Chapitre 12

8 minutes de lecture

Si une qualité devait être attribuée aux parents adoptifs de Natalie, ce serait de l’avoir rendu dur au mal. Les heures, jours et semaines passèrent sans que la jeune femme paresse particulièrement impactée par l’absence de nouvelle, bonne ou mauvaise. La fiancée se refusa à extrapoler trop vite des scénarios morbides et se renseigna sur le net, afin de connaître les différents itinéraires pour faire le tour du Monde en passant par le pôle Nord. Cependant, face aux multiples possibilités, elle préféra s’en abstenir de peur de s’effondrer psychologiquement, mais une chose était sûre : cette attente ne serait pas sans conséquence.

Quand un homme est condamné à trente ans de prison, qu’il mérite ou non son sort, il sait qu’il sera libéré au terme de sa peine. Il garde donc cet espoir un peu comme un trésor au fond de son âme, même s’il a conscience que l’attente sera longue. Natalie, bien qu’à l’abri financièrement n’avait pas cette chance, car elle ignorait la date du retour de son amant ou s’il était encore en vie.

Cette situation entraina un ensemble d’habitudes dans un premier temps inoffensif. « Mon téléphone est-il chargé ? Ai-je bien vérifié mes mails depuis cinq minutes ? Les médias parlent-ils de Nicolas ? » Après quelques semaines, elles se transformèrent en manie obsessionnelle et Natalie essaya de s’y soustraire grâce à un ensemble de routines. « Quatre sucres dans mon thé pour le rendre moins amer, puis aller sur la plage à 10 h pour vérifier si Nicolas arrive et lui porter chance, ce qui permet aux employés de maison de tout ranger et nettoyer. Repas livré à 12 h… »

L’espoir est une force, mais au bout de trois mois qui lui parure bien plus, Natalie commença à en manquer. Un jour, elle trébucha sur une pierre en allant à la plage et y vit un signe du destin. Mettant son orgueil dans la poche, la fiancée appela Kayak afin de savoir si par hasard, il avait des nouvelles. Celui-ci répondit négativement, mais que dès qu’il en aurait, elle serait la première avertie. Le bon docteur en profita pour demander des informations liées à son état de santé et proposa de la rencontrer autour d’un thé. À contrecœur, elle accepta.

Ce fut dans son cabinet du centre Olympus que Kayak reçut Natalie vers les 17 h. Il ne l’avait pas croisée depuis des semaines, mais comme le personnel le lui avait appris, elle avait perdu du poids et semblait particulièrement accablée.

Les mains tremblantes et la vue basse, la New-Yorkaise sûre d’elle s’était transformée en une dépressive au regard creux. Elle portail une marinière de Nicolas qui était encore imprégnée de son odeur et qu’elle avait sauvée, au dernier moment d’une femme de ménage, un peu trop à cheval sur la propreté. L’esprit de la fiancée n’était pas assez alerte afin de percevoir les ruses que le bon docteur avait eu le temps d’élaborer et celui-ci allait évidemment en profiter.

- Natalie, mais qu’est-ce qui vous est arrivé ? Quêta-t-il à la manière d’une assistante de la croix rouge.

- Ça va... pas le choix. Nicolas va revenir et quand il sera là, les choses s’arrangeront.

- J’en suis sûr, mais si vous finissez à l’hôpital, il risque de ne pas apprécier, insista-t-il en faisant assoir la malheureuse dans un fauteuil.

- Vous avez faim ou soif ? Je m’en veux de vous avoir délaissé de la sorte, si vous saviez. Je conçois votre angoisse, mais pourquoi avez-vous mis tant de temps avant de demander mon aide ?

En entendant de tels propos, Natalie s’effondra de tristesse dans les bras du médecin. Un mois à se forcer à ne pas imaginer son fiancé noyé, faisant la java à Rio ou un couteau sous la gorge avait liquéfié tout orgueil ou retenue. La jeune femme pleura pendant quelques minutes et c’est à ce moment que Kayak perçut qu’elle était mûre pour son projet secret, comme une poire prête à tomber d’un arbre. Après quelques minutes, Natalie se calma, puis sécha ses larmes, avant de s’exprimer.

