07 : Blessures

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 Après presque deux heures à évoluer sur les tapis noirs désormais glissants de sueur, Riley entendit le gong sonner, signifiant la fin du dernier entraînement où elle avait appris les coups de poings et de pieds les plus basiques.


  • C'est bien, vous avez tous bien bossés ! Applaudissait l'entraîneur.

 En haut, le combat se terminait pour Evan. Enlevant son casque et son protège-dent, il passa la corde du ring tandis que Ryan lui donnait les derniers conseils pour cette soirée bénéfique pour son protégé.


 Assoiffée, Riley commença à se diriger vers les vestiaires, n'ayant pas de bouteille d'eau.

 Passant les portes, elle se dirigea vers le premier point d'eau qu'elle trouva. Elle se pencha au robinet et alluma l'eau pour se désaltérer.

 Au loin, elle crut entendre des sifflements. Inconsciemment, elle s'arrêta. Etait-ce à elle qu'ils étaient destinés ? Non, les garçons de ce club avaient l'air plutôt respectueux tout à l'heure.

 Cependant, les chuchotements continuaient. Etait-ce dans sa tête ? D'ailleurs, un fort mal de crâne se fit retentir. Elle porta sa main à son front, qui était bouillant. Elle chassa ses pensées et continua à boire, alors qu'un petit sifflement s'échappaient de ses oreilles.


 Ce premier entraînement, ce tout premier test, elle en avait bavé. Elle n'avait jamais autant transpiré de sa vie, et elle ne s'était pas ménagée. Peut-être avait-elle trop fait d'un coup ? Ou était-ce seulement cette pression énorme du poids qui posait sur ses épaules depuis des années qui commençait lentement à s'évaporer, en même temps que sa sueur ?

 Elle entendait encore les voix, les gars qui lâchaient ce petit bruit accompagnant leur respiration, comme les tennismans, mais en plus rapide et plus sec. Elle voyait encore le jeune homme qui était sur le ring, oh qu'elle en bavait de pouvoir monter un jour là-haut...

 Mais elle devait encore faire ses preuves.


 Prise dans un tourbillon de pensées, elle ne réalisa pas sa main qui commença à trembler. Serrant les dents, elle s'enferma dans sa bulle, au fin fond de son inconscient. Elle cherchait à fuir ces rires, ces insultes, qu'elle percevait de nouveau, comme si cela ne s'était jamais arrêté. Mais cela avait-il vraiment cessé un jour ? Il y a encore une nuit de cela, elle se faisait agresser en pleine rue...

 Elle ressentit un poids nouveau, mais différent. La pression, ce stress, cette angoisse constante qui vivait en elle depuis des années. Dangereusement, cette sphère rouge s'approchait de sa bulle où elle s'était enfermée. Malheureusement, sa barrière protectrice n'était plus aussi résistante qu'avant. Plus les années passaient, plus elle se laissait submerger par ses émotions, et en un clin d'œil, Riley devenait incontrôlable. Il suffisait qu'un son, une image, une odeur, ou un simple ressenti lui rappelle ses années scolaires...


"Riley... Riley..."


Et un ricanement.


  • Lâchez-moi... Suppliait-elle à ses démons.

 Ses lèvres tremblantes, s'accrochant au bord du lavabo, tête baissée et trempée de sueur et d'eau, on pouvait percevoir un léger son, sortir dans de petits souffles entrecoupés de quelques reniflements.


 "Jess... Kim... Jason... Stacy... Will... John... Kevin..." répétait-elle, chaque fois dans un ordre différent.


Un nouveau ricanement.


"Ooohh Riley... Tu te crois si maligne..."


  • La ferme... La ferme... gémissait-elle.

 Elle tentait le tout pour le tout pour ne pas éclater. Intérieurement, elle se battait, bras tendus, pour bloquer la sphère nommé "Angoisse" et l'autre nommé "Passé". Elle luttait pour que sa barrière fragile ne rompe pas.


