Chapitre 10

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L’évolution des trois cobayes progressa doucement jusqu’en 2029, où une avancée aussi inattendue que significative se produisit. Nicolas, grâce à son esprit ingénieux, mit au point un programme informatique qu’il baptisa Process and Recherch System ou PRS. Celui-ci était capable de réaliser de l’évasion fiscale clé en main, en tirant parti de tous les vides juridiques des lois mondiales.

Après une période de test, l’entrepreneur déposa un brevet et fonda une société appelée Midas, qui n’employait qu’une centaine de personnes. Au grand dam de ses concurrents, les clients affluèrent ce qui lui permit de faire fortune. Cependant, ce n’était pas humainement suffisant pour le jeune patron, car celui-ci déclina ce principe d’IA économique sous d’autres formes, comme l’achat d’actions et à terme conçut un pack, comprenant une comptabilité mondiale universelle. Les entreprises les plus prestigieuses et même des états confièrent leurs budgets à Midas, qui élabora une stratégie de l’économie minimale et protectrice de l’environnement, permettant une sorte d’équilibre mondial. Atteignant le top dix des hommes les plus riches en quelques années contre quelques heures de travail par jours, Nicolas n’aspirait plus qu’à vivre heureux avec le docteur Kayak comme mentor, sa mère Isabelle et peut-être même une femme à aimer.

Hélas, les évènements lui donnèrent tords, à commencer par les filles intéressées et les maîtres chanteurs de tous poils, que Kayak eut le plus grand mal à éloigner de son protégé. Un jour, un d’entre eux pénétra dans le cabinet, alors que le psychiatre et ses trois novices étaient en séances. Aussitôt Anna se saisit d’un crâne en verre qui trônait sur un bureau et le fracassa sur l’importun, qui finit à l’hôpital, puis en prison.

Cet évènement entraina deux conséquences. La première fut une certaine admiration, voire attirance du jeune homme pour sa sauveuse du jour, qui l’avait considérée jusqu’à présent, comme une petite sœur fragile. La seconde était liée à l’évidence du manque de sécurité des patients et des travaux du docteur Kayak, maintenant qu’un de ses novices milliardaires était publiquement connu. Pour empêcher une nouvelle intrusion, des mesures radicales devaient être prises par le psychiatre et elles ne tardèrent pas. La première fut de trouver un endroit protégé où emménager de manière permanente, pour le docteur et ses trois patients privilégiés, surtout que l’argent n’était plus un problème. Lors de cette recherche immobilière, Kayak apprit que le centre 51 était à vendre. Le psychiatre ne connaissait cet endroit que grâce aux écrits de Penta, mais par respect pour son ancien professeur et pour les découvertes liées aux pièces secrètes qu’il espérait y trouver, le praticien convainquit Nicolas de le lui offrir. Publiquement, Kayak continuerait de consulter à son cabinet privé, mais ses trois cobayes resteraient au centre 51, que le Frankenstein de l’esprit rebaptisa Olympus. Celui-ci fonctionnait comme un hôtel et employait une dizaine de professionnels discrets, afin de simplifier la vie de ses occupants comme la nourriture, le ménage, la sécurité, la piscine ou le centre équestre.

Si ni Nicolas, Élisabeth ou leurs familles ne s’opposèrent à ce déménagement, Anna exprima des doutes. Celle-ci percevait que les conditions dont elle jouissait avec sa sœur ne pouvaient être justifiées uniquement par des rapports privilégiés avec Nicolas ou le serment d’Hippocrate de Kayak. La jeune femme avait beau remarquer les étranges capacités de ses deux copatients, elle ne pouvait en saisir la finalité.

Une fois établie de manière permanente, l’évidence sauta aux yeux de l’aînée qui finit par percevoir Kayak comme un gourou et s’estima en danger. La tension psychologique se révéla si importante que la jeune femme devint somnambule, comme si une seconde personnalité commençait à émerger. Des incidents liés à ce trouble apparurent, comme la fois où elle se retrouva avec un couteau de cuisine à quelques centimètres de sa sœur endormie. Celle-ci fut terrifiée quand on lui décrivit la tentative d’agression et cela raviva chez elle, des sentiments d’injustice vis-à-vis de sa cécité, d’où une brouille entre les deux sœurs.

