- LE PARDON -

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Le faisceau du portail s’élargissait progressivement tandis que le noyau commençait à se fissurer de toutes part. Les fondations du bâtiment s’affaiblissaient, les murs vibraient tout comme le sol. Le bureau avançait en tambourinant de droite à gauche. L’étrange matière organique recouvrait désormais la quasi-totalité de la pièce. Un froid polaire régnait dans le sous-sol du laboratoire et congelait monsieur Kulzerwski, toujours debout au milieu de cette congère funeste.

La partie visible de l’iceberg s’engouffra dans un tourbillon déchirant, qui brisa d’abord les vitres avant d’emporter toute la structure dans un vortex apocalyptique. Ce mystérieux centre de recherches scientifique n’était plus qu’un amas de tôle froissée et compacte. Les débris tournoyaient dans les airs comme une ceinture d’astéroïde et donnait à l’ensemble un étrange sentiment de légèreté.

La ville s’était arrêté. Billy, lui aussi, avait cessé son interminable périple. Portant entre ses bras affaiblis un Stanley toujours très étourdi et mourant. Il regardait désormais le spectacle astral qui colorait la voûte céleste d’un violet ravissant. Ce magnifique mais douloureux numéro lui arracha une grosse larme qui s’écoula sur sa joue et qu’il essuya presque instantanément.

Le portail était désormais grand ouvert. L’armée de Vinci et l’escouade de Lloyd s’y engouffra. La monstrueuse créature passa son immense torse à travers la porte.

Le professeur Kulzerwski, vêtu d’une épaisse parka bleue marine et de moon-boots noires se tenait toujours derrière le massif bureau en chêne. Le microclimat qui persistait dans cette pièce provoquant l’indignation de la créature :

Vinci – C’est donc ça, la Terre, je ne vous cache pas que je suis assez déçu…

Otis – Bienvenue…

Vinci – Misérable planète, je m’attendais à un accueil digne de ce nom…

Otis – Pardonnez-moi…, le professeur s’agenouilla tout en fixant la profonde balafre que la créature portait à l’œil gauche. Ils avancèrent en rang très serrés à travers les couloirs pâles et sinistres du laboratoire. Ce lieu qui avait tenu toutes ses promesses à Tchad mais dont l’étrange secret avait désormais été percé, ce qui le rendit d’une banalité sans pareille.

Les nuages noirs flottaient toujours au-dessus de la ville comme un mauvais présage. Le claquement synchronisés du pas de cette armée effroyable faisait battre encore un peu le cœur mourant du laboratoire.

Au centre-ville, Billy semblait tétanisé. L’ambiance ténébreuse de ce spectacle angoissant faisait coulait sur ses joues quelques larmes amer. Sentant grandir en lui une rage sans fond, il attrapa Stanley et se mit à nouveau à courir à travers les rues comme un dératé.

Il était au milieu d’une gigantesque avenue qui lui paraissait sans fin, tout comme cette journée. Il poussait d’étrange mais néanmoins satisfaisants hurlements de colère. Expulsant la majeure partie de son énergie négative dans cette atmosphère déjà bien assez lourde.

Tchad et les autres avait finalement trouvé refuge dans la salle des congrès, vide, à leur grande surprise. Ils rasaient tout de même les murs, par habitude peut-être. Ils se laissèrent tomber au sol sur le parquet brillant, extenués par toute cette histoire.

Otis quitta la laboratoire sans en un mot pour Lloyd. Il s’assit derrière le volant de son pick-up gris, prêt à découvrir l’envers du décor, qu’il avait œuvré à concevoir. Il conduisait sans radio et en silence au travers de ces rues désertes, fixant l’horizon. Avec pour seul compagnie, le grondement du tonnerre et les flashs aveuglants de ces éclairs intempestifs.

Billy sprintait désormais sur Manhattan Square, quand tout à coup, de l’autre côté de la rue, il aperçut un véhicule lancé à vive allure. Il déposa son ami sur le trottoir juste à côté. Il faisait de grands signes avec ses bras, espérant que le conducteur l’aperçoive. La voiture passa, sans prendre la peine de ralentir. Billy s’effondra sur ses genoux a quelques centimètres de son ami.

Ce dernier reprit lentement connaissance, demandant tout bas :

Stanley – Billy…

Billy – Stan… ?

Stanley – Je vais mourir pas vrai ?

Billy – Non, personne ne mourra.

Stanley – Mes organes sont en bouillie, c’est fini.

Billy – Stan, tiens encore un peu, des secours vont bientôt arriver.

Stanley – Je voulais te dire que je suis vraiment désolé de tout ce qui s’est passé…

Billy – Ce n’était pas ta faute, dit-il en ravalant ses larmes et sa fierté.

Stanley – Je m’en veut tellement…

Billy – N’y penses plus, reste avec moi.

Stanley – Tu as retrouvé mon père… ?

