Le trio
8 septembre 2015. Lundi matin. Le réveil avait sonné à 6h00. J’étais crevé, même si j’avais bien dormi. À l’internat, on avait à peine 30-45 minutes pour se préparer avant de devoir tracer au self pour le petit-déj.
Comme je détestais croiser du monde dès le matin, surtout pour aller me doucher fallait carrément traverser tout le couloir , j’avais pris l’habitude de me lever 15 minutes avant le réveil général. Comme ça, je croisais personne, à part quelques malins qui avaient eu la même idée… et Marcus. Lui, je sais même pas pourquoi il se levait aussi tôt, vu qu’il s’en foutait royalement de croiser du monde, matin, midi ou soir.
Après une bonne douche, une préparation express, et un enfilage de survêt du Barça (alors que je suivais même pas le foot à l’époque), j’étais prêt. Le petit-déj, lui, était toujours aussi moyen : céréales molles, pain au chocolat fade… Mais je dois reconnaître que le jus d’orange passait bien. Même si, ouais, on n’avait droit qu’à un seul verre. Bande de rats.
C’était enfin l’heure de la rentrée.
L’avantage, c’est que Marcus et moi, on connaissait déjà les lieux. On était là l’année d’avant, donc tout était familier : le lycée était divisé en deux parties pro et général. Moi j’étais en pro, et toi, tu te trouvais dans la partie générale. Y’avait un espace fumeur devant notre partie, mais pas devant la tienne. Y’avait le grand hall, où on se posait souvent. C’est même là que toi et moi on s’est rencontrés, tu te souviens ? Et puis y’avait le petit foyer, là où on pouvait choper des friandises et où trônait la machine à café, un vrai totem pour certains.
Ce jour-là, y’avait un rassemblement prévu à l’amphithéâtre pour tous les secondes en pro. On s’y est donc rendus, Marcus et moi, et c’est là qu’on a retrouvé le seul et l’unique Mehdi.
Flashback
Mehdi, sans Marcus et moi, c’est comme un duo sans saveur. Il était un peu le cœur de notre trio. Bon… peut-être que j’en fais un peu trop, mais ce qui est sûr, c’est que j’étais content de le revoir.
Tu sais comment on s’est rencontrés ? Je te l’avais peut-être déjà dit. Mehdi et moi, on était au même collège. On traînait pas forcément ensemble, mais on s’appréciait. Un respect mutuel de collégiens, tu vois.
Puis après ma 4e, j’ai été envoyé en 3e prépa métier. Pas vraiment par choix. Mes notes étaient pas bonnes. Avec le recul, je pense surtout que c’est le système scolaire qui était pas fait pour moi, mais bref… c’est un autre débat.
Donc j’arrive dans ce lycée, paumé. Je passe de la 4e où je me sentais un peu grand à une 3e placée dans un lycée où y’a des gens qui ont le permis. Autant te dire, j’étais minuscule. Je connaissais personne, j’étais en panique totale. Et là, je croise qui ? Mehdi. Il avait l’air aussi perdu que moi.
Je me souviendrai toujours de ce moment. Nos regards se sont croisés, et j’ai senti un soulagement mutuel. Un visage familier dans une marée d’inconnus. Ensuite, le destin a bien fait les choses : on s’est retrouvés dans la même classe que Marcus. Et c’est là que tout a commencé. Le trio était né.
Retour au présent
Pas ton présent à toi, hein. Le présent de l’histoire.
Ouais, je sais, parfois c’est dur à suivre désolé, j’suis pas le meilleur pour raconter les histoires.
Donc bref. On venait tout juste de retrouver Mehdi.
Toujours la même carrure longue et fine, son survêt du Maroc bien repassé, et ses chaussures Asics un peu usées mais propres. Quand il nous a vus, il a lâché un :
— Wesh les gars, ça dit quoi ?
Avec tellement d’enthousiasme que ça m’a contaminé de bonheur. Instantané.
Marcus, fidèle à lui-même, toujours présent mais avec ce côté un peu détaché, avait répondu avec un petit sourire :
— Wsh, on est là, mec. Comment t’as la patate comme ça ?
Mehdi, avec un sourire tranquille, avait enchaîné :
— Ahhh gros, faut kiffer la vie un peu. Même si c’est la rentrée, que les vacances c’est fini et que l’été aussi… faut kiffer quand même.
Marcus avait haussé les sourcils, pas trop convaincu. Alors Mehdi m’avait regardé et m’avait lancé :
— Hakim, parle avec ton pote stp.
Je lui avais répondu un truc du genre :
— Laisse tomber, il est comme ça…
Puis j’avais baissé les yeux vers son survêt et j’avais ajouté :
— Mais toi là, ton survêt, j’l’ai jamais vu en boutique.
Il avait fait mine de pas comprendre, en rigolant :
— Non mais c’est normal… c’est la toute dernière collection. Elle est pas encore sortie en magasin.
La blague avait fait rigoler Marcus, et ça l’avait détendu. C’était rien, mais c’était un vrai bon moment. Tu sais, de ceux qui valent plus que ce qu’on pense sur le coup. Bon, du coup, je vais t’épargner le long discours de l’amphithéâtre et les premières heures de cours, parce que franchement, y’a rien de plus chiant que ça. Tu sais, ces moments où on te donne la liste des fournitures comme si tu comptais tout acheter dès le lendemain, où on te lit le règlement intérieur avec un ton solennel, comme si on allait réellement le lire nous-mêmes. Et puis, on devait le signer, ce fameux règlement… Comme si le fait de ne pas le signer nous donnait soudainement le droit de faire n’importe quoi. Bref.
Passons plutôt à un moment-clé de notre histoire. Un truc que tu ignores totalement, je pense.
Ma rencontre avec Lise.
Parce que oui, maintenant je peux te l’avouer. Même si, au fond, je pense que tu le savais. T’es pas bête.
Mais non, t’as pas été la seule, cette année-là.
Je t’avais bien dit qu’on avait “vite fait parlé”, elle et moi. Mais la vérité, elle est un peu plus compliquée que ça.
Et cette vérité, elle commence ici, avec notre toute première rencontre…
… au prochain chapitre.
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