La situation devenait critique et c’est Nicolas qui imagina une solution simple : attacher Anna à son lit avec une chainette de deux mètres quand elle allait dormir. La proposition était ingénieuse et médicalement acceptée par Kayak, qui voyait enfin une véritable utilité à Anna vis-à-vis de l’exercice circulaire. Pour une raison que le docteur ne pouvait expliquer, la jeune femme avait des facilités à emmagasiner par cœur des informations, comme avait pu le faire Penta. Cependant, son traumatisme lié à la cécité de sa sœur était si prononcé qu’elle pouvait faire des crises d’angoisses ou d’identités qui lui faisaient perdre ses moyens en un instant.

Lors des premières nuits, Nicolas reçut un SMS de la future garde du corps « viens ou je quitte le centre à l’instant ». Bien qu’étant un homme riche, Van Houttenberg était du point de vue de ses principes un boyscout, incapable de refuser une demande d’aide, surtout provenant d’une amie. Il se rendit donc dans la chambre d’Anna qui l’attendait dans son lit.

- Merci d’être venu. Cette situation ne peut plus durer ! Il y a quelque chose de pourri au centre Olympus. Maintenant que je suis enchainée, je m’en rends mieux compte.

- J’ai dépensé une fortune pour que Kayak fasse de ce lieu un havre de paix. Je ne veux pas te manquer de respect, mais tu vis gracieusement avec ta sœur dans une maison hi-tec avec vue sur la mer, accès à une piscine privée, un port de plaisance et une écurie. Peu de gens peuvent en dire autant.

- Le problème n’est pas là…

- Dans ce cas, éclaire ma lanterne !

- Comment te faire comprendre mon point de vue ? Regarde mes chaînes, indiqua-t-elle en montrant celles à sa cheville.

- Je les vois, grommela-t-il sur un air presque exaspéré.

- Que dirais-tu à leur propos ?

- Qu’elles sont une nécessité que j’espère provisoire !

- Bien sûr, mais surtout que les miennes ont au moins l’intérêt d’être visibles !

- Comment cela ? répondit-il en bâillant.

- Kayak en a forgé des plus durs que l’acier dans ta tête et celle de ma sœur.

À cet instant, Anna pensait qu’elle venait de mettre le verre dans le fruit, en émettant la possibilité que leur psychiatre ne fût pas forcément animé de bonnes intentions. La jeune fille espérait que cette idée grandirait dans son esprit, cependant, en absence de preuve et parce que Nicolas avait une confiance absolue en son médecin, il dut partir du principe qu’elle se trompait, voire qu’elle voulait le manipuler.

- Non, il nous a aidés, voire sauvé.

- Vraiment ? Même si tu n’en as pas conscience, tu n’as pas de libre arbitre, car tu es sous son contrôle et ton argent n’y changera rien… tant que tu resteras ici.

- C’est ton point de vue, mais du mien, être au centre Olympus me permet de continuer en sécurité ma thérapie en plus de m’exprimer en tant que chef d’entreprise. Mais si tu veux tout savoir, quelqu’un m’a dit presque la même chose.

- Qui cela ?

- PRS, l’intelligence artificielle que j’ai conçue. Elle s’inquiète pour moi.

- C’est juste un programme.

- Plus maintenant, elle apprend vite et pour elle, il y a quelque chose qui cloche avec Pierre.

- Dans ce cas, écoute-la !

À ces mots, Nicolas se sentit prisonnier d’un paradoxe ce qui capta son attention vers la chaîne qui reliait Anna à son lit. Un pas hésitant suivi d’un autre suffit à la toucher, comme un aimant attire l’acier. Au bout de celle-ci se trouvait une cheville. Nicolas n’appréciait pas vraiment le corps humain, mais les extrémités comme les mains et les pieds représentaient ce qu’il lui faisait le moins peur, comme un ado qui serait un peu trop impressionné en découvrant une jeune fille nue.

- Je ne vois rien de concret dans ce que tu me rapportes. Je ne souhaite pas que tu partes, mais ne peux t’en empêcher. Au fond, que désires — tu ? finit-il par demander.

