Mission 02 - Deuil
Défi : Une scène, 1002 histoires - par Pattelisse
Une femme creuse un trou dans son jardin, puis elle y met quelque chose. Le lendemain, elle découvre que ce qu'elle avait mis en terre n'y est plus.
Perchée sur une branche argentée, Mylèna observa la numérienne creuser dans son jardin irisé par les lumières émises par le code binaire du ciel. Ces dernières brillaient davantage la nuit, en devenaient presque aveuglantes.
Mylèna ne bougea pas de son perchoir. Elle s'était disputée avec le prince deux jours plus tôt à propos de cette mission. Du fond de son code, elle sentait que quelque chose clôchait. Erka l'avait envoyée enquêter sur cette femme accusée d'un trafic dont elle ignorait la teneur - la jeune femme avait refusé d'en entendre davantage. Si elle avait accepté la mission, ce n'était pas pour l'arrêter, mais pour l'innocenter. Elle comptait bien prouver au prince que parfois, les choses étaient plus complexes qu'elles n'y paraissaient.
T'as vraiment perdu de ton empathie, Mec.
Son labeur terminé, la femme soupira et s'éloigna. Le ventre de Mylèna se noua. Elle était presque certaine de l'avoir entendue retenir un sanglot.
Elle soupira, résignée et sauta à terre en se réceptionnant avec souplesse. Elle détestait ce qu'elle était sur le point de faire, mais ne reculerait devant rien pour prouver l'innocence de cette femme.
Elle pénétra dans le jardin, jusqu'à l'endroit où la modélisation de ce dernier était déformé, le maillage visible et tordu. Mylèna s'y agenouilla et arracha quelques surfaces, en espérant trouver l'objet illicite enterré et le détruire. Ainsi, cette numérienne serait protégée et Mylèna n'aurait plus qu'à enquêter sur ce qui avait vraiment poussé la femme à obéir à un réseau de trafiquants.
Déjà, accomplir cette mission avant la descente des gardes le lendemain.
Enfin, sa main toucha quelque chose. Mylèna fronça les sourcils. Cela ne ressemblait en rien à une quelconque item de drogue ou une arme. Son coeur tambourina dans sa poitrine et elle se força à continuer son exploration.
Elle se glaça d'horreur.
Un enfant gisait, inerte, un large trou sombre dans sa poitrine. La colère irradia en Mylèna.
Quelle est l'ordure qui a commis ce crime ?
Peu importait pour l'instant. Elle avait sa preuve. La numérienne était bel et bien innocente. Sauf que Mylèna ne pouvait pas laisser cet enfant là. Elle savait ce qu'il en adviendrait, pour avoir manqué d'y passer elle-même. Elle en portait, depuis, cette blessure en forme de croix sur son front, qu'elle devait s'efforcer de cacher.
Révulsée, Mylèna prit sur elle pour sortir l'enfant dans un bras, reboucher le trou et s'enfuir dans les fourrés.
***
Un hurlement strident, le lendemain, la réveilla. Mylèna bondit sur ses jambes et accourut vers le jardin, après s'être assurée que l'enfant était bien caché.
La scène ne manqua pas de lui rappeler l'un de ses traumatismes d'enfance : des gardes avaient déboulé dans le jardin, acculaient la femme en pleurs devant un trou vide. Difficile de dire si elle pleurait de désespoir ou de soulagement de voir que les gardes n'avaient rien trouvé.
— Fouillez la maison, ordonna le chef des gardes.
— Je suis innocente ! hurla la femme.
— C'est ce que nous verrons. Nous vous avons vue échanger avec les trafiquants !
— STOP !
Mylèna s'interposa entre les deux camps, les yeux chargés de colère.
— Elle dit vrai, affirma-t-elle.
— Mademoiselle Mylèna, ce n'est pas parce que vous êtes la missionnaire attitrée du prince que vous pouvez faire ce que vous voulez ! assena le capitaine.
Mylèna lutta pour ne pas lui en coller une. Elle repoussa le souvenir des gardes envahissant sa propre maison d'enfance, pour tous les arrêter, alors qu'ils étaient tous innocents. Et avait subi le châtiment réservé aux criminels : le formatage de mémoire, bien que ce dernier avait raté sur elle. En partie. Ces hommes avaient beau avoir retrouvé leur honneur, elle n'avait jamais su pleinement étouffer sa rancoeur.
