chargée de communication de la startup l’attendait avec impatience.

Il regarda sa montre, neuf heures dix, il n’était pas si tard. Il n’ignorait pas que la plupart des collaborateurs de l’entreprise commençaient leur journée beaucoup plus tôt que lui, mais il n’en avait que faire.

Maria Masek était de cette génération de jeunes cadres s’exprimant avec un débit de mitraillette et un langage bourré de néologismes. Cette habitude agaçait Carter, qui avait gardé l’habitude du parler lent du sud. Comme elle démarrait sur les chapeaux de roue, il lui demanda de prendre son temps et de s’exprimer avec des mots courants.

— Nous avons reçu un appel de la part d’un journaliste, un certain John Mason, qui nous a dit enquêter sur la dernière campagne d’essais cliniques. Il demande des informations sur le décès de ces enfants en Alabama.

— Qui est ce John Mason, pour qui travaille-t-il et comment est-il au courant ?

— Il s’est présenté comme journaliste indépendant. Il n’a pas cité ses sources, bien entendu. Que devons-nous faire ?

— Rien pour l’instant. Les familles ont signé des protocoles de confidentialité, rappelez-leur que nous n’hésiterons pas à prendre les mesures prévues si elles l’oublient.

— Vous savez que ce genre de types ne lâchent pas facilement une affaire comme celle-ci !

— Vous ne dites rien, vous n’écrivez rien à ce journaliste. S’il se manifeste à nouveau, vous l’envoyez vers moi. De mon côté, je vais prévenir nos avocats. Et communiquez-moi le numéro de ce gars, le standard doit pouvoir vous le retrouver.

— Très bien, répondit Maria en quittant le bureau.

— En passant, demandez à Jane de m’apporter un café.

Stuart se laissa aller au fond de son fauteuil en regardant le plafond du bureau. La journée s’annonçait difficile. Elle avait déjà mal commencé à cause d’un Tweet provocateur posté par Julia, sa femme. Il avait de plus en plus de mal à supporter sa paranoïa médiatique, cependant elle était la fille de son patron et bailleur de fonds et il fallait qu’il s’en accommode. Ce fouineur qui venait remettre sous son nez une affaire qu’il espérait avoir enterrée profondément n’allait pas améliorer son humeur.

Lorsque deux ans plus tôt, Valantis avait décidé, au travers de SynBioLabs, de tester un nouveau traitement transgénique, il avait averti Giovanni DePriso des risques encourus, du fait du manque de recul et de la faible pertinence des résultats de la phase I. DePriso avait décidé de passer outre ses avertissements, mettant en exergue le revenu potentiel induit par cette technologie. Il lui avait demandé simplement de s’assurer juridiquement contre les conséquences éventuelles d’un incident lors de la période d’essai. Valantis ayant choisi de mener la campagne de tests dans l’Alabama, Steve s’était naturellement tourné vers le cabinet Miller Stanton pour établir les conventions.

Sans avoir gardé de relations étroites, Carter savait que le cabinet était maintenant sous la responsabilité de son ancienne amie, Betty. C’est elle qui l’avait reçu lorsqu’il s’était rendu à Montgomery pour mettre en place toutes les procédures. Après une longue séance de travail avec deux collaborateurs du cabinet, Elisabeth Stanton avait accepté de boire un verre, pour évoquer leurs souvenirs de jeunesse. Jack étant absent ce soir là, ils s’étaient retrouvé dans un bar de la ville et après quelques verres, Betty avait suivi Stuart jusqu’à son hôtel.

Ce n’était pas pour évoquer ce moment de luxure que Carter appelait son ancienne complice.

— Salut Betty, dit-il lorsque son amie fut en ligne, j’espère que je ne te dérange pas.

— Je suis toujours disponible pour un bon client et un bon ami, répondit l’avocate.

— Je crois que nous avons un petit problème. Je voudrais en parler avec toi, mais pas sur cette ligne.

— C’est à propos de ce qui s’est passé en Alabama ?

— Oui, je vais t’envoyer un lien vers une plate-forme de visio sécurisée. Tu peux te connecter en dehors du bureau ?

— À l’heure du déjeuner dans ce cas. J’ai plusieurs rendez-vous dans la matinée.

— Je te recontacte sur ton téléphone personnel à midi et demi.

— Entendu, je serai chez moi.

Stuart expédia rapidement quelques affaires urgentes et prétexta un rendez-vous à l’extérieur pour s’absenter le temps du repas. Il prit sa voiture et se dirigea vers le parc de Mystic Lake où il chercha un endroit discret. À douze heures trente, il envoya un SMS comportant un lien de connexion. Quelques instants plus tard, le visage impeccablement soigné de Betty s’afficha sur l’écran de son smartphone.

— Que se passe-t-il pour justifier une telle discrétion ?

— Un fouille-merde fait resurgir le décès de ces deux gamins de Montgomery.

— Le problème survenu durant les essais cliniques ?

— Oui, bien sûr, quoi d’autre ?

— Les familles n’ont pas le droit d’en parler, elles ont signé un accord de confidentialité.

— Oui, je sais bien, mais il a appelé SynBioLabs et demandé des informations. Rien ne prouve que la fuite provienne des familles, mais c’est un risque que nous ne pouvons pas courir.

— Je reconnais que c’est un problème, en effet. Que veux-tu que je fasse ?

— Tu pourrais contacter les parents des gosses et leur rappeler ce qu’ils encourent en cas de rupture de l’accord. Si je me souviens bien, c’étaient des gens modestes. Tu sauras les impressionner.

— Oui, ça je peux le faire, ça fait partie de mon boulot. C’est tout ?

— Aurais-tu la possibilité de te renseigner sur le journaliste ? Un certain John Mason.

— Nous ne sommes pas une agence de détectives, mais j’ai quelques contacts. Envoie-moi tout ce que tu peux sur lui.

— Je n’ai pas grand-chose, un nom et un téléphone.

— C’est un point de départ.

— Je te remercie. Tu n’aurais pas une raison de venir à Boston prochainement ?

— Jusqu’à ce matin, je n’en avais pas, mais ça vient de changer. Allez, je dois te quitter, mes amitiés à ta charmante épouse.

Elisabeth mima un baiser et l’écran devint noir. Stuart rangea le téléphone. Il ne l’utilisait que pour des communications confidentielles et très peu de personnes en connaissaient le numéro. Betty allait mettre le paquet sur les familles, il n’en doutait pas. Quand à ce Mason, il ne savait pas à qui il s’attaquait. Pour apaiser sa colère, il se remémora sa dernière rencontre avec son amie, deux ans plus tôt. Une soirée mémorable où il avait pu constater que la femme d’affaire n’avait rien oublié de ses perversions de jeunesse. Sa dernière phrase pouvait laisser présager une suite prochaine.

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