- Rien, j’ai voué mon corps et mon âme à la repentance vis-à-vis de l’accident qui a enlevé la vue à Élisabeth. Aucune épreuve ne sera assez difficile pour racheter cette faute.

- En es-tu sûre ? Cette autre Anna qui est somnambule et a failli tuer ta sœur n’est-elle pas l’illustration que tu te mens à toi-même ?

Les deux esprits formés à l’exercice circulaire ne dirent pas un mot pendant quelques secondes, car ils avaient besoin de prendre du recul par rapport aux révélations mutuelles qu’ils venaient de se faire. Durant ce laps de temps et sans qu’ils s’en rendent compte, leurs mains glissèrent le long de la chaîne jusqu’à se rejoindre. En temps normal, Nicolas aurait repoussé Anna en s’excusant, mais pas ce soir. Le jeune homme s’y refusa, car il avait compris qu’elle allait surement partir, voire l’abandonner. La dernière chance de la faire changer d’avis serait de lui donner une autre raison que sa sœur aveugle et la seule idée qu’il lui vint à l’esprit fut de la rendre amoureuse. Anna avait eu le même raisonnement, mais dans l’espoir de partir avec Nicolas et Elizabeth.

Une partie d’échecs où attirance sexuelle et pouvoir allaient commencer et ce fut la jeune femme qui porta le premier coup en montrant un nouveau visage. Quinze années à se repentir pour l’accident de sa cadette, plus une initiation à l’exercice circulaire et ses effets secondaires avaient mis en sommeil le moindre plaisir. Ce n’était que maintenant qu’elle était enchainée à son lit, que paradoxalement elle pouvait trouver l’ancre capable de lever le verrou de ses désirs.

Prenant la tête de son amant à deux mains, elle l’embrassa. Si l’acier était dur, il leur parut également froid, à moins que ce ne soit la chair de poule des deux tourtereaux qui leur donnèrent cette impression. Dans tous les cas, il ne fallut que quelques secondes pour que Nicolas passe ses mains sous la robe de nuit de son amante, jusqu’à atteindre des seins. Il lui tira les cheveux pour l’embrasser vigoureusement dans le cou et comme réponse, elle le griffa dans le dos jusqu’au sang. Toutes ces chamailleries cessèrent bientôt, quand enfin, ils purent commencer à s’unir. À un moment, Anna se vit nue dans un miroir, aussitôt elle se saisit de sa robe de chambre et se banda les yeux pour ne pas avoir à se poser des questions qu’en à la moralité de l’acte qu’elle était en train de réaliser. Elle se serait évidemment encore plus troublée si elle avait eu conscience qu’ainsi, elle était en tout point semblable à sa sœur, de sorte que si elles avaient pu intervertir leur place, Nicolas ne s’en serait surement pas aperçu.

« Tu es à moi » furent les dernières pensées de la jeune femme, alors que le temps n’avait plus d’importance et qu’à bout de souffle, elle sentait son énergie vitale suinter par tous les pores de sa peau. Quand cette éternité de plaisir prit fin, les deux amants voulurent continuer leur argumentation, mais leur force leur faisant défaut, ils s’endormirent, conscients que leur duel recommencerait dès le levé du soleil.

Il parait que des empires entiers ont été perdus à la suite d’une promesse sur l’oreiller, comme quand Salomé obtenu la tête de Jean Baptiste sur un plateau. Alors que déjeunant, ils se rendaient compte qu’ils étaient envahis par quelques crampes, les deux esprits adeptes de stratégies originales firent le point sur leur situation.

- Je ne sais pas trop ce qui m’a pris hier soir, je n’étais pas moi-même.

- Inutile de t’excuser.

- Nicolas, sommes-nous toujours amis ?

- Et même un peu plus à présent.

- Justement, je voudrais te livrer mes impressions sur le docteur et cet endroit.

- Bien sûr… Nous nous connaissons depuis notre enfance et je te fais confiance.

- Pierre nous aide, mais en même temps il nous teste quotidiennement, même si j’en ignore la cause ; or j’en ai plus qu’assez.

- Tu sais bien qu’il effectue des recherches pour ses travaux en psychiatrie.

