- LA TERRE BRÛLÉE -

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Pendant ce temps, à l’autre bout de la ville. Tchad, Oliver et les autres sont toujours assis dos contre le mur de la salle de conférence du palais des congrès. Tchad transpirait, sa peau suintait des petites perles salées qui dégoulinaient le long de ses tempes. Il s’essuyait régulièrement le front et respirait l’air chaud et humide qui embaumait la pièce. Tout le monde s’essoufflait, terrassé par la chaleur pensante et l’atmosphère moite de ce minuscule endroit.

Oliver, lassé de répéter les tentatives sur son talkie-walkie se plaignit à Tchad :

Oliver – On devrait sortir…

Tchad – T’es malade ?

Oliver – On cuit là-dedans, dans peu de temps tout le monde sera évanoui ou complétement déshydraté !

Tchad – Et dehors c’est la mort en moins de deux !

Oliver – Il faut qu’on les retrouve !

Tchad – Olie…

Oliver – On doit les…

Tchad – Ils sont surement morts ! hurla-t-il soudainement en interrompant son ami.

Un silence lourd s’installa, les deux se regardaient longuement, les yeux dans les yeux. Une fine pellicule humide vint soudainement recouvrir leurs prunelles. La lumière blafarde du néon se reflétait dans cette minuscule cascade au creux de leurs paupières.

La lèvre supérieure d’Olie tremblotait, c’était tout son être qui se décomposait, frappé de plein fouet par la supposition fantaisiste de Tchad.

Il devenait pâle, ses yeux gonflaient, irrités par un flot de larmes brulantes. Tchad changea soudainement d’état, il fronça les sourcils, serra quelques peu sa mâchoire et se mit debout. Il tendit une main franche vers son ami en disant :

Tchad – On y va !

Oliver – Quoi…, demanda-t-il en relevant la tête, ses yeux rouges dissimulés derrière ses bouclettes brunes.

Tchad – On va les chercher !

Oliver – Mais tu as dit que…

Tchad – Oublie ce que j’ai dit…

Oliver – Et qu’est-ce qu’on fait d’eux, dit-il en pointant du doigt les quatre créatures légèrement assoupies.

Tchad – On les prend avec, tant pis !

Oliver glissa jusqu’à Edison et réveilla une après l’autre chacune des bestioles. Ils sortirent en trombe du palais des congrès et se mirent à courir à travers la rue comme des dératés. Ils ne savaient pas vers où ils devaient courir mais ils le faisaient, un sentiment de liberté incomparable vivait en eux.

Le ciel violet continué de cracher des dizaines d’éclairs qui foudroyaient le toit des bâtiments et des buildings encore debout. De brèves mais soudaine rafales de vent s’engouffrait à travers la ville et faisait s’envoler la poussière et le contenu des poubelles renversées sur la voie publique. Oliver attrapa son talkie-walkie et hurlait à s’en arracher la gorge :

Oliver – Billy ! Stan ! Vous êtes là ?! aucune réponse, il continuait de brailler dans l’appareil tandis que les secousses redoublait d’intensité et que le ciel s’obscurcissait encore d’avantage. Ils approchaient de la tempête et sans le savoir allaient se jeter dans ce maelstrom infernal.

D’un instant à l’autre, le ciel se déchira et une pluie torrentielle commença à tomber, en quelques secondes nos amis étaient trempés comme des soupes. Il n’avait jamais plu comme ça sur Phoenix, l’eau dévalait les avenues comme des fleuves déchainés.

Les pieds dans l’eau, ils continuaient de courir à grandes enjambées alors que leurs vêtements semblait désormais pesaient plusieurs kilos. L’eau s’écoulait dans les petites fissures et dans les grosses failles, les carcasses de voitures glissaient, emportées par le courant. Les bouches d’égout se soulevaient sous la pression de l’eau qui avait déjà complètement remplit les tunnels souterrains.

La puissance du déluge avait percé les canalisations de gaz. En se mélangeant formaient des minuscules geysers qui propulsaient les plaques de fonte à plusieurs mètres avant qu’elle ne retombe comme des bombes.

Nos deux amis bravaient tant bien que mal les éléments alors qu’ils arrivaient à Scottsdale Avenue, soudaine, ils s’arrêtèrent précipitamment.

A l’autre bout, l’armée de Lloyd leur faisait face. Le militaire sourit bêtement avant de retourner vers Billy :

Lloyd – Trouvé !

Billy – Non ! hurla-t-il longuement à gorge déployée.

