On commence 

8 minutes de lecture

6 mars 2024.

C’est marrant, cette date me fait penser à toi. Je dis ça, alors qu’en réalité, presque toutes les dates me ramènent à toi.

Il m’arrive souvent de me demander si notre histoire a vraiment existé… ou si, avec les années, je n’ai pas tout simplement idéalisé les moments qu’on a vécus.

Tu dois sûrement te demander pourquoi je t’écris. Laisse-moi t’expliquer : j’ai juste besoin de vider ma tête. De poser les mots. De t’expliquer, du mieux que je peux, ce que j’ai ressenti ou plutôt, ce qui s’est passé dans ma tête.

Je ne suis pas certain que tu comprendras tout, et je ne sais même pas si tu liras un jour ces lignes… Mais au moins, moi, j’aurai dit ce que j’avais sur le cœur.

Rassure-toi, tu es du bon côté de l’histoire. J’ai très peu de choses à te reprocher. C’est de moi que vient la faute. Je me le permets enfin. Je l’assume, après tant d’années.

Combien d’années d’ailleurs ? Au moins dix.

Dix ans, putain… Et on ne s’est même pas recroisés une seule fois, alors qu’on vit dans la même ville enfin, d’après ce que j’ai entendu.

Je dis “d’après”, parce que c’est la seule façon que j’ai d’avoir de tes nouvelles aujourd’hui.

Mais ne va pas croire que je passe mes journées à penser à toi.

C’est juste que… ouais, je l’avoue : parfois, je suis nostalgique.

De ce qu’on a vécu.

De l’époque où tout allait bien, avant que je ne foute tout en l’air.

Mais à ma décharge, on n’était que des gosses. On avait quoi, 15 ans ?

Quand j’y repense, c’est fou : je ne me rappelle plus de ton visage. Juste de ta voix.

Et de ce que je ressentais pour toi.

Il m’arrive aussi, parfois, de me demander si toi aussi tu penses à moi.

Si je t’ai marqué d’une quelconque manière.

Ou si je ne suis, au fond, qu’un simple souvenir même pas douloureux.

Je t’avoue aussi qu’il m’arrive de m’imaginer des choses.

Comme par exemple… que tu es avec quelqu’un aujourd’hui, mais que tu ne l’aimes pas vraiment.

Que c’est moi, ton véritable amour. Que malgré les années, malgré tout, il y avait quelque chose d’unique entre nous.

Quelque chose qu’aucune barrière, aussi solide soit-elle, n’aurait pu complètement effacer.

Oui, je sais, c’est égoïste. Extrêmement égoïste.

Mais je suis comme ça. Cette part de moi, cette part un peu possessive, un peu rêveuse aussi… je crois qu’elle a beaucoup joué dans la façon dont tout s’est terminé entre nous.

Enfin bref.

Et si on commençait par le début ?

Le vrai début de toute cette histoire.

7 septembre 2015, un dimanche soir.

Je ne pense pas qu’on était vraiment un dimanche ce jour-là, mais on va dire que si.

Je me souviens attendre sur le quai de la gare, sac à dos de cours sur les épaules, sac de sport à mes pieds celui avec mes affaires pour la semaine à l’internat. J’avais fait le choix de l’internat parce que je ne me sentais plus bien chez moi. Je vivais seul avec ma mère, mais c’était comme si elle ne ressentait rien pour moi… du moins, c’est ce que je pensais à l’époque.

Quand on m’a proposé l’internat, j’ai sauté sur l’occasion. Et franchement, c’était une putain de décision. Une vraie expérience. En plus de ça, j’y ai rencontré Marcus. On s’entendait super bien, à notre manière. Marcus, c’était pas un mec très expressif. Moi, à l’époque, je réagissais toujours au quart de tour, plein d’émotion. La crise d’ado sûrement… ça expliquerait bien des trucs.

Enfin bref. Je m’égare. Comme d’hab. Je me perds dans mes pensées, ça, ça n’a pas changé.

Donc j’attendais sur le quai. Marcus avait pris le train de 17h, il arrivait à 18h20. Moi, j’avais pris celui de 16h, arrivé à 17h20. Pourquoi on n’avait pas pris le même train ? Parce que j’aimais bien ces petits moments solo dans ma bulle, avec la musique dans les oreilles et mes films dans la tête. Voilà pourquoi je me retrouvais là, à attendre comme un con depuis presque une heure.

Je me souviens que j’avais froid. Il faisait plutôt bon quand j’étais parti, alors j’avais juste un bas de jogging et un petit polo Lacoste. Mais en descendant du train, j’ai senti comme un changement de climat. J’avais bien des pulls et une veste dans mon gros sac, mais la flemme de tout déballer. J’avais galéré à ranger ce sac le matin, c’était mort pour tout ressortir.

Après une bonne heure qui m’a paru bien plus longue le train de Marcus est enfin arrivé. Il avait l’air blindé, ce qui n’était pas étonnant : la veille de la rentrée, la majorité des internes arrivaient ce jour-là pour ne pas avoir à se lever aux aurores le lundi matin.

Le train s’est vidé petit à petit. Et puis je l’ai vu : une grosse tête avec une casquette à l’envers, suivie d’une longue parka.

Bien sûr que c’était Marcus. Qui d’autre ?

Marcus, c’était le mec avec du style. Il avait toujours les dernières paires, le dernier téléphone, et il gérait pas mal niveau meufs. Est-ce que c’était à cause de son style ? Oui, sûrement. Mais pas que. Il savait y faire. Il avait le truc. Et il était beau gosse, faut le dire. Et je dis pas ça juste parce que c’était mon pote.

Il s’approchait de moi, les yeux toujours rivés sur son téléphone. Une fois arrivé, sans même relever la tête, il m’a balancé :

Wesh mec, ça dit quoi ?

en me checkant.

