Melody Hong

6 minutes de lecture

Santa Monica, Californie

Vendredi 1er juillet

Du haut de la promenade dominant l’océan, Melody Hong observait la plage s’étendant à ses pieds. En ce début de week-end prolongé, pour la fête nationale, il y avait beaucoup de voitures garées sur les parkings. Les terrains de beach volley accueillaient de nombreux joueurs et les surfeurs attendaient les vagues. Sur la corniche, les joggers et les patineurs se pressaient au grand désarroi des marcheurs.

Elle avait donné rendez-vous à Chelsea LeBeau à la terrasse du Blue Plate Oysterette. Elle se dirigea vers l’établissement de l’autre côté d’Ocean Avenue. L’analyste était déjà arrivée, installée à une table un peu isolée.

— Bonjour Mademoiselle LeBeau, j’espère que vous n’avez pas eu trop de mal à venir à ce rendez-vous de dernière minute. J’aurais dû vous avertir un peu plus tôt, mais je ne savais pas précisément où je me trouverais avant ce midi.

— Rassurez-vous, c’est parfait pour moi. Je réside à Pacific Palisades, c’est tout proche.

— Pacific Palisades, vous avez de la chance, moi, je vis à Anaheim, c’est beaucoup moins cool.

— Vous êtes près de Disneyland !

— Oui, bon, vous me voyez à Disneyland ?

— Avec vos enfants peut-être ?

— Je vis seule, je crains que mon travail soit ma seule famille.

— Et bien, j’espère qu’il vous donne satisfaction. Je n’ai pas non plus de famille en Californie, à l’exception de ma mère, que j’ai fait venir de Chicago quand elle a été malade. Depuis, elle est dans un établissement spécialisé et ne me reconnait même plus.

— Dans ce cas, si je peux me permettre, accepteriez-vous de dîner avec moi ce soir ? Après avoir parlé de notre brillant ingénieur bien sûr.

— Ce sera avec plaisir, répondit Chelsea. Voulez-vous que nous commandions quelque chose à boire avant de commencer ?

Les deux femmes attendirent que le serveur leur ait apporté les boissons, un Chardonnay pour Melody et un bourbon pour Chelsea.

— Je vais tout de suite vous rassurer, votre candidat nous semble parfaitement clean. Nous avons remonté son parcours sans difficulté ni zone d’ombre. Nous avons fouillé les réseaux sociaux, personnels et professionnels, les adresses mails et les numéros de téléphone. Nous n’avons trouvé aucun secret dissimulé sous un alias ni aucune relation litigieuse. Nous avons également établi sa généalogie et examiné la situation de ses proches. En dehors de son grand-père, qui a quitté l’Allemagne nazie avec l’équipe de Werner Von Braun, tous ses ascendants sont américains depuis au moins cinq générations, pour la plupart anglo-saxons. Ses deux frères travaillent pour le gouvernement, l’un dans les services fiscaux à Milwaukee, l’autre au Pentagone. Il a également une sœur qui est médecin à l’hôpital Johns Hopkins de Baltimore. Il n’est pas marié, mais il a une relation stable depuis plusieurs années avec Laureen Cole, qui travaille comme cadre commercial chez Hewlett Packard. Elle vit à San Francisco et ils se rencontrent les week-ends, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. Il boit modérément, nous n’avons relevé aucune infraction routière faisant référence à la consommation d’alcool ou de stupéfiant, ni aucun autre délit d’ailleurs. En bref, je crois que vous pouvez lui faire confiance.

Chelsea sortit de son porte-documents une grosse enveloppe fermée et la tendit à sa cliente.

— Vous trouverez tous les détails dans cette enveloppe, ainsi que notre note d’honoraires.

— Vous me soulagez d’un grand poids, je vous remercie infiniment. Je ne vous cacherai pas que sa candidature a fait débat au sein de notre conseil d’administration. Nous travaillons dans un milieu très fermé, où tout le monde se connait. Nous sommes concurrents, mais bien souvent amenés à collaborer sur les projets majeurs. Certains de nos dirigeants craignaient de prendre un risque en recrutant une personne venant d’un milieu extérieur, alors que c’était justement ce que souhaitait notre donneur d’ordre SpaceX.

Melody Hong glissa l’enveloppe dans son sac et leva son verre.

— Et si nous profitions un peu de ce début de week-end ? Puisque vous habitez le secteur, vous devez connaître quelques bonne adresses.

— Je crains que les établissements que je fréquente habituellement ne soient déjà tous complets, mais que diriez-vous de venir prendre un verre chez moi ? Mon bar et ma cave sont assez bien approvisionnés.

