- LA TEMPÊTE -

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De l’autre côté de la tempête, Lloyd et l’armée de Vinci avançait le torse bombé, bravant fièrement cet ouragan de misère. Le vent fouettait le bitume éventré de cette rue méconnaissable qui menait à cet enfer surnaturel, le foyer du chaos, le portail.

Le militaire hurlant pour se faire entendre dans le vacarme tourbillonnent des bourrasques incessantes et du grondement pétrifiant, qui semblait provenir des profondeurs de la Terre :

Lloyd – Et où allons-nous comme ça ?

Vinci – Chercher mes frères.

Lloyd – Vos frères ?

Vinci – Celui que vous avez tué, il en faisait partie.

Lloyd – Ah.

Vinci – Pas la peine de vous justifier, il arrivera la même chose aux quatre autres.

Lloyd – Une fois que vous les aurez réunis, que devrons-nous faire ?

Vinci – Les tuer.

Lloyd – Je veux dire, vous avez fait tout ce chemin, simplement pour tuer quatre créatures extra-terrestres ?

Vinci – Vous n’en aurez pas eu le cran

Lloyd – Sauf votre respect j’ai tué l’un de vos frères.

Vinci – Tué ? Vous avez simplement achevé un animal mourant, ils sont dangereux, un en particulier.

Lloyd – Votre œil, que s’est-il passé ?

Vinci – Longue histoire.

Lloyd – J’ai tout mon temps.

Vinci – Vous en savez déjà suffisamment

Lloyd – Si vous le dites…, dit-il tout s’écrasant devant la carrure imposante de cette créature sombre.

La gigantesque armée s’arrêta tout à coup à mi-chemin. Une silhouette mince et courte leur faisaient face. Les poings serrés et la mâchoire contracté, Billy se tenait devant eux comme une figure épique. Son œil acerbe et tranchant ne parvint pas à pénétrer la cuirasse de pierre qui enveloppait le cœur de Vinci. Pire, cette tentative infructueuse provoqua chez Lloyd une explosion de rire. Instinctivement, il railla le faible adolescent qui avait d’ores et déjà relaxé sa posture et ses muscles.

Le militaire s’approcha de lui, sourire aux lèvres et mains sur les hanches. Il souriait bêtement, passant régulièrement sa langue sur ses dents. Il frotta brièvement sa moustache fournie avant de prendre Billy par l’épaule. Ce dernier, tétanisé par l’événement le laissa faire. Il sentait cet être grave, imposant et dur contre lui. Il pouvait sentir les vibrations de ce lourd personnage traversé son corps comme une onde de choc. Il cogitait, prisonnier de cette emprise amicale.

Lloyd approcha ses lèvres de l’oreille du garçon, il chuchota en articulant chaque mot :

Lloyd – Pourquoi est-ce que tu es revenu ?

Billy – Et vous, pourquoi êtes-vous toujours là ?

Lloyd – Où sont tes amis ?

Billy – Je l’ignore et même si je le savais ne vous attendez pas à ce que je vous le dise.

Lloyd – Tu as du cran mon garçon, tu me rappelles moi dans ma jeunesse

Billy – Je n’ai rien à voir avec vous !

Lloyd – Oh si, plus que tu ne le crois.

Billy – Laissez mes amis tranquilles et faites demi-tour ! ordonna-t-il en s’extirpant de l’emprise du militaire.

Lloyd – Tu ne crois quand même pas que cette histoire se terminera tout beau tout rose ?

Billy – Reculez maintenant ! étrangement le militaire coopéra et pris quelques mètres de distance.

Billy changea d’expression et arbora un sourire de satisfaction, fier d’avoir fait obéir cet animal cruel. Le militaire se retourna vers sa brigade et ordonna :

Lloyd – Emparez-vous de lui !

Caporal Mills – A vos ordres mon général ! deux soldats accoururent vers l’adolescent et l’attrapèrent par les bras. Billy se débattait, gesticulant dans tous les sens pour tenter d’échapper à la poigne de fer de ces hommes.

L’armée se remit en route vers le centre-ville afin de traquer les amis de Billy et jusqu’au dernier, les exterminer.

Otis s’était adossé sur la carrosserie poussiéreuse et légèrement éraflée de son pick-up, cherchant du regard le moindre signe d’un éventuel retour de Billy. Il observait régulièrement son poignet gauche, scrutant le petit afficheur digital de sa montre à quartz.

Il remonta dans la voiture et alluma la radio. Il enfonça une cassette noire dans le poste. Il s’affala lourdement dans le cuir du siège tout en fermant les yeux, profitant de la mélodie calme et aérienne de Wouldn't Be Good. Sifflotant le refrain de la chanson en scrutant le plafonnier.

Perdu dans ses pensées et prisonnier d’une réalité qu’il voudrait fuir, il craqua une allumette et embrasa l’extrémité d’une cigarette. Chaque bouffée de fumée semblait l’arracher quelques peu de cette dimension et atténuer sa colère intérieure en l’intoxicant d’un nuage toxique.