Je me souviens plus exactement de ce qu’on s’était dit, mais ça devait être un truc du genre :

— “On est là, et toi ?”

Et Marcus qui me répond, un peu blasé :

— “J’ai le seum que ce soit déjà la rentrée, en vrai… J’espère qu’il y aura de la meuf cette année.”

Ça m’avait fait rire.

Faut dire que Marcus m’avait grave aidé l’année d’avant, surtout à prendre confiance en moi surtout avec les filles. À la base, j’étais super timide. Mais Marcus, lui, il savait comment s’y prendre. Il avait réussi à réveiller le charo en moi, si je peux dire ça comme ça.

Même si, pour être honnête, ça ne m’intéressait pas tant que ça à l’époque. C’était pas une vraie envie d’aimer ou de construire un truc. C’était plus le jeu qui m’amusait. Séduire, rigoler, m’entraîner un peu à parler avec quelques filles, voir si ça prenait ou pas. Je cherchais pas l’amour. Loin de là. Je me souviens qu’après nos brèves retrouvailles, on avait pris la route direction l’internat. Il était à quinze minutes à pied de la gare, pas très loin, mais assez pour faire galérer. Marcus, lui, avait une valise à roulettes, donc il était tranquille. Moi, j’avais un gros sac de sport qui m’arrachait l’épaule. Et puis, y avait cette montée, cette putain de montée juste avant le lycée. Je sais pas si tu t’en rappelles, mais elle était interminable, surtout quand tu te traînes des sacs lourds comme un déménagement.

Sur le trajet, j’ai remarqué un truc : Marcus était plus sur son téléphone que d’habitude. Et je savais qu’à ce moment-là, il avait pas de meuf. Enfin… pas de meuf officielle. Et surtout, pas de meuf capable de capter autant son attention.

Alors je lui avais lâché un :

— “Wsh, mais tu parles à qui comme ça, toi ?”

Marcus avait souri sans trop relever la tête et m’avait répondu :

— “C’est une nouvelle, là, qui est au lycée.”

Et là, j’avoue que j’avais été choqué. Le mec avait déjà géré une nouvelle avant même la rentrée. Franchement, faut saluer la performance. Mais ce qui m’intriguait, c’était pas qu’il ait réussi à parler à une meuf c’était Marcus, c’était pas nouveau. Ce qui me faisait tiquer, c’était à quel point elle le captivait.

Elle devait être sacrément fraîche.

Quelques minutes plus tard, on était enfin arrivés devant le lycée.

David, le surveillant j’espère que tu t’en souviens, celui qui ressemblait à Jul nous avait repérés de loin. Et comme à chaque fois, il ne pouvait pas s’empêcher de sourire avec sa tête de con.

Y avait quelques élèves devant nous, mais franchement, à l’époque je les voyais comme des PNJ. Pas méchamment, mais juste… ils faisaient pas vraiment partie de mon monde. Même si maintenant, avec le recul, je me demande quand même ce qu’ils sont devenus. Peut-être que certains sont morts, qui sait.

Fin bref.

Quand ce fut notre tour, David, avec sa fiche de pointage à la main, nous a lancé :

— “Bah alors les gars, qu’est-ce que vous faites ici ?”

Dans ma tête, j’avais envie de répondre un truc genre :

À ton avis, tu crois qu’on est là pour le plaisir de voir ta sale tête ?

Mais en vrai, j’ai juste sorti :

— “On est là pour apprendre des trucs et tout…”

Avec mon air faussement sérieux, comme si je croyais à ce que je disais.

David, toujours avec sa fiche tenue comme s’il avait entre les mains des papiers confidentiels, nous lança :

— “Je vous mets dans une chambre à deux, c’est mieux je pense.”

Marcus leva enfin les yeux de son téléphone et lâcha, tout tranquille :

— “Ouais, je pense vraiment que c’est mieux comme ça.”

Et il avait pas tort.

L’année d’avant, avant même que toi et moi on se rencontre, j’étais déjà dans ce lycée, en prépa-métiers. Je sais plus si je te l’avais déjà dit. Peut-être que si. Bref. À cette époque, on avait eu quelques embrouilles avec d’autres mecs de l’internat, des trucs pas bien méchants mais qui avaient fait un peu de bruit.

Résultat, ils nous avaient mis dans une chambre de surveillant, juste Marcus et moi.

Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis que c’était un peu n’importe quoi… mais aussi que c’était la belle époque.

Du coup, David nous avait réattribué exactement la même chambre que l’an dernier : deuxième étage, tout au fond du couloir, à l’opposé des toilettes et des douches.

Pas le top niveau confort, mais à ce moment-là, on s’en foutait. On avait notre coin à nous, c’était ce qui comptait. On avait pris nos affaires et monté les deux étages dans la souffrance – enfin surtout moi, avec mon gros sac qui me bousillait l’épaule. En montant, je croisais des élèves un peu paumés, qui savaient pas trop où aller. Moi, j’étais tellement crevé que je calculais personne.

Arrivés dans la chambre, j’avais eu l’impression que rien n’avait changé. À se demander si elle avait même été nettoyée pendant l’été. Il y avait nos deux lits, presque côte à côte, en direction de la fenêtre. Deux petits placards pour ranger nos affaires, pas plus.

Marcus, fidèle à lui-même et un peu maniaque sur les bords, avait commencé direct à tout ranger dans son coin, plié au carré. Moi, j’avais balancé mon sac dans un coin de la pièce, sans me poser de question, puis je m’étais affalé sur mon lit.

Je me souviens encore exactement de ce que je me suis dit à ce moment-là :

Putain… Ça va être long, cette année.

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