— Vous… tu ne saurais me faire plus plaisir. Je dois reconnaître que je n’ai pas vraiment la tenue appropriée pour faire la tournée des lieux à la mode.

— Dans ce cas, je te propose de déguster quelques huitres ici, elles sont excellentes, puis je t’emmènerai à la maison. Tu pourras appeler un Uber pour venir reprendre ta voiture.

— D’accord, dans ce cas, laisse-moi le temps de faire un tour aux toilettes.

Chelsea regarda sa nouvelle amie s’éloigner, le pas léger. Quelques minutes plus tard, elle la vit revenir. Melody avait libérer ses cheveux noirs qui tombaient librement sur ses épaules. Elle avait changé son maquillage pour un style beaucoup plus sensuel. Elle avait ouvert la veste de son tailleur et libéré les boutons du haut de son chemisier, offrant une vue agréable sur le sillon séparant ses seins et la dentelle de son soutien-gorge. Enfin, elle avait troqué ses chaussures plates contre des sandales à talons. Elle n’avait malheureusement pas pu raccourcir sa jupe grise. Chelsea fit mine d’applaudir et félicita Melody pour cette transformation. Son intuition ne l’avait pas trompée, il y avait deux personnalités chez celle qu’elle ne considérait plus comme sa cliente.

Le soleil était couché depuis longtemps sur les Channel Islands et le Pacifique. Les deux femmes avaient déjà vidé une bouteille de Chablis et les verres étaient maintenant remplis d’un Condrieu de bonne figure.

— J’adore les vins français, avoua Chelsea, sans doute l’influence des planteurs qui s’est transmise à travers leurs esclaves.

— Hélas, je n’en dirais pas autant des vins chinois. Il y a bien quelques vignobles créés par des français dans l’Himalaya, mais ils sont totalement inabordables.

— Je ne bois pas que ça, rassure-toi, il y a des vins très sympathiques dans la Napa Valley et aussi autour de Santa Barbara.

— Je vais t’avouer quelque chose, murmura Melody. Dans mon entreprise, la plupart des collaborateurs me détestent. Je passe pour une arriviste sans états d’âme, qui ne pense qu’au travail. Et je crois que c’est assez vrai. Je n’ai pas de véritables amis, tout juste des relations motivées par l’intérêt et le désir de faire avancer ma carrière. Je ne ressens pas ça avec toi.

— Je te remercie, sincèrement. Moi non plus, je n’ai pas beaucoup d’amis proches, ni homme ni femmes, en dehors de mon associé que je connais depuis près de vingt ans.

— Tu couchez avec lui ?

— Je vais mettre ça sur le compte du Condrieu, répondit Chelsea en riant. Au début, j’aurais bien aimé, mais j’ai vite compris que je n’aurai jamais aucune chance. C’est le plus adorable des homos de Los Angeles.

— Ah, c’est dommage.

— Pourquoi ? Je suis bien comme je suis, je n’ai pas d’attaches ni de contraintes. Il y a quelques jours j’ai passé un moment fabuleux avec un jeune couple de musiciens. On a bu du bourbon, fumé des joints et fait l’amour toute la nuit.

— Comment est-ce que tu me trouves ? Je veux dire, physiquement ! demanda Melody.

— Bien mieux comme ça que la première fois que je t’ai rencontrée. Tu as besoin de t’habiller comme une vieille femme et de marcher avec un balai dans le cul ?

— C’était l’uniforme dans toutes les boîtes où j’ai travaillé.

— Bon, et bien ici ce n’est pas le cas. Enlève cette jupe affreuse que je voie ton petit cul.

Melody ne se fit pas prier et se leva pour faire glisser sa jupe sur ses hanches, dévoilant un tanga de dentelle blanche. Elle ôta également ses bas blancs et son chemisier, déjà largement déboutonné. Chelsea imita sa visiteuse et lui prit la main pour l’entraîner vers la piscine. Arrivée au bord du bassin, elle dégrafa son soutien-gorge et fit glisser son string avant d’entrer dans l’eau. Son amie la suivit de près. De l’eau jusqu’à la taille, les deux femmes s’enlacèrent pour un baiser passionné tandis que leurs mains exploraient leurs corps nus.

Après un moment de caresses fougueuses, les deux femmes sortirent de l’eau. Quand la bouteille de vin fut vide, Chelsea s’adressa à son amie toujours nue sur la terrasse.

— Tu peux dormir ici, si tu veux.

— Seulement si c’est dans ton lit, répondit Melody.

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