L’espace autour semblait avoir disparu, il flottait dans un interstice infime dans lequel réalité et illusions se mélangent en formant un monde aérien où les ondes négatives ne peuvent plus se propager. Il profitait de ces petits moments de curiosité et d’émerveillement avant que quelqu’un ne le sorte de force de cet univers. Lloyd venait de le balancer hors de la voiture.

Le professeur s’écrasa sur son épaule en fouettant l’épaisse poussière qui recouvrait le sol. Fixant le ciel, il parvenait à peine à discerner le militaire auréoler d’une lumière très vive malgré ce ciel grisâtre. Lloyd releva le scientifique en agrippant lourdement sa blouse. Une fois sur pied, il le poussa contre la voiture et lui claqua la tête sur le capot. Il sortit son pistolet et enfonça le bout du canon à l’arrière du crâne d’Otis. Le professeur pouvait sentir la froideur du métal frottant sur sa peau, le souffle enragé du militaire le frôlait et glissait sur sa nuque comme une brise.

Lloyd appuya davantage sur son os occipital tandis que le scientifique retenait sa respiration. Une épaisse transpiration vint alors irriguer les sillons de son front comme des ruisseaux. Le militaire hurla alors, déchirant le léger filet de bave qui s’était formé entre ses mâchoires solides :

Lloyd – Où sont-ils ?!

Otis – De qui parlez-vous ?

Lloyd – Où sont-ils ?! répéta-t-il en enfonçant d’avantage la tête du professeur dans la tôle du capot.

Otis – Je ne sais pas de quoi vous vous voulez parler ! insista-t-il alors que la douleur s’intensifiait.

Lloyd – Très bien…, le militaire dirigea à présent son arme sur la tempe d’Otis tout en reculant le chien.

Lloyd – 3…2…1…

Caporal Mills – General ! intervint-il alors tout en faisait un pas vers l’avant

Lloyd – Quoi ?!

Caporal Mills – Nous avons besoin de lui !

Lloyd – Aucune importance…

Caporal Mills – Le noyau est instable et c’est peut-être la seule personne qui sait comme le maintenir alors gardez le en vie !

Lloyd – Ne seriez-vous pas en train de me donner un ordre soldat ?

Caporal Mills – Non général, simple conseil…

Lloyd – Voutez le vous où je pense ! Nous suivrons mes directives, gardez vos conseils pour les cartes de vœux !

Billy – Arrêtez ! hurla-t-il, un silence grave s’installa et les regards fuyaient tous en direction du jeune homme toujours lourdement tenus par deux soldats.

D’un mouvement de tête, Lloyd ordonna à ces hommes de relâcher le garçon. Billy se dépoussiéra grossièrement en remettant en ordre ses vêtements débraillés. Lloyd avança lentement vers lui en se péchant délicatement en avant, il expira longuement tout en roulant des yeux. Il se gratta vivement le coin des lèvres :

Lloyd – Alors…Où…Sont…Ils ? demanda-t-il en appuyant chacun de ces mots.

Billy – Je ne sais pas…

Lloyd – Toi aussi tu es un petit joueur à ce que je vois

Billy – Et je vous préviens que même si j’en connaissait un moindre détail, vous pourriez aller vous faire foutre ! Billy se racla brièvement la gorge avant d’expulser un crachat qui vint atterrir au coin de l’œil du militaire.

L’imposante carrure et la réputation qu’on lui accorde, venaient d’être entachés d’une salive jaunâtre qui dégoulinait désormais jusqu’à sa moustache et s’entremêlait à ses poils. Une colère bouillonna en lui comme le magma ardent qui ne demanda qu’à être expulsé dans une explosion de rage dont la nature a le secret.

L’arrogance que l’adolescent faisait paraitre sur son visage rigide et fier, contrariait sa peur interne de voir à nouveau l’arme de Lloyd caresser la peau de sa joue et le feu de son arme déchirer la chair de son torse.

Lloyd repoussa l’adolescent de sa puissante main gauche à plusieurs reprises. Billy reculait en s’abaissant tandis que le militaire semblait gagner en épaisseur.

Billy était désormais presque à genoux devant ce colosse que rien ne pouvait atteindre. Le pistolet de Lloyd renifler Billy comme un chien affamé, prêt à le dévorer. Il imaginait déjà la morsure brulante d’une balle éventrant son t-shirt et transperçant sa chair comme les crocs acérés d’un cerbère qu’une simple mélodie fredonnée ne suffirait pas à dissuader.

A travers ce canon tendu vers lui, il apercevait la froideur de l’obscurité. Un sombre couloir cylindrique d’une vingtaine de centimètres qui distribue des allés sans retour. Un engin qui défigure le corps mais éclairci la nature de l’âme de celui qui s’en sert.

