Mission 03 - [Flashback] Création de l'héritier
Défi : Une scène, 1003 histoires - par Pattelisse
Un prêtre pénètre dans un édifice sacré, il est suivi d'une longue procession. Seul le prêtre finit par en sortir.
Les mains fines et blanches de la Reine glissèrent sur ses épaules. Il ressentait sa présence glaçante dans son dos, pourtant, le garçon demeura de marbre, les yeux vides, fixant un point quelque part sur le sol.
— Tu as su impressionner notre Configuratrice. À présent, tu dois faire de même avec tes souverains. Montre-toi digne.
Erka demeura silencieux, tel le pantin qu'il était. Intérieurement, il agonisait. L'obliger à exécuter ses concurrents n'était donc pas suffisant, en échange de garder la partie sauvegardée ?
Vêtu de manière cérémonieuse, il releva le regard vers l'édifice, auréolé du ciel binaire et infini. Il réprima un soupir. Au moins, son souhait d'admirer la voûte céleste lui avait été accordé. Mais sa rancoeur à l'égard des souverains de Numériland se renforça, de lui avoir gâché cette opportunité, après plusieurs mois séquestré dans les sous-sols comme un rat de laboratoire.
— Ne nous déçois pas. Tu sais ce qui t'attend, autrement.
Il acquiesça avec lenteur. Oh oui, il en était plus que conscient. Il avait déjà survécu à un formatage. Il ne survivrait pas à un second. Il ignorait à quelle donnée se raccrocher pour rester lui-même, se créer une zone de sécurité imaginaire pour se préserver. Toute sa vie antérieure avait été effacée, pour se faire remplacer par cet odieux processus.
Des gardes se matérialisèrent par téléportation, et l'encadrèrent. Erka manqua d'exploser de colère et de frustration. Il n'aurait pas l'opportunité de tricher, de doubler ses ennemis. Chacun de ses faits et gestes était étroitement surveillé.
Alors il avança, en gardant la tête haute pour ne pas avoir l'air d'être le condamné à mort se dirigeant vers sa sentence publique, comme il l'éprouvait, surtout avec cette tenue rituelle ridicule. Il avait beau ne plus posséder les souvenirs de ses anciennes valeurs, d'instinct, il savait ces actes à commettre abjects. Il n'était qu'un préado. Avec un flingue à la main et une épée à la ceinture. Qu'il avait déjà appris à utiliser aussi bien que son nouvel entourage.
L'édifice, imposant, reflétait le code céleste comme des milliers d'étoiles. Coloré comme tout le reste de Numériland.
Il s'imposa un pas cadencé, pourn'éveiller aucun soupçon. De nombreux regards pesaient sur ses épaules, qu'il peinait à ignorer. Mais ces derniers mois, il avait appris, pour survivre, à garder un visage de marbre, presque inexpressif.
La procession traversa les lourdes portes dont le modèle ondula le temps de leur passage. Une longue salle se présenta à eux, orné de vitrails aux motifs détaillés, dont la lumière du ciel passait au travers pour mettre en valeur les illustrations sur le sol carrelé.
Au fond se tassait un groupe de prisonniers enchaînés. Certains étaient alertes et étaient blêmes de terreur, les autres se trouvaient être des Effacés en décomposition. Une partie de leur maillage était visible, leur texture partiellement détruite, une blessure en forme de croix sur leurs fronts à chacun, d'où s'écoulaient des traînées aussi noires que le grand Vide destructeur de données.
Les gardes se retirèrent sur les côtés, des barrières s'élevèrent du sol pour former une arène infranchissable, mais leur permettant de ne rien rater. Et les chaînes s'effacèrent.
Erka s'imposa de rester de marbre. Le dernier regard échangé avec son ultime adversaire dans les sous-sols s'imposa à lui. Ces yeux qui l'imploraient de les venger, de détruire ce maudit gouvernement.