- J’ai conscience que je ne suis qu’une pièce rapportée, au centre Olympus, mais j’ai ma fierté. Quelle sorte d’épouse ferais-je, si je venais pleurer dans votre cabinet le premier jour ?

- Vous seriez une femme, qui a besoin de soutien… tout simplement. Je ne vous juge pas et vais évidemment vous prendre en consultation demain à partir de neuf heures et pour le temps qu’il faudra.

- Merci, docteur, mais c’est surtout d’une autre aide dont j’ai besoin. Je cherche des informations sur Nicolas, afin de savoir quand il rentrera, j’espère tant qu’il ne lui est rien arrivé.

Kayak fit semblait d’être un peu perdu en écoutant la requête de sa nouvelle patiente. Il regarda un instant le plafond, puis fit la moue, avant de répondre.

- Je comprends et suis également inquiet. Vous avez raison, nous devons faire quelque chose. Et si je vous disais que je dispose d’une procuration sur les comptes de Nicolas.

- Et alors ?

- Il ne veut pas être aidé, mais nous pourrions essayer de le localiser ?

- Sans qu’il l’apprenne ?

- Ma foi oui ! Nicolas est riche, mais habituellement très discret et sa disparition n’a pas été rendue publique. Ensuite, très peu de personnes savent qu’il effectue un tour du Monde. Le repérer serait comme un jeu de piste !

- Il ne m’a pas interdit de le localiser. Ce serait comme une enquête de police, non ?

- En quelque sorte.

L’homme de confiance prit d’un coup un air pensif, voire inquiet, comme si un détail l’agaçait. Il mit sa main devant la bouche, ce qui éveilla l’attention de la jeune femme.

- Il y a un problème ?

- En effet, il ne faudrait pas que la presse apprenne qu’on le cherche. Dans ce cas, ils nous harcèleraient, sans compter la police ou les politiciens qui ne tarderaient pas à le déclarer mort, puis à mettre leurs sales pattes sur Midas.

Quand cette pensée traversa Natalie, son esprit lui sembla quitter son corps et flotter au-dessus d’eux, avant de se dissoudre dans le plafond. Pour la première fois, la possibilité que son fiancé puisse être décédé était évoquée par un tiers. Cependant, sa capacité à dépersonnaliser les êtres humains lui permit de ne pas craquer à nouveau et elle se contenta de durcir un peu son visage d’ange.

- Je vois, docteur.

- Le mieux serait que j’engage des spécialistes qui le chercheront discrètement.

- Mais il n’est censé s’arrêter dans aucun port.

- En effet, cependant il a forcément croisé des bateaux et est passé par des détroits surveillés où il a dû s’identifier. Ne vous inquiétez pas, nous le localiserons, mais sans chercher à entrer en contact avec lui.

Rarement le cœur ne Natalie avait battu aussi fort en entendant des propos si bienvenus, voire miraculeux. À cet instant, la jeune désespérée ne trouva pas les mots pour remercier son sauveur qui venait de s’engager à retrouver l’amour de sa vie.

- Cependant, que les choses soient claires, ce sera notre secret, je vous fais confiance. Le connaissant, il prendrait très mal qu’on le recherche, alors qu’il est en quête spirituelle, afin d’accepter la mort de sa mère.

- Je comprends et ai un peu honte d’être passée pour une idiote, mais cette attente me tuait à petit feu.

- Mais pas du tout et à votre place, j’aurais craqué depuis longtemps.

- Puisque nous en sommes aux confidences, je vais vous en faire une, étant donné que vous êtes maintenant mon psychiatre. Vous savez déjà que je souffre de dépersonnalisation, mais si je vous racontais mon enfance, vous auriez les cheveux qui se dresseraient sur la tête.

- J’ai conscience que vous êtes une femme exceptionnelle, depuis que vous ai rencontré et c’est tout ce que j’ai besoin de savoir.

