6.
Le plateau, désert, était plongé dans la pénombre, à l’exception d’un écran encore allumé devant lequel travaillait toujours Amélie. Seule sur l’open space, elle s’attelait à préparer les missions qu’elle confierait le lendemain à ses coéquipiers. Non loin d’elle, dans un impeccable costume rouge qui recouvrait une chemise noire, Arnaud sortit de son bureau pour s’approcher de son unique employée encore en activité.
— Vous me connaissez. J’ai horreur de forcer la main, mais la journée touche à sa fin et je n’ai toujours pas reçu mon courrier.
— Deux minutes, Arnaud.
Concentrée à écrire un dernier e-mail, Amélie fit patienter son supérieur le temps qu’elle jugea nécessaire pour achever les tâches qu’elle s’était assignées. Elle se leva finalement, lettre en main, pour la remettre à l’homme dont la patience égalait l’amabilité. Affichant un faible sourire, Arnaud parcourut rapidement le document des yeux avant de saisir un stylo pour apposer sa signature en bas de page.
— Malgré les apparences, je n’éprouve aucun plaisir à agir de la sorte.
— Vous gâchez tout le respect que vos salariés ont pour vous et votre parcours.
— Je ne veux pas qu’ils me respectent. Je veux qu’ils me craignent.
— Comment voulez-vous garder vos collaborateurs à vos côtés si vous les traiter comme des esclaves ? s’indigna la jeune femme.
— Montez en grade et vous comprendrez.
Le directeur s’assit sur l’un des bureaux, scrutant Amélie avec égarement.
— Je pense sincèrement que vous méritez un meilleur employeur que moi, indiqua-t-il à mi-voix. Évidemment que votre travail et votre dévouement sont plus qu’admirables et nettement suffisants pour cette entreprise. Mais je vous vois aller plus loin. Je vous sais capable de diriger une équipe de plus grande ampleur, voire un service à part entière. Malheureusement, les grands patrons et moi-même ne pouvons pas vous offrir cette perspective. Nos clients ne prévoient aucun investissement supplémentaire. Nous sommes bridés. Je vous ai poussée dehors pour que vous puissiez trouver la place qui vous revient, et je vous y aiderai à travers mes recommandations.
Dissimulant habilement sa stupeur face à un tel discours de la part du directeur, Amélie s’occupa à enfiler sa veste en cuir carmin ainsi que son sac à main en bandoulières noir. Elle enfila également une paire de gants afin de résister à la brise hivernale qui sifflait derrière les vitres en simple vitrage.
— Nous avons travaillé ensemble durant toutes ces années, répondit-elle, pensive. Un drôle de sentiment m’envahit quand je comprends qu’une page de ma vie se tournera prochainement. Malgré nos différends, je vous remercie de m’avoir accueillie dans votre service et de m’avoir permis d’évoluer au sein de votre équipe.
— Mon rôle consiste à accompagner mes collaborateurs le plus loin possible.
— Pour une fois, je déplore ce que je vais faire.
Arnaud fronça les sourcils par incompréhension alors qu’Amélie sortit de son sac à main un pistolet avec lequel elle lui tira une balle dans le crâne. L’homme s’effondra lourdement du haut de son bureau. Sans sourciller, la jeune femme rangea l’arme à feu et s’accroupit à côté du cadavre encore chaud de son employeur pour lui retirer délicatement la bague qu’il portait à son majeur gauche, qu’elle remit aussitôt à son annulaire. Elle fut soulagée d’enfin retrouver l’anneau qui lui appartenait. Veillant à éviter la flaque de sang qui maculait la moquette du bureau paysager, Amélie récupéra le courrier qu’elle avait fait signer à son dirigeant.
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