Les prisonniers hurlèrent quand des Effacés se jetèrent sur eux pour les mordre. La pièce devint rapidement un champ de bataille assourdissant.
Le coeur battant, Erka peina à lever le bras pour tirer. Mais son instinct se réactiva quand un Effacé surgit dans son dos. Il esquiva vers l'avant, pivota sur un pied en dégainant son épée et transperça l'Effacé au niveau de la blessure sur son front, avant de la retirer avec vivacité. Sa victime tomba comme un pantin désarticulé, la mâchoire dans une position improbable, les yeux blancs désertés d'iris. Dans le même mouvement, Erka tira au pistolaser sur d'autres Effacés, chacun au niveau de leur point faible.
Au moment d'en achever un autre, il sursauta vivement quand des mains le saisirent avec brutalité. Il se retourna vivement et se paralysa à la vue d'un des prisonniers agrippant un pan de sa tenue rituelle.
— Pitié ! Vous êtes notre sauveur ! Sortez-moi de là !
Le garçon eut toutes les peines du monde à rester stoïque. Le coeur battant, le souffle court et erratique.
S'il sauvait cet homme, ça serait la fin de sa partie. Il serait anéanti comme ses co-prisonniers. Il n'accomplirait pas sa promesse silencieuse au dernier d'entre eux.
De toute manière, qu'il le sauve ou pas, ce prisonnier était condamné. Il serait exécuté quoiqu'il arrive, et d'une manière encore plus atroce que par sa main s'il ne faisait rien.
Il aurait souhaité lui souffler des excuses. Mais le risque d'être entendu était trop grand. Surtout sur Numériland où les émotions s'affichaient aisément sur le visage.
Les gardes s'agitèrent, le capitaine commença à sortir un module, certainement pour transmettre ses observations. Le coeur d'Erka se gela. Les souverains ne devaient pas savoir ! Il ne devait pas trahir qu'il était encore capable de penser comme il l'entendait !
Alors d'un geste, il posa le canon sur le front du prisonnier et tira. Le laser traversa son crâne dans une explosion de pixels qui se désagrégèrent, pendant que l'homme s'effondrait. Le garçon tira, encore et encore, sur chacune des victimes, sans distinction, son âme un peu plus réduit en poussière à chaque partie détruite, tandis que les hurlements de terreur et d'agonie s'imprégnèrent dans son crâne déjà saturé.
Après un moment interminable, tout s'arrêta enfin. Mais les hurlements demeuraient dans sa mémoire. Le garçon eut du mal à les refouler, pour ne pas devenir fou.
Raide, il rangea ses armes et se dirigea vers la sortie, pendant que les gardes sortaient de leurs abris pour nettoyer le carnage. Au moins, il pouvait enfin en détourner les yeux, incapable de supporter le résultat de ce qu'on avait fait de lui.
Un monstre.
En sortant, il n'éprouva aucun plaisir à revoir ce ciel qu'il avait pourtant tant désiré. La gorge nouée, il demeura pourtant impassible, de l'extérieur, les yeux fixes, le regard vide.
Redevenu un pantin qui ne pensait plus.
Car s'il pensait, il allait craquer, sombrer dans la folie.
Aussi entendit-il à peine les souverains s'approcher et le féliciter. Il demeura ce modèle malléable, ce maudit jouet à leur royale disposition manipulable à leur guise, presque comme un zombie. Le seul bouclier qu'il avait conçu pour ne pas afficher ses véritables émotions en roue libre, prêts à le consumer avec violence.
Pour la peine, il souhaitait presque repasser sur la table de formatage, entre les mains de cette maudite Configuratrice. Mais cela ne servirait à rien. Car il survivrait encore et recommencerait.
Tandis qu'il se laissait guider par une main sur son épaule, il retrouva son objectif premier.
Un jour, il se vengerait.
Un jour, il les mettrait tous hors-jeu, et changerait à jamais la face de Numériland.
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