La caresse du vent sur son avant-bras le fit quitter son corps un court instant. Il s’imaginait déjà rejoindre ses parents, leurs visages dont il avait oublié les traits semblait se matérialiser au revers de ses paupières. Leurs voix dont il ne se souvenait plus l’oscillation, dont il ne se rappelait ni les graves ni les aigus.

Sans même se rappeler leurs gestes tendres il pouvait sentir la profondeur de leur amour arroser le jardin de son cœur. Les flammes qui jaillissaient de cette carcasse de voiture semblait finalement maintenir en lui ce feu sacré qui lui avait donné la force de vivre.

De l’autre côté du canon, Lloyd serrait ses doigts autour de la crosse. Son regard acerbe transperçait votre être, frappait votre âme et faisait exploser en vous un mélange inquiétant de peur et de souffrance. Plonger dans ses yeux c’est enlacer la mort, c’est la saisir à bras le corps et la laisser vous tutoyer, la laisser vous attirer dans les méandres de l’inconscience et les abysses incommensurables du châtiment éternel.

Malgré sa poigne de fer, Lloyd semblait avouer pendant quelques fractions de secondes une véritable nature, une âme trop large et aimante, broyée et compressée pour rentrer dans cette tête de bocal. Un esprit étouffé, un cœur fustigé et cadenassé par les idées trop grandes et les préceptes antiques du monde militaire.

Le soldat ne pense pas avec son cœur, il pense avec son fusil. Lloyd semblait être un véritable philosophe. Son arme délivrait des salves de messages simples mais lourds de sens. Les profonds sillons de son front témoignaient de sa fatigue, de sa souffrance, une vie marquée de haine et de colère.

Sans fléchir, le militaire continuait de perforer le regard timide de Billy. Bientôt, il atteindrait sa conscience, pénétrant son esprit et installant une image acide qu’on ne peut effacer.

Billy se releva lentement tandis que Lloyd lui attrapa sévèrement le bras avec son épaisse main. La ferraille froide caressa les reins de Billy remontant sournoisement sa colonne jusqu’à son crâne. Il sentait déjà l’odeur de la poudre traverser son crâne dispersant sa matière grise sur le trottoir. Le militaire rengaina son arme tout en posant son autre main sur l’épaule du jeune homme. Il sourit légèrement puis affirma :

Lloyd – Je sais.

Billy – Pardon ?

Lloyd – J’ai lu au plus profond de toi, les yeux sont le reflet de l’âme.

Billy – Vous ne savez rien de moi de toute façon.

Lloyd – J’en sais plus qu’il n’en faut.

Billy – Vous etes un bel enfoiré…

Lloyd – Tu fais le dur mais je sais qu’à l’intérieur, tu saignes, tu es meurtri.

Billy – Vous vous trompez.

Lloyd – Perdre quelqu’un c’est toujours dur.

Billy – Qu’est-ce que vous en savez, vous etes un tueur, la mort, vous savez très bien ce que c’est.

Lloyd – Je tue par intérêt mon garçon.

Billy – Il n’y a aucun intérêt à tuer.

Lloyd – Parfois, pour atteindre la ligne d’arrivée, il ne faut pas hésiter à bousculer les autres.

Billy – Vous faites bien plus que de les bousculer…

Lloyd – Où sont tes amis ?

Billy – Je l’ignore…

Lloyd – Arrête de mentir

Billy – Nous étions séparés ! hurla-t-il à pleins poumons.

Lloyd – Je t’écoute

Billy – J’avais décidé de quitter le gymnase pour prévenir M. Kulzerwski, les autres sont restés là-bas

Lloyd – Combien étiez-vous ?

Billy – Quatre…

Lloyd – Donc, tu es parti seul ?

Billy – Oui…

Lloyd – Où sont les trois autres !

Billy – Il ne sont plus que deux…, marmonna-t-il d’une voix tremblante

Lloyd – Où est le troisième ?

Billy - …

Lloyd – Où est-il ?! le militaire hurlait tandis que Billy fondait en larme en repensant au choc monumental que Stan avait subi.

Otis – C’était mon fils ! brailla le professeur en s’agitant dans tous les sens.

Lloyd – Tu l’as tué ? interrogea-t-il curieusement en se léchant légèrement le coin des lèvres.

Billy – Vous êtes vraiment un pauvre taré…

Lloyd – Aller ! En route !

Billy – Vous ne les trouverez jamais !

Lloyd – Moi, non. Mais elle, oui ! dit-il tout en agitant son arme.

Ils se remirent en route, d’un pas décidé, ils remontaient l’autoroute jusqu’au centre-ville. Cette tempête gagnée du terrain. Elle pulvériserait n’importe quel obstacle, rien ne semblait plus pouvoir stopper l’œil du cyclone qui grandissait à l’intérieur de Lloyd comme une tumeur fourbe.

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