Billy – Non, je ne sais pas où il est.

Stanley – Si tu le revois…

Billy – Stan ! Reste avec moi…, susurra-t-il à son ami qui semblait doucement partir.

Stanley – Si tu revois mon père, dis-lui…dis-lui que je l’aimais et que je lui pardonne d’avoir menti…

Billy – Regarde-moi ! Tu ne vas pas mourir…, Stanley ne respirait bientôt plus. Il toussa violemment et sa bouche se remplit de sang. La douleur devenait difficile à supporter, Stan réunit ses dernières forces pour avouer à son ami :

Stanley – Billy…

Billy – Je suis tellement désolé Stan, j’aurais aimé faire plus…

Stanley – Tu as déjà très bien fais…

Billy – Stan…

Stanley – Tu n’as pas été épargné par la vie et pourtant…Tu as grand cœur…, la petite flamme de vie s’était éteinte dans les yeux de Stanley. Il poussa son ultime soupir et laissa Billy seul ici-bas. Une colère noire teignit les miettes de son cœur, il souleva son ami et le posa sur ses épaules.

Otis s’était arrêté sur le bas-côté de McMillan Boulevard. Il avait posé sa tête sur le volant sans prendre la peine de couper le moteur. Il releva légèrement les yeux et vit au loin une silhouette titubante. Il sortit en claquant la portière. Il regardait l’étrange forme avancer vers lui. La forme s’arrêta net et s’effondra au beau milieu de la rue. Le professeur accourut aussitôt vers elle. Mais plus il s’en approchait et plus il risquait de le regretter.

Billy, à bout de force, s’était écrouler de fatigue et avait laisser tomber le corps de Stan. Le professeur arriva et vit immédiatement le corps de son fils. Il le prit entre ses bras tremblants. Il balbutia :

Otis – Stan…C’est papa…

Billy – Professeur…

Otis – Stanley…C’est papa…

Billy – Je suis désolé professeur…

Otis – Non…C’est faux…Ça ne peut pas être vrai…

Billy – J’ai fait tout ce que j’ai pu…

OtisNOOOON ! hurla-t-il jusqu’à s’époumoner. Le cri de douleur, porté par le vent, se répandit dans le labyrinthe de rues, rebondissant sur les murs et fit trembler les quelques vitres encore entières.

Otis était abattu, des rivières de larmes s’écoulaient de ses joues comme des torrents infinis. Il tenait entre ses doigts la main rigide de Stanley. Il caressa sa joue en écartant légèrement ses cheveux. Billy, toujours allongé sur le bitume avait le souffle court. Il ne pleurait pas mais son cœur en avait terriblement envie.

Un frisson sournois parcouru son corps de bas en haut. De petits fourmillements titillaient le bout glacé de ses doigts. Il tremblait quelques peu, ses paupières papillonnaient de peur et son cœur frappait à l’intérieur de sa poitrine comme un marteau-piqueur.

Le professeur se resigna à porter le corps sans vie de son fils vers un lieu calme. Il le ramena au pick-up, l’enroula dans une couverture et le posa sur la banquette arrière. Otis posa sa tête sur le volant et pleura à nouveau. Assis sur le siège passager, Billy regardait au loin, l’esprit qui divaguait il n’entendait pas le bruit sourd du professeur qui frappait de toutes ses forces sur le tableau de bord.

Il conduisit la camionnette jusqu’à une plaine tranquille où le vent soufflotait de petites mélodies apaisantes. Otis ouvrit la portière et agrippa une dernière fois la dépouille de son unique fils. Il se saisit d’une pelle posée sur le plateau arrière. Il compta : « 1, 2, 3, … » Jusqu’à cent : le nombre de pas auquel il allait creusé ce trou funeste où reposerait Stan, pour l’éternité.

Chaque pelleté était d’une douleur implacable, rapprochant inévitablement Otis de son ultime entretien avec son fils. Une fois le trou suffisamment profond, il y déposa délicatement le corps.

Billy se saisit d’une petite poignée de terre rougeâtre et la jeta dans le tombeau en murmurant :

Billy – J’aurais aimé que ce soit moi. Il y a onze ans ça aurait déjà dû être moi. Je m’en suis voulu et ce qui s’est passé aujourd’hui ouvre à nouveau cette faille dans mon âme. Stanley, j’espère que tu me pardonneras de t’avoir sacrifier pour que cette cause triomphe. Si seulement je pouvais changer tout ça. Tu étais quelqu’un de bon, tu étais un héros, mais ce monde répugnant n’a que faire des héros. Repose en paix mon ami…Repose en paix mon frère…

Otis referma la modeste sépulture avec le tas de sable vermeil et sans un mot. Quelques larmes cristallines tombèrent et vinrent se mélanger à ce sol qui portait dès à présent l’odeur et la couleur du sang : celui certainement, d’une mort vaine, mais peut-être aussi, la lueur d’un sacrifice infini.

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