Partie 3
Il fit un tour sur lui-même, à la recherche de sa création, et rougit quand il reprit conscience de l’attention qu’il suscitait. Il regardait bien, cependant, partout autour de lui, lançant même son regard aussi loin qu’il put entre les branchages, mais…
Son amie, toujours assise, émit une petite vocalise de surprise et se pencha. Avant même que le garçon ne put voir quoi que ce soit, elle agrippa ce qui semblait du coin de l’œil une tâche rouge sur l’herbe. Les mains en soucoupe, elle se releva. Son front arrivait à son menton, c’est pourquoi elle levait souvent la tête pour lui parler, les yeux dans les yeux ; dans ce cas-ci, le garçon ne put donc voir ce qu’elle avait ramassé.
— Il est tout petit, tout mignon ! s’exclama-t-elle. Regarde !
Et alors, il vit.
Ce n’était pas exactement ce à quoi il s’était imaginé ; peut-être ne s’était-il tout simplement pas assez focalisé sur la taille de l’animal. Il avait pourtant fait comme son amie lui avait expliqué, suivi ses indications. Le moindre détail de ce qu’il voulait modéliser, la moindre sensation qu’il souhaitait ressentir à son égard et si c’était, comme ici, un être vivant, il devait connaître ses sentiments, sa manière de voir, de ressentir et de réfléchir. Mais encore une fois, il devait sûrement avoir oublié de se préciser la taille, car pour lui, c’était une évidence : il le voulait géant ; la réalité, elle, ne l’avait pas perçu ainsi.
Dans les petites mains enfantines, mugissait un dragon. Les doigts de l’enfant étant un peu repliés, la créature glissait sa queue le long des phalanges. Elle battait l’air de ses grandes ailes, épaisses et dotées de griffes, espérant peut-être s’envoler, mais sans grand succès. Là, elle cracha une petite flammèche, plus petite encore que celle d’une allumette et toussota ; la fillette ne se formalisa pas de sa paume noircie.
— Je le voyais plus grand, rechigna-t-il.
— Sûrement. Tu aurais pu ! Il n’aurait pas fait de dégâts ici ; j’ai déjà imaginé une armée, tu sais ! Et comme je l’avais voulu, rien ne prenait flamme quand l’un d’eux éternuaient. Tiens, prends-le !
Il était sur le point de refuser, déçu de son échec, quand il sentit une vague bousculer sa poitrine. Il remarqua dès lors une ficelle de laine rouge tendu entre lui et sa création.
— C’est le lien, dit son amie, après s’être demander durant un instant ce qui le bloquait. Si tu fais plus attention, tu le verras aussi sur les autres.
Il se tourna alors vers les autres créatures et chercha un instant.
Ce fut si soudain lorsqu’il éprouva à nouveau ce sentiment de remous et de tiraillement qu’il vacilla sur un pied. Son champ de vision se tacha de lignes écarlates, toutes passant d’une cage thoracique à une autre, et il eut la sensation d’être attiré dans un sens, puis son opposé, plus aussi maître de ses déplacements qu’une seconde auparavant.
Il regarda, la peur au visage, son amie dans l’espoir d’une aide ou d’une explication.
— Ce lien n’est pas physique, ne t’inquiète pas pour si peu, dit-elle. Ce n’est qu’une sensation et tu peux la maîtriser. Tu as simplement été si surpris en voyant celle du dragon que tu as un peu perdu le contrôle de tes liens.
— Ces créatures ne viennent pas de mon esprit, c’est ça qui m’inquiète ! s’exclama-t-il.
— Mais si. Ce n’est que de l’imagination de base, alors c’est normal si tu n’as pas eu l’impression de les créer. Elles sont si simples que même un bébé l’aurait fait !
— Ne rigole pas !
— D’accord, répondit-elle en souriant. Tout ce que tu dois savoir, c’est que ces créatures sont apparues instantanément quand nous avons parlé Imaginaire dans cette forêt, car ce sont les premières auxquelles tu as pensé, je me trompe ? Bien. À présent, respire et imagine que ces liens ne sont que dans ta tête ; c’est le cas, ils ne sont pas vraiment là. Allez, ferme les yeux !
Le garçon la dévisagea avec méfiance. Non pas envers elle, mais envers la situation qui dépassait tout ce qu’il avait pu un jour imaginé – c’était le cas de le dire.
Il finit par s’exécuter, car la sensation des côtes qui se déchirent n’était pas la plus agréable. L’Imaginaire faisait vraiment si mal ?
Non, bien sûr que non, son amie lui avait dit, ces liens n’étaient pas réels. Alors pourquoi s’imaginait-il de la douleur ?
— Ne visualise pas les liens, oublie-les, conseilla son amie.
Il se focalisa donc sur le noir de ses paupières.
Il tenta, malgré la gêne de son torse, d’oublier toute douleur, jusqu’à même en oublier son propre corps. Il tenait debout, mais ses membres étaient devenus si flasque qu’au moindre coup de vent, il aurait basculé aussi sereinement que du tissu. Le garçon ressemblait une poupée de chiffon.
Son menton glissa en avant au moment où il tomba dans un demi-sommeil. Il entendait et percevait tout son et bruit, mais était incapable de les analyser ou même de les écouter. Des éclats de voix entraient dans son oreille et en ressortaient de l’autre, comme l’explique l’expression, et quand la dernière parole des naïades s’atténua complètement, il flotta. Son esprit quitta lentement et avec douceur son corps, une impression semblable aux déplacements des fumées blanches.
Il se trouva dans un gouffre, un profond gouffre sans fond, sans haut et sans bas ; il ne tombait pas. Il n’eut aucune panique, aucune peur, car il dormait toujours. Il ne ressentait rien…
Jusqu’à ce qu’une main lui secoua l’épaule. Il avait perçu ce mouvement qui l’avait réveillé, car il était d’une brusquerie sans nom. Un tremblement de terre qui se répercuterait dans le haut de son corps aurait eu le même effet.
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