 Cependant, la réalité était telle qu'il fallu qu'un type passant par là pose une main, qui, de son point de vue, ne cherchait qu'à être apaisante, pour que Riley éclate.



 Dans un élan de rage, elle releva subitement la tête, dents et poings serrés, agrippa le pauvre adolescent par le poignet, retourna celui-ci avant d'avancer pour le plaquer au mur d'en face, pour ensuite lui assommer un coup de poing au visage. Apeuré, le jeune homme bloqua l'attaque mais cria, cherchant à s'extirper de cette mauvaise posture.

 Il n'était que l'innocente victime de la colère et la haine de Riley, qui, prise par les émotions, ne réalisa pas la dimension de son erreur, avant qu'une voix bien portante et éraillée ne résonne dans la pièce.


 Figée, paralysée, son visage crispé par la colère, se radoucit quelque peu avant de prendre la même forme que son camarade en face d'elle. Prise d'un nouveau sentiment, cette fois-ci la panique, elle se confondit en excuses brouillées par ses lèvres tremblantes ne sachant que dire, et ne prit pas la peine de regarder Ryan, prenant la direction du fond des vestiaires afin de récupérer ses affaires.


 Cherchant une douche de libre, elle s'engouffra dans la pièce heureusement vide, s'enferma et appuya sur le pressoir minute, délivrant une eau glacée qui tarda à se réchauffer.

 Respirant fortement, prise d'une crise, elle ne parvenait pas à reprendre le contrôle d'elle-même. Son esprit divaguait, et elle se surprit de nouveau à se rendre coupable de tout ce qui lui était arrivé depuis le début.

 Une chose qu'elle faisait régulièrement, le manque de confiance en soi ayant été perdu depuis des lustres.


 Elle s'inventait des raisons, des excuses, des explications loufoques qu'on pourrait qualifier de "rationnelles", même si elles étaient loin de l'être.


  • Je suis sûre que si j'avais été un gars... Se disait-elle.

 Par moments cela lui arrivait. De se dire que si elle n'avait pas été fille, nombre de problèmes lui auraient été épargnés.

 Mais parfois, elle accusait aussi Mère Nature d'être responsable. Qu'elle avait été trop dure avec elle. Qu'aucun humain ne pouvait subir autant de choses. Car dans la nature humaine, elle jugeait que cela était trop insupportable. Nombre de ceux qui ont vécu un harcèlement, qu'il soit pire ou moindre par rapport au sien, aurait préféré passer la porte du Paradis.

 Mais pas Riley.


 Et elle se le demandait, encore et encore : pourquoi ? Quelle était cette force qui la maintenait debout, en vie ? Qu'est-ce qui la poussait à vivre, alors qu'elle avait tout perdu ?

 Des larmes s'étaient mises à couler le long de ses joues. L'humidité de la pièce commençait à mouiller ses vêtements. Les questions se bousculaient, toutes, sans réponses.

 Devait-elle encore continuer ? Y avait-il, quelque part, un endroit bien pour elle ? Retrouverait-elle confiance en elle ? Apprendrait-elle à aimer son corps parsemé de cicatrices, d'hématomes en tout genre ?


 Au bord du gouffre, elle se laissa tomber sur le sol trempé. La douche s'était arrêtée, elle avait replié ses jambes sur elle. Elle serrait le plus possible ses poings, enfonçant ses ongles dans sa propre chair, presque au sang.


 Il n'y avait rien autour d'elle pour libérer sa souffrance. Rien de cassable, rien de tranchant. Elle y avait songé quelques secondes, et de temps en temps, cette envie lui prenait. D'ajouter des cicatrices pour effacer celles causées par les autres.

 Mais ce soir, elle ne ferait rien.