Elle tendit son pistolaser vers le front du capitaine, et tous les gardes levèrent leurs lances sur elle. Mylèna s'en moqua.
— Cette femme est innocente, articula-t-elle avec froideur. Elle est assez condamnée comme ça ! Elle a besoin d'être sauvée, pas enfoncée ! Alors au lieu de vous en prendre au peu qui lui reste, allez plutôt arrêter les véritables cerveaux de ce réseau pourri !
— Nous devons vérifier.
Mylèna tira à ses pieds et les armes se rapprochèrent dangereusement d'elle. Elle ne cilla pas et désigna le trou d'un regard.
— Z'avez vu quelque chose ? Non. Y'a rien.
— Elle a forcément creusé pour quelque chose.
— Ouais. Mais vous seriez surpris de découvrir qu'on fait parfois n'importe quoi en pleine dépression sévère.
Elle baissa son arme, cela incita les envahisseurs à faire de même. Mylèna garda son attitude imposante.
— C'est moi, la missionnaire que le prince a envoyé enquêter. Vous n'étiez pas censés intervenir maintenant, mais uniquement après mon rapport. Et vous savez quel châtiment le prince réserve à ceux qui sont coupables de mutinerie.
Les gardes pâlirent à vue d'oeil et reculèrent davantage. Mylèna ne se priva pas d'un sourire machiavélique.
— Nous allons faire un marché, capitaine. Vous dégagez de là sans rien dire ni faire, et j'oublie cet incident.
De mauvaise grâce, les gardes acceptèrent et se retirèrent peu à peu. Mylèna attendit un long moment, pour être sûre, et enfin, se tourna vers la femme, démoralisée.
— Eh, tout va bien ?
— M... merci de m'avoir sauvée... Même si mon...
Elle s'effondra, les mains enfouis dans son visage.
— S'il vous plaît, attendez-moi ici, demanda Mylèna. Vraiment.
Une fois sûre, Mylèna s'éloigna un instant et partit chercher l'enfant. Protégé dans ses bras, elle revint dans le jardin, sous les yeux écarquillés de la mère qui tendit aussitôt les bras vers son fils.
— Mais comment ? pleura-t-elle.
Mylèna le lui rendit, le regard sombre.
— Je suis désolée, c'est moi qui vous l'ai enlevé.
La femme secoua la tête, pour lui signifier qu'elle ne lui en voulait pas, soulagée que quelqu'un d'autre ait compris son geste.
L'enfant trouvé, il aurait été confié à une Configuratrice, pour que les données de son existence soient écrasées, au risque de rater et de devenir un Effacé, un individu sans âme, mort et vivant à la fois.
— Merci... Merci pour votre gentillesse... Mais comment avez-vous su ?
Mylèna lui sourit tristement et passa un doigt sous sa frange. Elle désactiva l'item de peau et souleva ses cheveux. La femme aperçut avec stupeur sa terrifiante cicatrice, avant d'hocher la tête en signe de compréhension, et surtout de reconnaissance.
La jeune femme se releva.
— Ne vous en faites pas, je m'occupe du reste, pour vous innocenter, et vous protéger. Il va juste falloir être courageuse encore un peu. Vous pouvez faire ça ?
La femme hocha la tête en serrant son enfant dans les bras. Mylèna s'en retrouva soulagée.
— Tout le monde devrait être libre de procéder aux funérailles qu'ils souhaitent, déclara-t-elle. Vous n'êtes pas forcée de donner votre fils à une Configuratrice. Mais le cacher dans le jardin n'est pas une idée brillante. Venez avec moi. Je connais un endroit où vous pourrez faire votre cérémonie d'adieux tranquille.
— Merci... Pour tout. Je n'oublierai jamais.
Mylèna ne sut quoi rajouter. Ses yeux verts se dirigèrent vers les toits du palais, au loin, derrière quelques immeubles irisés.
Prince... Il est grand temps que tu parviennes à abolir certaines lois sur Numériland...
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