Généalogie du vide

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— Hōru Arekusandà

Le fils —

Je peine à me souvenir de toi —
je me force rien qu’à prononcer ton nom.
Tu disais que je n’écoutais rien,
j’étais vif — trop, peut-être.
« Monsieur je-sais-tout… qui ne connaît rien. »

Aujourd’hui, je me tais —
lent, froid, calme.
Ma vengeance : ces mots que tu hurlais,
que je ne ferais jamais rien de bon.
« Le jour où je ne serai plus là, viens pas pleurer sur ma tombe. »
Je ne les ai jamais oubliés.

Maintenant, je me tiens debout,
et toi, tu t’effaces.
Je t’aurais écouté, au moins une fois.

Je me souviens de ma première journée d’école —
tu m’as dit que t’allais aux toilettes, que tu reviendrais.
Mais par la grande fenêtre du corridor,
je t’ai vu partir,
fuir,
t’enfermer dans ta voiture.

Je suis resté,
seul,
à attendre un père qui ne reviendrait pas.

J’ai dormi dans les phrases que tu n’as jamais dites.
Les murs de l’appartement sur le boulevard Gouin
me connaissent mieux que toi.
Le silence m’a appris à respirer dans les creux,
à me tenir droit dans ce qu’on ne m’a pas donné.

On m’a enseigné à grandir sans mode d’emploi —
juste des absences,
des mots muets.
J’ai marché longtemps dans des pièces pleines de non-dits.
J’y ai appris à devenir celui qui reste.

Le père —

Je ne savais pas comment aimer.
Je pensais qu’un homme devait se taire,
supporter le poids sans plier.
J’ai crié,
parce que je ne savais pas dire autrement.

Tu étais insaisissable —
fragile comme une flamme qui vacille,
imprévisible à chaque souffle.

Je t’ai rabaissé,
par moquerie,
par bêtise,
par peur que tu ne sois pas un garçon « normal ».

Je t’ai laissé ces monstres
sous ton lit d’enfant,
et tu les as cachés
sous ton oreiller d’adulte.

Maintenant,
tu analyses chaque pièce
à la recherche de ce qui pourrait te tuer
avant même d’y entrer.

Je faisais des promesses quand j’étais saoul —
qui s’évaporaient au matin,
comme l’alcool dans une vieille recette.

Et quand tu grandissais,
je disais que tu ne ferais jamais rien de bon.

Mais je t’appelais Bisous,
quand t’étais petit,
parce que t’en donnais trop.

C’est vrai.
Mais tu sais,
tu as toujours été
plus que ce que je pouvais voir.

(Et pourtant, ces mots ne sont que ceux
que je te prête.)

La trace —

Tes mots restent
sous ma peau,
comme des racines sous la terre —
silencieuses,
mais tenaces.

Généalogie du vide,
je porte tes non-dits sur mon dos
comme une armure trop lourde.

Je marche droit,
je me tais,
sous l’ombre d’un chêne
qui ne m’a jamais abrité.

Même effacé,
tu laisses des traces
dans mes gestes,
dans ma voix,
dans mes façons d’aimer à contresens.

Tu n’es plus là,
mais tu m’habites encore —
dans les silences que je reproduis,
et dans la peur
que j’ai de devenir, dans l’âme,
malgré moi,
le père que je fuis,
même en rêve.

© Tous droits réservés – Hōru Arekusandà / Alexandre Houle

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