Partie 2

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— C’est… incroyable ; non, j’y crois pas. T’es sûre que c’est vrai, je rêve pas ? C’est pas encore un de tes mauvais tours… ?

L’admiration avait rendu mince comme un fil la fin de sa maladroite question. Évidemment que cela ne pouvait être une supercherie ! Comment une fillette aurait pu ainsi faire tournoyer dans l’air des êtres de lumières pas plus grands que la paume de la main, aurait fait danser des elfes de tailles humaines ou faire chanter les naïades du courant d’eau ?

Son ami, le jeune garçon aux cheveux hirsutes, avait pensé voir des poupées articulées suspendues à des fils transparents au-dessus des arbres et à des humains déguisés avec des oreilles pointues ou des mains palmées, mais quelque chose lui soufflait que rien de tout ceci n’était inventé. Peut-être la réalité de la situation. Il ne niait pas que lorsqu’une fée touchait le bout de son nez, il pouvait très clairement voir son visage lisse, mais fait de bois poli ; elle ressemblait alors à une marionnette, effectivement. Et quand une autre se posait sur son avant-bras et qu’il lui caressait le haut du crâne, hésitant, il sentait une délicate toison dorée, une tapisserie sans défaut et douce comme il n’en avait jamais touché. Quant aux elfes aux longues tuniques bleus, rouges, violettes ou blanches, ornées tout comme leur visage de symboles et spirales à peinture d’or, leur farandole était attrayante sur la canzone des créatures de l’eau ; en écoutant et regardant la scène, il avait l’immense envie de se joindre à la fête. Mais il restait bien assis, contenant son désir avec force, car son amie demeurait face à lui en tailleur sur l’herbe haute, le dos contre un arbre ; il ne pouvait pas lui fausser compagnie.

Ces trois êtres étaient les premiers qu’il avait perçus en arrivant ici, mais il était ensuite venu en sautillant les farfadets aux regards verts. Néanmoins, peut-être étaient-ils déjà là, ça, il ne le savait pas, car leurs tenues des bois se confondaient parfaitement avec l’écorce. Seul la forme changeait : certains avaient de longues robes, d’autre plus courtes ; il y avait des shorts et des pantalons, et des t-shirts passant d’une épaule à l’autre ou descendant jusqu’à l’aisselle ; les derniers étaient encapuchonnés et sans manches et refusait de divulguer leurs yeux que le garçon imaginait pourtant aussi brillants que leurs compatriotes.

À présent, un peu plus loin, entre deux arbres, il apercevait des fumées blanches ondoyées dans leur direction, entourant les troncs avec lenteur et tendresse, comme une mère aurait enlacé son enfant. Elles se déplaçaient avec fluidité et paraissaient si naturelles aux yeux du garçon qu’il n’en ressentit aucun émerveillement. Il les regardait simplement venir, mais s’il avait pu, il les aurait volontiers embrassé – lui-même ignorait la raison de ce souhait. Quand elles lui touchèrent le corps, les fées s’en allèrent, cédant leur place.

Son amie eut à ce moment une réaction inattendue : elle pouffa de rire.

— Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? demanda-t-il incrédule.

— Ô mon pauvre…

Son rire s’atténua, et il remarqua alors que tous les regards – fées, elfes, naïades, farfadets – étaient tournés dans sa direction ; les fumées volaient toujours, immobile autour d’eux.

— Tu n’as pas beaucoup d’imagination, dis-moi ! Je le vois bien que tu n’es jamais venu à l’intérieur de cette forêt. J’ai bien fait de ne pas te laisser à l’orée.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Je ne vois pas ce que je pourrais imaginer d’autre !

— Avec le temps, ça viendra. Tu modéliseras la plus belle, la plus grande, la plus étonnante créature ! Puis, tu seras capable de faire des transformations sur ton propre corps. Il faut t’entraîner.

— Vraiment ? Tu le fais, ça, toi ?

La jeune fille hocha sa tête fendue d’un large sourire.

— Mais aujourd’hui, tu tiens les rênes, répondit-elle.

— Alors dis-moi, j’peux vraiment tout imaginer ici ? Personne ne m’en empêchera ? Par exemple… j’ai une idée.

Pris d’une soudaine euphorie, le garçon se leva, épousseta ses jambes dénudées et tendit les bras. Ses lèvres se pincèrent et les ailes de son nez vibrèrent. Il sentit ses tempes battre au rythme de son sang montant et descendant dans son corps, et les semelles de ses bottes s’enfoncèrent de quelques millimètres dans la terre. Il prit une profonde, puissante et bruyante inspiration ; son torse se gonfla. Il relâcha tout.

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