- Je n’étais qu’une employée, voire une esclave et Nicolas m’a extrait d’une vie de labeur, pour quel résultat ? Vivre dans une prison dorée et attendre qu’il revienne ouvrir la cage.

- Ne dites pas cela. Je vous ai expliqué que j’allais le faire chercher, mais maintenant il faut penser à vous. Essayez de vous changer un peu les idées, comme allez au cinéma ou au musée.

- Et s’il arrivait quand j’étais parti ?

Kayak sourit à cette question, qui prouvait l’affection que Natalie portait à Nicolas.

- Je comprends. Vous savez à qui vous me faites penser : Penelope, la femme d’Ulysse dans la mythologie grecque. Elle attendu 20 ans le retour de son mari.

- C’est presque mon âge.

- Mais il a fini par revenir.

- Je suppose qu’il avait une mission à réaliser, comme Nicolas.

- En effet, mais vous savez quoi, j’ai une édition de l’Iliade et de l’odyssée qui explique tout cela. Je vous les prête, lisez-les, cela vous occupera. Ensuite, nous pourrions en parler en séance, par exemple. Je pense que cela vous fera du bien de prendre exemple sur Pénélope.

- Merci docteur. J’aurai un dernier souhait. Anna ne doit pas être associée à la localisation de Nicolas. Je sais qu’ils ont été amoureux, mais je ne veux pas qu’elle le revoie avant moi ou sans ma présence.

- Je comprends, ne vous inquiétez pas pour cela !

- Vous semblez bien sûr de vous, s’enquerra la jeune femme.

Kayak tourna brusquement la tête vers sa patiente, comme s’il avait un secret. Heureusement pour lui, son esprit calculateur avait prévu une réponse cohérente à ce genre de question.

- Anna a peur du centre Olympus et refuse depuis qu’elle est partie d’y remettre les pieds, même pour voir sa sœur aveugle. Elle a été signalée trainant aux abords par les employés de maison, mais elle est très discrète.

- Elle nous espionne ? s’inquiéta la jeune fiancée.

- J’en doute. Je pense qu’elle est victime de ce que la psychiatrie appelle le syndrome du chevalier blanc. Il consiste en un besoin compulsif de sauver les autres, au détriment de son propre bien-être. C’est ce genre de pathologie qui la conduit à devenir somnambule, puis à agresser sa sœur ou coucher avec des inconnus. Nicolas la choisit pour assurer sa sécurité, car ils se fréquentent depuis l’enfance et il lui fait confiance. Elle a toujours su se montrer irréprochable, mais ce travail est très facile, étant donné qu’il ne quitte pratiquement jamais le centre.

- Et la seule fois où elle aurait pu être utile, elle était absente.

- Vous parlez de l’agression ? demanda Kayak.

- En effet !

- Cet évènement l’a déstabilisée, mais de l’eau est passée sous les ponts et elle doit s’occuper de son fils.

- Je vois. Il commence à se faire tard et j’ai de la lecture pour ce soir. SI vous le permettez, je vais vous laisser.

- Bien sûr, Natalie. Dans ce cas, je vous dis à demain, 9 h.

- Merci docteur, indiqua Natalie en se levant et en partant avec les deux ouvrages.

En rentrant chez elle, Natalie ne put voir Anna, qui depuis l’extérieur de la propriété l’observait à l’aide de lunettes infrarouges, en étant cachée dans un arbre. Celle-ci nota que la fiancée portait des livres, mais n’y prêta pas attention plus que cela.

Jadis, la garde du corps avait envisagé de poser un micro dans le cabinet du bon docteur, mais elle avait finalement renoncé à passer à l’acte, à cause des risques d’être découverte. Si cela avait été le cas, nul doute que Kayak l’aurait définitivement discrédité aux yeux de Nicolas, ce qu’elle voulait éviter à tout prix.

D’une manière générale, cet établissement semblait être protégé des investigations discrètes d’Anna par une force obscure. Cependant, un élément extérieur n’allait pas tarder à la rendre obsolète.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Olivier Giudicelli ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0