- Je n’en suis pas sûr, mais qu’importe. La présence de ma sœur et la pression que Kayak nous impose sont trop difficiles à supporter et je deviens somnambule. Il est évident que je perds le contrôle et c’est pour cela que je souhaiterais partir, avant qu’il ne soit trop tard.

Avec cette simple phrase, Nicolas se devait d’admettre qu’il ne pouvait donner tort à son amante. Faisant contre fortune bon cœur, il préféra essayer de l’aider dans sa future vie.

- Tu résistes avec succès à une pression psychologique intense depuis ton enfance. À ta place, je chercherai dans cette direction. Tu pourrais travailler pour la police ou faire de la politique.

- Merci, j’apprécie ton soutien. Si Élisabeth accepte de me suivre…

- Tu sais bien qu’elle refusera, interrompit Nicolas.

- Comment cela ?

- Elle adore Kayak, sa villa et ses sculptures. Elle est heureuse ici et de plus, tu as failli l’agresser.

- Que devrais-je faire d’après toi, partir sans elle ?

- Et pourquoi pas ? J’ai les moyens de veiller sur Élisabeth. Sache que j’apprécie de pouvoir me comparer à elle, car cela me force à me remettre en cause.

Anna hésita, car la solution proposée par Nicolas était bienvenue, mais en désaccord avec ce qu’elle aurait souhaité. Après un moment de réflexion, elle dut admettre que partir avec sa sœur était trop incertain, surtout qu’elle n’était pas à l’abri d’une crise de somnambulisme meurtrière.

- Soit, j’accepte et je t’en remercie. Je m’éclipserai ce matin et expliquerai la situation à mes parents.

Un éclair de génie traversa l’esprit de Nicolas, comme il était le seul à pouvoir le faire.

- Pour moi, la confiance est essentielle et tu possèdes la mienne. Le conseil d’administration de Midas est constitué d’hommes d’affaires compétents, mais faillibles, sans compter que PRS n’est qu’un programme, comme tu me l’as rappelé.

- Que voudrais-tu de moi exactement ?

- Je souhaite que tu les supervises discrètement et m’avertisses en cas d’irrégularités. Par ailleurs, je cherche également un responsable pour ma sécurité. Sur le principe, tu bénéficies de toutes les qualités pour accomplir une de ces taches, peut-être même les deux. Il faudra tout de même te former à cette activité, afin d’être crédible. T’en sentirais-tu capable ?

- Je n’aurais pas à me rendre au centre Olympus ?

- Non, ce dont j’ai besoin c’est d’un avis extérieur. J’excelle dans l’art de voir la paille dans l’œil de mon voisin, mais ne perçois pas toujours la poutre dans le mien. Ce sera ton rôle.

- Je superviserai discrètement Midas et PRS tout en assurant ta sécurité quand tu sortiras du centre Olympus. En échange, tu continueras à subvenir à tous les besoins d’Élisabeth ?

- Oui, c’est ça !

- Voilà une promesse à ne pas prendre à la légère. Se former à devenir ton bras droit discret et être ton garde du corps ne doit pas être impossible pour quelqu’un possédant mes capacités d’apprentissage, mais cela me demandera tout de même des mois. Accepterais-tu de rester ici tout ce temps ?

- Pas de soucis, car je n’ai besoin que d’un ordinateur pour travailler. Je ne souhaite qu’une exception : mes sorties en mer avec mon nouveau voilier, la Vie en Rose. Es-tu d’accord ?

- Soit, merci Nicolas… et pour nous deux ?

- La question est épineuse. Tu refuses de venir me voir au centre et je ne suis pas forcement libre de mes mouvements. Que dirais-tu de me retrouver lors de mes sorties en mer le week-end ?

- C’est une excellente idée.

Les deux amants se serrèrent l’un contre l’autre, alors que le soleil commençait à apparaitre, sans saisir encore l’importance de leur serment.

À neuf heures, Nicolas appela Kayak et demanda à le rencontrer immédiatement. Il lui expliqua la situation et le psychiatre sembla compréhensif. En réalité, il ne souhaitait surtout pas se fâcher inutilement avec son mécène milliardaire et Anna, qu’il estimait la moins douée des trois novices, avait tout le temps de changer d’avis ou se trouver un nouvel amant.

