- 1965 -
Le vent continuait de souffler et la poussière masquait toujours l’atmosphère. Billy avançait vers le ranch, la rancune l’habitait, son grand-père l’avait vendu. Il enfonça la porte d’entrée d’un coup de pied et tomba nez à nez avec Horace, il était beaucoup plus jeune et avait encore des cheveux. L’homme ne le reconnu pas et demanda nerveusement :
Horace – Qu’est-ce qu’il vous prend jeune homme ?
Billy – Excusez-moi je me suis trompé de maison…
Horace – Restez la ! Je vais appeler vos parents !
Billy – Non, ce n’est vraiment pas la peine merci.
Horace – Restez la ! l’adolescent se figea alors qu’il opérait un demi-tour vers la porte.
Horace – Comment vous vous appelez ?
Billy – William
Horace – William comment ?
Billy – William Davis !
Horace – Etonnant ! Encore un Davis ! Je m’appelle Horace, Horace Davis !
Billy – Tout le plaisir est pour moi
Horace – Oliver ne veut pas rentrer ?
Billy – Oliver ?
Oliver – Tu connais M. Davis ?
Billy – Je viens de le rencontrer, dit-il, obligé de mentir.
Horace – Comment ça va chez toi Oliver ?
Oliver – Ho vous savez les vacances monsieur !
Horace – Qu’est ce qui t’amène par ici ?
Oliver – Je venais chercher Gabe et j’ai été surpris par une tempête de sable.
Horace – Oui, il y en a de plus en plus ces derniers temps, attend j’appelle Gabe ! il se dirigea alors vers l’escalier et hurla.
Horace – Gabriel !
Gabriel – J’arrive papa !
Il descendit alors les marches deux par deux et entra dans le salon. Billy semblait s’être effacé, dans l’incompréhension la plus totale, il n’osait plus être remarqué. Gabriel lui porta un œil suspect et demanda :
Gabriel – Qui es-tu ?
Billy – William, je me suis trompé de maison désolé
Gabriel – Comment est-ce que tu as pu te tromper ? C’est la seule maison à des kilomètres.
Billy – J’ai habité ici à un moment.
Horace – Tu ne peux pas avoir habité ici.
Gabriel – Mon père a construit ce ranch de ses propres mains. Billy balbutiait, cherchant un échappatoire à cette situation malencontreuse.
Gabriel – Tu es drôlement fagoté toi dis donc ! D’où est-ce que tu viens, d’un cirque ? ria-t-il.
Horace – Tu veux boire quelque chose ? J’ai de la limonade au frais.
Billy – Je veux bien merci.
Horace – Assieds-toi, fais comme chez toi ! son grand-père ne croyait pas si bien dire, malgré cela Billy sentait une atmosphère anxiogène autour de lui, tout cela paraissait vraisemblablement impossible.
Billy s’asseyait dans un fauteuil en cuir et posa son verre de limonade sur le guéridon juste à côté. Il observait tout autour de lui cette décoration assez kitsch, ce formica omniprésent, les tapisseries au motifs abstraits et colorés. Une chose attira tout particulièrement son attention : les aiguilles de l’horloge avançait dans le sens inverse.
Le cliquetis de la trotteuse qui à chaque seconde faisait passer l’adolescent dans un état de trans. L’envie brulante de savoir à quel époque il était revenu lui titillait les lèvres. Il se jeta à l’eau et demanda presque bêtement :
Billy – Quel jour sommes-nous s’il vous plait ?
Horace – Le 18 juillet mon garçon ! répondit Horace alors qu’il embrasait le bout de cigarette.
Billy – Mais quelle année ?
Horace – Et bien 1965 !
Billy – 1965 ?!
Horace – Oui, l’an dernier nous étions en 1964 donc j’imagine que nous sommes en 1965, ria-t-il grossièrement. Gabriel et Oliver l’observaient très bizarrement, ils allèrent dans le garage et demandèrent :
Gabriel – William, viens avec nous, ne reste pas seul !
Billy – D’accord, j’arrive ! dit-il en se redressant.
A peine eut-il franchi le pas de la porte que Gabriel le plaqua au mur en couvrant sa bouche avec sa main.
Il le regardait très attentivement avant d’admettre :
Gabriel – Je sais qui tu es…, Billy écarquilla les yeux.
Oliver – On devrait lui demander.
Gabriel – Tu ne viens pas d’ici, je me trompe ?
Billy – Comment êtes-vous au courant ?
Oliver – Tu n’as pas vraiment le style déjà.
Gabriel – Tu es désorienté, tu as traversé le portail ?
Billy – Attendez, vous etes aussi au courant pour ça ?
Oliver – On l’a vu aussi.
Gabriel – Alors, tu l’as traversé ?
Billy – Oui…, Gabriel et Oliver se regardèrent en souriant.
Gabriel – Qu’est-ce qu’il y a là-bas ?
Billy – J’y suis allé avec un ami et nous avons découvert des spécimens extra-terrestre.
Gabriel – Et ensuite ?
Billy – Un militaire a voulu nous tuer.
Oliver – Grand, moustachu, mâchoire carrée ?