Lloyd – Messieurs, attrapez-moi tout ça ! les militaires dégenrèrent leurs armes mais les munitions avaient pris l’eau. Ils se mirent à courir dans l’eau brunâtre, mélange de boue et de sable qui s’écoulait désormais entre leurs jambes.

L’armée de Vinci se mit également en chasse des deux adolescents qui rebroussaient chemin, cherchant désespérément un abri. La coulée boueuse ingurgitait la route et avalait le moindre obstacle qui se dressait devant elle. Elle emportait dans son sillon : voiture, poubelle, cadavres…

Elle plaquait aux murs les quelques passant qui n’avaient pas pu s’échapper, elle les étouffait contre les rideaux de fer des boutiques, elle les ensevelissait et les noyait complètement.

La pluie s’intensifia encore d’avantage et la coulée de boue lente mais féroce se transforma en une véritable déferlante qui fouettait les murs des bâtiments et fracassait les corps qui lui faisait face.

Elle brisait les os, transperçait les vitres, et éventrait les devantures de magasins. Rien ne lui résistait, elle était encore plus cruelle que Lloyd et dix fois plus tenance, vous ne pouviez pas y échapper. Elle fouillait partout, elle cherchait dans le moindre recoin la moindre trace de vie.

Elle poursuivait désormais tout le groupe, se fichant à quel camp ils appartenaient, elle les prendrait. Ils courraient à travers les rues qui n’était désormais plus que de piètres passages marécageux. A certains endroit la boue s’était tellement densifié qu’il était presque impossible d’y marcher. Un amas de terre liquide d’où jaillissait régulièrement de petites bulles de gaz.

Soudain, la pluie se calma. Le claquement ininterrompu des grosses gouttes d’eau qui gravement claquaient sur le béton puis à la surface de l’eau venait de s’atténuer pour le plus grand bien de leurs oreilles. La petite bande pataugeait dans ce bourbier infernal et croupissant, une odeur nauséabonde en recouvrait la surface.

Un grand sifflement vient éteindre le silence de mort qui régnait dans cette atmosphère quasi irréelle. Lloyd venait de rappeler ses chiens de gardes et les soldats de Vinci suivirent le même chemin.

Le militaire était debout sur une carcasse de voiture, les pieds au sec, il dictait ses ordres depuis l’estrade comme un grand orateur. Ses gestes machinaux et sa stature imposante lui assuraient le respect de chacun de ses hommes.

Il hurlait depuis cette hauteur :

Lloyd – Messieurs ! Contemplez devant vous le début de notre gloire, la ville nous appartient désormais et bientôt, le monde sera à nous ! Inutile de courir derrière ces bêtes, nous allons raser cette ville jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un tas de cendre. Nous reconstruirons la capitale de notre empire sur les ruines de Phoenix. D’ici peu, L’armée de l’air va faire décoller plusieurs chasseurs qui vont larguer du 105mm sur toute la ville. Nous devons pratiquer la terre brûlée mes amis, nous devons détruire chaque bâtiment, chaque maison afin qu’ils ne puissent plus se cacher. Dans très peu de temps, nous aurons mis la main sur eux et nous pourrons les échanger avec nos fiers collaborateurs ! aboya-t-il en dirigeant sa main vers Vinci.

Le ciel c’était éclairci, les avions de l’US Air Force pouvait désormais survoler la ville. Lloyd hurla à nouveau :

Lloyd – Jones ! Jetez un fumigène vert par ici, ils doivent nous repérer afin de ne pas nous canarder nous aussi.

Mazano, établissez un contact radio avec les deux chasseurs !

Mazano – Silent Witch ici Little Bag, faites pleuvoir du 105 sur toute la ville mais ne tirez pas sur la fumée verte !

Silent Witch – Little Bag ici Silent Witch, bien reçu, on fait tomber la foudre.

Les F-15 Eagle survolaient Phoenix à toute vitesse en arrosant tous les bâtiments avec des ogives de 105mm. Le tremblent assourdissant des dizaines d’obus perforant le béton et l’acier et le grondement grave des bâtiments qui s’écroulaient les uns après les autres embrumaient la ville dans un nuage de poussière dense.

Oliver et Tchad couraient au beau milieu de cette jungle urbaine, poursuivit par le feu insatiable des avions de chasse qui survolaient leurs têtes. Ils se débattaient, jouant des coudes pour se déplacer dans cette eau croupissante, leurs jambes semblaient retenues, attirées par le fond.