Les jours passèrent où l’étudiante suivit un cursus scolaire soutenu à Harvard la semaine et retrouvait Nicolas le week-end sur la Vie en Rose. Cette période fut marquée par le fait que tous les plus grands organismes s’arrachaient la jeune femme, grâce à son esprit vif et sa capacité à emmagasiner d’impressionnantes quantités d’informations. C’est comme cela qu’elle rencontra des hommes d’affaires, élus, avocats ou spécialistes de la sécurité, comme des gardes du corps et put ainsi étoffer considérablement son carnet d’adresses. Tous lui proposèrent de l’embaucher, mais Anna ne pensait qu’à ses engagements envers Nicolas.

Pendant cette période, un impondérable advint, car ses crises de somnambulisme perdurèrent, voire évoluèrent. Ne demeurant plus au centre Olympus, Anna s’était estimée à tort guérie de ce trouble et avait cessé de s’attacher à son lit la nuit. Au début, elle se contenta d’écarquiller les yeux, s’asseoir, rire, appeler Nicolas ou marcher dans son appartement… en tout cas jusqu’à ce que la somnambule ne trouve le moyen d’en ouvrir la porte. Anna ne sut jamais ce qu’elle avait exactement effectué pendant ses crises, mais le fait est qu’il lui était arrivé de se réveiller dans la rue ou son appartement… avec un inconnu. Cela arriva une dizaine de fois et toujours avec un homme différent. L’autre Anna, celle qui avait voulu assassiner Élisabeth n’avait pas eu les réponses liées au réel projet du docteur Kayak, d’où un trouble appelé sexsomnie. Celui-ci se caractérise par un comportement du somnambule qui va chercher à avoir des rapports sexuels. Ces inconnus lui expliquaient qu’ils ne l’avaient pas violée, mais qu’elle les avait abordées en des termes très crus en bas de chez elle, puis les avaient invités à faire l’amour. Anna essaya de se soigner toute seule et forçant son esprit à vaincre son somnambulisme, mais face à ses échecs répétés, elle se décida à consulter un spécialiste. Le diagnostic de sexsomnie fut établi rapidement et grâce à un meilleur repos et une chaîne solide qui l’empêchait de quitter son lit, la jeune femme put reprendre le cours de sa vie.

Les semaines passèrent où Pierre songeait de plus en plus sérieusement à faire venir au centre de nouveaux adeptes, jusqu’à ce qu’Anna contacte Nicolas en urgence. L’étudiante acharnée allait obtenir son accréditation de garde du corps et sa licence d’avocate, mais surtout elle était enceinte. Le jeune homme accepta de la revoir dans un restaurant, mais Kayak exigea d’être présent, de peur que la situation lui échappe.

- Nicolas, je te dois la vérité. Apprendre les affaires et comment assurer ta sécurité m’ont déclenché des crises de somnambulisme plus graves que dans le passé, car j’étais devenue sexsomiaque. J’étais libre par rapport au centre Olympus, mais pas prête à me prendre en charge. Je voulais me sentir vivante et ai refusé de m’attacher à mon lit ; or il m’est arrivé de coucher avec d’autres hommes… et je suis tombée enceinte. Je ne peux donc être sûr que tu sois le père de mon bébé. Je suis confuse, mais je n’ai pas voulu cette situation.

- Un avortement est-il envisageable ? interrogea le psychiatre avec une voix crispée.

- Je suis désolée, mais la période est dépassée.

- Ben voyons, grommela Kayak sur un ton accusateur. Personnellement, j’estime que dans cette affaire, il y a un peu trop de coïncidences. Avouez que cette grossesse est suspecte, comme votre départ précipité du centre ! Pour moi, vous avez monté une arnaque avec un homme qui vous a mise enceinte et vous en avez après l’argent de Nicolas.

- Docteur, Anna a toute ma confiance, que cet enfant soit le mien ou pas.

- Mais…

Voilà un des seuls moments où Nicolas fut sur le point de s’extraire de l’influence de son psychiatre. À cet instant précis, il aurait pu se lever, prendre la main d’Anna et la demander en mariage, encore plus surement s’il avait estimé que cet enfant fut le sien. Cependant, après quelques secondes de réflexion, il y renonça et s’exprima envers son mentor sur un ton agacé, presque glacial.

