Vincent fait les cent pas sur le petit plateau improvisé.

Il transpire dans son costume, et intérieurement c’est encore pire : il bouillonne. Il pourrait rire de la situation, car il y a quelques heures, il crevait de froid. Mais la peur et la honte ont fondu et c’est de la rage et du désespoir qui brûle maintenant dans ses veines.

— Heureusement que ce n’est pas du direct, lui a murmuré Boris, optimiste en toute occasion, avant de partir en régie pour recueillir des infos, et de le laisser seul sous les projecteurs.

Une grosse goutte coule de sa tempe grisonnante jusque dans son col de chemise. Une jeune fille vient lui tamponner le visage, l’air désolé, et il se retient de l’envoyer bouler.

L’animateur de l’émission a disparu. Ce petit con arrogant à la coiffure improbable doit être bien au frais dans sa loge. Il est sans doute très fier d’avoir posé des questions embarrassantes, et d’avoir subtilement tourné sa carrière en dérision. Peut-être est-il en train d’exiger la coupure au montage du passage où Vincent le remet tout aussi subtilement à sa place. Petit con. Mais Vincent a surtout rempli sa part du contrat : il a souri au spectateur, il a enjolivé son aventure. Maintenant il veut chanter.

— Un deux un deux… il m’entend là ? Vincent ? (Le vieux chanteur lève la tête.) C’est Boris, je suis en régie. C’est un problème de câble, de connexion à la table de mixage. On cherche une solution.

— D’accord, super, faites de votre mieux.

— Ça risque de durer un petit moment.

— D’accord, d’accord. (Il tire sur son col de chemise.) Boris ?

— Oui Vincent ?

— Le micro supplémentaire, là, il fonctionne ?

— Nickel, c’est le play-back sur le retour qui déconne.

— Y’a pas une guitare qui traîne ?

Interférences, larsen, puis silence.

Vincent tire sur son col de chemise, les yeux en l’air, comme s’il discutait avec le Bon Dieu.

— Tu es sûr, Vincent ?

— Carrément !

— Bon. Le producteur est okay, on va faire comme ça.

Merci, Boris.