 Riley resta là, de longues minutes, tremblotante, avant qu'un bourdonnement n'efface le bruit assourdissant de ses pensées, sa vision devenant floue, et que ses dernières forces ne la quittent, la plongeant dans un sommeil à demi-conscient.


                    ***



 Evan donnait son dernier coup avant d'être applaudi par son coach. Il écouta vaguement les conseils qu'il lui donnait, préoccupé par d'autres choses. Son combat approchait à grands pas, et même s'il ne le montrait pas, la peur de ne pas être à la hauteur se faisait ressentir chaque jour un peu plus.

 Au loin, le gong avait retenti pour les boxeurs d'en bas. Il tourna la tête le temps d'apercevoir quelques uns de ses potes, ainsi que Riley qui disparu rapidement dans les vestiaires.


  • Evan.

 Revenu à la réalité, Ryan l'observa un instant.


  • T'écoutais pas, com'd'hab. Dit-il dans son accent.
  • Pardon, je suis un peu fatigué. Répondit le jeune homme.

 Ryan forma un son de marmonnement au fond de sa gorge, avant de tapoter l'épaule de son poulain.


  • Va boire, enlève tes équipements. T'en as assez fait pour aujourd'hui.
  • Merci.

 Evan descendit à pas rapides les escaliers et se dirigea à son sac, posé à côté des casiers. Il se désaltéra et rangea soigneusement ses affaires, lorsqu'il entendit Ryan parler avec l'autre entraîneur.


 Il n'entendit pas tout, mais écoutait d'une oreille presque attentive. De ce qu'il comprenait, le sujet de conversation était Riley.

 Il parvenait à déchiffrer quelques mots, comme "souffrance", "hargne, "envie", ou bien "talent", "force, "conviction".


 Lentement, il se tourna d'un quart, pour apercevoir Ryan acquiescer. Il cherchait à déceler les mimiques de son coach, qu'il connaissait parfaitement pour savoir que certains de ses tics faisaient référence à la peur du passé. Evan ne pouvait que comprendre l'inquiétude de l'homme, pour avoir vécu cette épreuve avec lui. Cependant, il ne devait pas se mettre des oeillères, et faire face à la réalité. Si Riley avait sa chance, il devait la lui donner. Et si Ryan ne le faisait pas...

 Non, il n'allait pas s'en charger lui ? Ce serait un trop gros poids sur ses épaules. Il a d'autres préoccupations, beaucoup plus importantes que de gérer la demoiselle. Même si elle paraissait sans complexité, Evan ne se sentait tout bonnement pas capable de faire tout ce que Ryan avait fait pour lui dans le temps. Cela demandait du travail et du temps, deux choses qu'Evan n'avaient pas. Enfin si, mais pas pour ces raisons. Il gardait ses deux forces pour une seule chose : la boxe.

 Et il fallait le rajouter, il ne la connaissait pas. Raison de plus pour ne pas se mêler. Après tout, il avait déjà fait assez pour convaincre Ryan de la laisser tester une session d'entraînement.


 Pendant qu'il analysait la situation, il n'avait pas remarqué que son coach l'appelait. Clignant des yeux, il tiqua un instant avant de reprendre contrôle et de s'avancer auprès de Ryan.


  • Tu dors debout maint'nant ? Disait l'homme sur le ton de la rigolade.
  • Nan, je réfléchissais.

 Ryan expira.


  • Toi tu fais toujours des trucs pour rien. Bon, j'dois t'parler de deux trois p'tits trucs.
  • Oui ?
  • Au sujet d'la...

 Il n'eut le temps de finir sa phrase. Un cri retentit depuis les vestiaires. Grognant, il se précipita à l'intérieur, laissant son élève en plan, en plein milieu de la salle. Ce dernier haussa les bras.


  • Super. Qui c'est qui martyrise les minots cette fois ?

 Rapidement, il suivit Ryan.