- Monsieur Kayak, cette affaire privée ne vous concerne pas directement. J’ai accepté que vous m’accompagniez parce que vous êtes mon médecin, mais je vous demanderai de ne pas vous disputer inutilement avec Anna, mais plutôt de me montrer des preuves de vos accusations.

- Soit, je me tairai à partir de maintenant, indiqua le psychiatre tout en notant qu’il n’avait pas l’habitude que son mécène lui parla de la sorte.

- Anna, finit par souffler Nicolas en cherchant ses mots. Nous nous connaissons depuis des années, et je t’apprécie, réellement. Simplement… Cette grossesse trouble mes sentiments, car les enjeux ne sont pas à négliger. Tu comprends ? Accepterais-tu de revenir au centre ? Juste pour...

- Non, je suis désolé, mais cet endroit me fait trop peur. J’ai conscience qu’Élisabeth et toi vous y sentez bien, mais ce n’est pas mon cas, répliqua-t-elle en frappant la table de son poing.

- J’ai saisi le message, calme-toi... À propos de cet enfant, si je suis le père, sache que j’assumerai. Cependant même si un autre devait l’être, je continuerai à t’aider comme ta sœur, mais nos rapports seront strictement professionnels… J’espère que tu me comprends.

- Bien sûr et merci, répondit la jeune femme au bord des larmes.

« Ne me quitte pas » ne fut pas prononcé par les deux amants, même si leurs âmes le désiraient plus que tout. Ces quelques mots auraient pu tout changer, mais les enjeux devenaient si importants à travers cette grossesse, qu’ils préférèrent s’abstenir, au nom de leur confiance mutuelle, plus que leur amour.

Le reste de la discussion ne fut que des banalités et tous attendirent six mois l’accouchement, suivi du test ADN de paternité. Quand les résultats négatifs arrivèrent, Kayak se vu conforté dans sa vision complotiste d’Anna qui perdit beaucoup de crédit auprès de Nicolas. Celui-ci mit fin à la possibilité de l’intégrer à Midas, malgré son diplôme de manager. Cependant, le milliardaire continua d’accorder sa confiance à la jeune femme, qui se fit engager en tant que responsable de sa sécurité, alors qu’il ne sortait presque jamais du centre Olympus. Cette promotion était autant due aux reliquats de sentiments que Nicolas éprouvait pour elle, que la peur de devoir s’expliquer avec sa sœur Élisabeth, envers qui il ressentait une grande empathie.

Les choses se déroulèrent ainsi jusqu’à ce que le père de Nicolas se suicide, ce qui entraina une vive dispute entre son ex-épouse Isabelle et le psychiatre. Les conséquences furent la mort de cette dernière et la défiguration du jeune milliardaire. Paradoxalement, le même évènement avait rendu possible un an plus tard, la rencontre de Natalie et Nicolas. Celle-ci était si semblable à Penta, que Kayak se devait d’en faire sa nouvelle championne afin de réaliser son projet d’évolution de la psychiatrie. Dans cette optique, le médecin savait qu’il devait créer un choc psychologique à la jeune femme, pour sublimer ses capacités : or utiliser, voire sacrifier son mécène Nicolas représentait la seule possibilité d’atteindre cet objectif.

Une de ses stratégies idéales, élaborées il y a quelques années consistait à réaliser la même chose avec Anna ou Élisabeth, cependant aucune de ces deux novices ne faisait preuve de dépersonnalisation et le projet fut suspendu. « Le destin a mis Natalie sur l’échiquier, utilise-la ou je te dévorerais tellement le foie, qu’il ne pourra se reconstituer » lui avait juré l’aigle de Zeus dans un de ses rêves. Dès cet instant, il ne restait plus à cet apprenti sorcier de l’esprit qu’à régler certains détails, comme faire en sorte que son mécène ne comprenne pas trop vite, qu’il venait de devenir un pion parfaitement sacrifiable. Cette décision fut d’autant plus facile, que Nicolas s’était engagé à travers l’entreprise Midas à verser au bon docteur vingt millions de dollars par an, afin d’assurer tous les frais du centre Olympus, quel que soit son état de santé.

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