Les mots qu'on écrit pas

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Marie-Louise s’asseyait toujours à la même place dans la salle 204, juste à côté de la fenêtre. De là, elle pouvait voir les branches d’un vieux jacaranda se pencher paresseusement vers le toit du lycée, comme si lui aussi s’ennuyait pendant les cours. C’était un bon endroit pour disparaître.

Côme s’asseyait deux rangées plus loin, au centre, là où les bavardages se faisaient sans effort. Il n’était pas bruyant. Pas le genre à vouloir briller. Mais il brillait quand même. Dans sa façon de parler avec naturel, de rire sans filtre, d’être là. Présent. Vrai. Inaccessible.

Marie-Louise, elle, était faite de trop de silence.

Elle écrivait en marge de ses cahiers. Pas des prises de notes, mais des fragments. Des pensées qu’elle n’osait pas dire à voix haute. Le matin, elle écrivait pour survivre. Le soir, elle écrivait pour se rappeler qu’elle était encore capable de ressentir quelque chose d’aussi fort que l’amour.

Pauline, sa meilleure amie depuis la primaire, l’observait en coin.

— T’as encore passé la nuit à penser à lui ?
Marie-Louise haussa les épaules.
— C’est pas "penser", c’est juste… c’est comme respirer. Ça se fait tout seul.

Pauline souffla doucement, mi-agacée, mi-inquiète.

— Il te parle même pas vraiment, Lou. Tu lui dis bonjour, il te dit bonjour. Tu lui passes un stylo, il dit merci. C’est pas de l’amour, c’est des politesses.

Mais Marie-Louise savait que c’était plus que ça.
Elle voyait dans ses gestes une gentillesse sans intention. Dans ses regards, une lumière même quand ils ne cherchaient pas les siens. Ce n’était pas rationnel. Ça ne l’est jamais.

Elle s’accrochait à des bribes : un message qu’il lui avait envoyé un jour pour lui demander le devoir d’anglais. Il avait mis un smiley. Elle l’avait relu cent fois.

Elle s’imaginait lui parler vraiment. Lui dire qu’elle le trouvait beau, mais pas comme les autres le disaient. Beau dans sa façon de mordre son stylo quand il pensait. Beau quand il s’énervait pour défendre un personnage dans un livre. Beau, même de dos.

Mais elle ne disait rien.

Un jour, pourtant, quelque chose changea.
Côme s’était assis seul, à la cafétéria. Pauline, à l’autre bout de la cour, la poussa doucement :
— C’est maintenant ou jamais. Va lui parler.

Marie-Louise tremblait. Chaque pas vers lui semblait peser une tonne. Elle arriva. Il leva les yeux. Sourit.

— Marie-Louise, c’est ça ?
Elle hocha la tête.
— Tu peux t’asseoir si tu veux.

Elle ne se souvenait plus très bien de ce qu’ils s’étaient dit. Juste que sa voix à lui était douce. Qu’il parlait de musique, de surf, d’un livre qu’il n’avait pas fini. Et qu’à la fin, il lui avait dit :

— T’as une belle manière d’écouter. C’est rare.

Elle était rentrée chez elle ivre d’oxygène. Ce compliment-là, elle l’avait rangé comme un bijou dans un tiroir qu’elle n’ouvrirait que seule, la nuit.

Elle avait commencé une lettre.

"Côme,
Je sais que tu ne me vois pas comme je te vois.
Mais chaque fois que tu m’adresses un mot, j’ai l’impression d’exister un peu plus."

Elle ne l’a jamais finie.

Parce qu’il y a des choses qu’on n’ose pas écrire.
Parce qu’il y a des vérités qui, une fois dites, cassent tout.

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