Billy – Oui…
Gabriel – C’est Lloyd
Billy – Vous le connaissez aussi ?
Gabriel – De quelle époque tu viens ?
Billy – 1986.
Gabriel – Je me demande à quoi je ressemblerai dans vingt ans.
Billy – En fait je suis…Je suis ton fils.
Oliver – Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?
Gabriel – Attends ! Laisse-le s’expliquer.
Billy – Je ne sais pas par quel moyen je suis arrivé ici. Le portail venait d’exploser et le souffle avait soulevé un énorme nuage de poussière qui m’a complétement aveuglé. Quand j’ai à nouveau ouvert les yeux j’étais ici.
Gabriel – Comme une sorte de pont entre deux époques différentes.
Oliver – Comment le portail a pu exploser ?
Billy – C’est le professeur Kulzerwski qui s’est sacrifié pour le détruire.
Oliver – Theodore Kulzerwski, le prof de maths ?
Billy – Non, Otis Kulzerwski, le prof de bio.
Gabriel – Oliver, réfléchis, ça s’est passé dans vingt ans.
Billy – Ça va se passer tu veux dire.
Gabriel – Le problème maintenant ça va être de te renvoyer chez toi.
Oliver – C’est dingue…
Gabriel – Il faut prévenir Carrie ! Billy entendu ce nom qui resonnait dans son cœur depuis si longtemps. Le battement de son cœur s’accéléra instantanément, son souffle se dérégla.
Ils sortirent par le garage en enfourchant chacun un vélo. La poussière s’était atténuée alors qu’ils arrivaient dans la ville. Le quartier de Caroline n’était plus qu’à quelques pâtés de maisons mais Billy ressenti une extrême douleur dans le plexus. Il tomba de son vélo alors qu’il roulait à vive allure. Etalé sur la route, il se tordait dans tous les sens, un vif sentiment de brulure lui chatouillait les côtes. Il hurlait de toutes ses forces tandis que les passants le regardaient de travers.
Gabriel se positionna juste au-dessus de lui et hurlait :
Gabriel – Maintenant tu es à moi !
Billy – Quoi ?! le monde autour de lui se mit à tournoyer et sa vision se déchira dans un vortex de couleurs vives et le tumulte de la foule grouillante.
Il se réveilla en sueur dans une pièce entièrement blanche. Du carrelage au sol et sur les murs, une odeur de produit ménager pénétrait ses fosses nasales. Les pieds et les mains ligotaient au barreaux d’un lit en fer, il se débattait. De l’autre côté de la pièce, Lloyd était assis sur une chaise, un cigare au lèvres, une fois de plus.
Son visage dissimulé derrière un petite nuage de fumée grisâtre on pouvait l’entendre marmonner :
Lloyd – Une fois de plus je te tiens.
Billy – Et une fois de plus je vais vous échapper.
Lloyd – Tu n’as plus aucun endroit pour te cacher.
Billy – Il y a toujours un échappatoire.
Lloyd – Maintenant tu as intérêt à ouvrir grand tes oreilles. Je vais tout te dire, tout ce que tu as toujours voulu savoir et tu vas très vite te rendre compte que ta minable vie n’est que mensonge et perfidie. J’ai assassiné tes parents car ils en savaient beaucoup trop. Tu crois être le seul Davis à avoir vu ce portail, ton père et ta mère l’avait déjà vu il y a vingt ans. Je les ai cherchés pendant plus de dix ans. Et quand j’avais enfin mis la main sur eux, j’ai appris qu’ils avaient déjà deux enfants. Alors je les ai fait suivre, je les ai fait espionner, nuit et jour, j’ai appris chacune de leurs habitudes. Mais je voulais que tu les voies mourir devant tes propres yeux, je voulais que tu ressentes la douleur car c’était ton destin. Il fallait que tu sois prêt, prêt pour m’affronter.
L’adolescent serrait les poings jusqu’à s’enfoncer les ongles dans la chair, une rage surpuissante parcourait ses veines. Il hurlait à s’en décoller les cordes vocales. Lloyd rigolait alors que Billy multipliait les efforts. Épuisé, il s’effondra en larmes. Le militaire se releva et s’approcha à quelques mètres du lit en demandant :
Lloyd – Qu’est-ce que ça fait d’avoir mal au plus profond de soi ? Savoir que toute la vie que tu t’es imaginé pendant toutes ses années n’est qu’un rêve de sens. Tes parents n’était personne, mais toi, tu peux devenir la plus puissante chose sur cette planète, ma chose. Tu peux crier autant que tu veux, personne ne viendra ici.
Billy – Espèce d’ordure ! Je vais vous tuer, je vais détruire tout ce qui compte pour vous et ensuite je vais arracher les yeux avec les dents.
Lloyd – J’allais oublier, bon anniversaire monsieur Davis, souhaita-t-il en sortant de la pièce.
Les poignets de Billy saignaient, de grosses larmes coulaient le long de sa joue jusqu’à son cou. Les yeux imbibés, il se laissa dériver dans une folie furieuse et continua à hurler comme un sauvage jusqu’à l’extinction de voix alors que Lloyd s’éloignait dans le couloir, un sourire narquois habillait sa face.
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