5.
A ladite heure, deux jours plus tard, Amélie se présenta dans le bureau du directeur dont la porte grande ouverte l’avait laissé croire que ce dernier était prêt à la recevoir. Or un homme grisonnant, qu’elle reconnut comme étant le médecin du travail rattaché à leur entreprise, était installé en face d’Arnaud.
— Vos employés pâtissent de votre management acerbe ! clama le professionnel de santé. Le taux de démission et les plaintes que je reçois en sont la preuve. Je vous recommande de suivre mes conseils et de prendre rendez-vous chez un des psychologues que je vous ai suggérés. Vous martyrisez vos équipes et si cela ne cesse pas dans les plus brefs délais, je déposerais un rapport en ce sens au Conseil National de l’Inspection du Travail !
Le visage rougeaud de gêne, Amélie ne savait pas où se mettre. Elle hésitait à partir, mais son supérieur poursuivit la discussion comme s’il ne l’avait pas remarquée :
— Vous ne ferez rien de tel, Docteur Meuglé. Vous portez bien votre nom cela dit, vous venez de me déclencher une migraine avec vos meuglements. C’est amusant. J’ai souvenir de salariés en maladie longue durée qui m’ont confessé s’être vu prescrire des arrêts de travail frauduleux de votre part pour, je cite, aider le navire à chavirer. Je suis certain de pouvoir récolter ces témoignages contre une gracieuse somme car, comme vous l’avez si bien expliqué, je suis un tyran, qui obtient toujours ce qu’il veut. Je vous en prie, déposez votre rapport, j’enverrais le mien au Conseil National de l’Ordre des Médecins.
Blême de colère mais surtout de peur, le médecin rassembla ses affaires, souhaita une excellente journée au directeur puis quitta les lieux à brûle-pourpoint.
— Pathétique, cracha Arnaud avant que ses yeux ne croisassent ceux d’Amélie. A nous deux. Fermez la porte et asseyez-vous.
La jeune femme, encore perturbée par la confrontation animée entre le directeur et le docteur, s’exécuta machinalement. Elle prit place en face de l’homme, les jambes pliées sous la chaise, s’efforçant à reprendre ses esprits pour affronter, à son tour, son employeur qui se décrivait lui-même tyrannique.
— Votre vaine motivation pour garder votre poste me chagrine, dit-il. C’est pourquoi j’ai décidé de vous accorder un présent contre votre démission. Je rédigerai un courrier de recommandation que vous pourrez transmettre à un recruteur.
— J’y ai bien réfléchi… Je ne me vois pas poursuivre un emploi que mon supérieur me force à abandonner.
— Sage décision. Je savais que vous finiriez par vous rendre. Et puis…
Pendant que le directeur énumérait les raisons pour lesquelles Amélie n’avait plus sa place au sein de leur société, à savoir son manque de compétences, son travail insuffisant ou encore son autorité douteuse, la jeune femme remarqua l’anneau que portait son interlocuteur, un bijou qui l’obnubila à tel point qu’elle cessa de l’écouter.
— Votre bague, l’interrompit-elle sèchement.
— Pardon ? Oh, ça, c’est une camelote que j’ai ramassée l’autre jour en sortant du bâtiment.
Les deux roses entremêlées qui ornaient l’anneau doré maintenait l’attention d’Amélie. Elle qui, tout le week-end, avait réfléchi à son avenir, à son évolution professionnelle, à la décision qu’elle devait prendre pour préserver son bien-être des coups bas de son supérieur, choisit enfin la meilleure solution. Sans regret, elle annonça :
— Je vous transmettrai ma lettre de démission d’ici la fin de journée.
A travers un hochement de tête respectueux, Arnaud remercia son employée du temps qu’elle lui avait consacré. Cette dernière n’avait jamais été aussi sûre d’elle. Il était temps de rompre le contrat qui les unissait.
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