Billy était assis sur épave de voiture, les pieds trempant dans cette eau ignoble. Il scrutait cette épave, une Ford Taunus, le même modèle dans lequel il avait perdu ses parents. Elle trempait dans l’eau, Billy vu ça comme un moyen de tourner la page. Les flammes ardentes de ses souvenirs qui avaient embrasés sa mémoire pendant toutes ces années trouvaient enfin le moyen de s’éteindre, noyées par cette eau qui s’était écoulée, la pluie avait effacée toutes les traces.

Otis le vit la tête basse, il s’approcha, l’eau lui arrivait au bassin. Il s’assit à côté de lui sans un mot. Il essuya brièvement les verres tachés de boue de ces lunettes avec le revers de sa blouse. Pendant plusieurs minutes ils étaient assis côte à côte, ne s’adressant pas la parole. La scène devint progressivement pesante et Otis se décida à parler :

Otis – Je n’espérais pas que tout cela prenne de telles proportions.

Billy – Je pense qu’il n’y a que Lloyd qui l’espérait…

Otis – Il faut que tu t’échappes !

Billy – Ne parlez pas trop fort…, chuchota-t-il.

Otis – Billy…Tu dois partir, il n’a plus besoin de toi, il va te tuer…

Billy – Il a des yeux partout, comment suis-je supposé faire ?

Otis – Et si…

Billy – Si… ?

Otis – Et si tu plongeais sous l’eau, elle est assez trouble pour que tu puisse y passer inaperçu

Billy – Mais il faudra que je m’éloigne suffisamment…

Otis – Tu penses que tu peux retenir ta respiration jusqu’à là-bas ? chuchota-t-il en pointant du doigt le bout de la rue.

Billy – J’ai peur de ne pas y arriver…

Otis – Tu y arriveras ! Fais-le pour Gabriel et Caroline, fais-le pour Emily, fais-le pour Stanley…, dit-il en s’effondrant en larme sur l’épaule du jeune homme.

Otis – Nous avons tous des responsabilités, nous avons tous un destin. Le mien a été de participer à l’élaboration de cette machine infernale maintenant, je dois la détruire pour que tout rentre dans l’ordre. Ton destin à toi, c’est de sauver le monde…

Billy – Je ne suis pas un messie, je ne suis pas le sauveur que vous dites

Otis – Tu es bien plus que ça…

Billy – Non-monsieur, non…

Otis – Va-t’en maintenant, sauve toi…, ordonna-t-il de voix basse.

L’adolescent pris une grande inspiration, ferma les yeux et descendit doucement son corps puis sa tête dans cette rivière trouble et brunâtre.

Ni vu ni connu, il brassait sous l’eau, avance en ne sachant pas où il allait, il espérait s’éloigner du camp de fortune. Le courant agitait beaucoup de poussière au fond, malgré cela il parvenait à apercevoir quelques débris, des vélos, des valises en cuir, mais aussi plusieurs corps, ce manqua de le faire hurler et par la même occasion, ingurgiter quelques gorgées de ce délicieux breuvage.

Il n’osait pas remonter à la surface par peur de tomber nez à nez avec un des soldats de Lloyd ou avec le général lui-même. Il sentait son cœur faiblir, l’air commençait à manquer, il n’eut pas d’autre choix que de sortir la tête de l’eau. Il avait le souffle court et respirait par petites bouffées saccadées. Il scruta tout autour de lui, rien. Il était arrivé sain et sauf au bout de cette grande avenue.

Epuisé, il se mit sur le dos, il flottait, emporté lentement par un minuscule courant. Il dérivait à la surface de l’eau comme une feuille morte, simplement une petite brise qui lui caressait les narines et la lumière du soleil qui transperçait les quelques nuages qui subsistaient encore sous la coupole d’azur.

L’étrangeté de ce calme le faisait se sentir léger, il semblait désormais plané au-dessus de l’eau comme une libellule au-dessus d’un bassin tropical.

Un filet d’eau ruisselant le long des bâtiments et dont les grosses gouttes venaient s’écraser à la surface de l’eau provoquant des micro vagues à la surface.

Rien ne pouvait déranger cette atmosphère paisible. Cette rivière pourtant si sale et repoussante agissait pour lui comme un véritable caisson sensoriel. C’était comme si son esprit avait décidé de quitter son corps quelques instants pour farfouiller dans les alentours.

Malgré ce moment de bonheur immense, il décida d’y mettre un terme et se relava difficilement, ses vêtements semblait peser une tonne et l’eau envoutante ne voulait le laisser s’échapper.

Il trainait les pieds, avançant très imperceptiblement à travers ce marécage, il espérait pouvoir retrouver ses amis qui avaient surement fuis vers les quartiers qui étaient épargnés par cette tempête et par les bombes.

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