 Retenant les portes pour éviter de se les prendre en pleine face, il dût se faufiler à travers la petite foule qui s'était formée pour assister aux premières loges d'une Riley en furie. Quand Evan comprit ce qu'il se passait, il demanda à ses camarades de quitter la pièce, jugeant que la scène n'était pas un spectacle un ciel ouvert. Il remarqua rapidement la demoiselle affronter le regard de Ryan avant de s'échapper en direction des douches. Ne cherchant pas plus loin, il prit les devants et accompagna le groupe à l'extérieur des vestiaires.


 Néanmoins, il s'approcha du jeune ado qui avait été la cible d'une certaine colère féminine.


  • Bah alors, tu lui as fait quoi pour qu'elle te bloque au mur ? Demanda-t-il calmement, non sans un léger rire peu contrôlé.

 Toujours paniqué, le garçon, qui ne devait pas avoir plus de seize ans, leva les mains en l'air, ses pupilles exhorbités.


  • R... Rien ! Je... J'ai vu qu'elle... Mais, il ? Bon heu bref Riley son nom ? C'est ça ?
  • Okay. Du calme. Je veux juste savoir ce qu'il s'est passé. Ryan voudra sûrement un récap'.
  • Oui oui...

 Le garçon expliqua donc ne pas être le coupable, mais bien la cible de Riley, prise d'une trop grande colère mêlée à de l'angoisse, ainsi que de la peur. Après s'être assuré que l'adolescent se sente mieux, Evan repartit donc en direction de Ryan, qui sortait tout juste des vestiaires, essuyant son front d'une main.


  • Pas de dégâts ? Demanda le jeune homme.
  • Nan, mais ta p'tite donzelle... Elle est sacrément folle.
  • Folle ?
  • T'as vu la marque qu'il a au visage le p'tit ?!

 Il montra d'une main et Evan réalisa effectivement que l'ado avec qui il venait de parler était assez amoché.


  • J'veux pas d'ça dans mon club. Tu l'sais. Si elle sait pas se gérer, elle se barre.
  • Je sais.
  • Le blème, c'est que j'suis embêté là.

 Curieux, Evan croisa les bras, relevant un sourcil.


  • Ah oui ? Et pourquoi l'es-tu ? Demandait-il vaguement, pensant déjà à la suite de la phrase.
  • Ben... Tu m'as pas ramené une moins que rien...
  • Je m'en doutais. Tu me donnes raison alors ?
  • Pas sur toute la ligne.
  • Mmhh... Niveau du comportement je présume ?
  • Exact. Mais elle en a à revendre.
  • Tu trouves ?
  • C'te fille, elle a que'qu'chose.

 Les deux restèrent muets un instant. Ryan avait un lourd choix à faire et, dans le silence, Evan le soutenait. Peu importe la décision que son mentor prendrait, il respecterait son choix. Il n'avait pas son mot à dire là-dessus, après tout, il était élève, comme tous les autres. Pas coach.


 Après quelques minutes, Evan trouva le temps long.


  • Tu penses faire quoi alors ?

 Ryan marmonna, avant de porter une main à la base de son menton.


  • Il faudrait que je voie de mes propres yeux. J'ai pas trop fait attention à sa prestation de ce soir. Faut qu'elle revienne, le plus tôt possible.

 Au fond de lui, Evan était quelque peu ravi d'avoir vu juste. Il tourna la tête vers les vestiaires. Elle n'en était toujours pas sortie.


  • D'acc. Je lui dirais. Et...
  • Et toi, entraînement demain matin, à l'ouverture.
  • Bien. J'y serais.

Evan s'éloigna et commença à saluer son coach, avant de rassembler ses affaires. Il vit Ryan entrer dans les vestiaires, sûrement pour aller chercher Riley.


 Comme à son habitude, Evan prit cinq minutes pour faire le tour de la salle, étage par étage, afin de saluer les profs et les camarades. Au moment où il s'apprêtait à franchir les doubles portes donnant sur l'extérieur...


  • TURNER !

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