2.
— Quel pauvre type ! Et toi tu n’as rien dit ? Tu t’es laissé faire comme une docile petite employée ?
Occupée à surveiller les tournedos sur la plancha et à retourner les pommes de terre sautées, Amélie n’écoutait son petit ami que d’une oreille. Elle lui avait raconté sa journée, notamment son entretien désastreux, mais ne souhaitait pas épiloguer sur le sujet toute la soirée. La jeune femme ne cessait de penser à l’ordre que lui avait donné son supérieur. Elle devait démissionner, sans quoi son quotidien professionnel risquait de devenir un véritable enfer. Dès qu’elle avait quitté le bureau, Amélie s’était empressée de rédiger sa lettre de démission. Puis, lorsque l’émotion s’était dissipée, la colère succéda à l’affliction et le courrier termina froissé dans la corbeille.
— Tu n’y étais pas, rétorqua-t-elle. Il était si sincère dans sa méchanceté. Je me suis sentie… une moins-que-rien.
Tom poussa un soupir qui trahissait un profond agacement. Il ne comprenait ni comment ni pourquoi sa compagne autorisait ce manque de respect et de reconnaissance à son égard. Selon Amélie, il ne pourrait jamais se mettre à sa place en raison de son autorité naturelle que lui procurait son emploi. Tom était officier de police. Avec un sens de la justice aiguisé, dans aucun cas il ne tolérerait un tel comportement, encore moins s’il émanait d’une hiérarchie supérieure. Il souhaitait inculquer cette estime de soi à sa petite amie qui en manquait cruellement.
— Tu devrais aller voir le grand patron, concéda-t-il. Ce toquard n’est pas infaillible, il a lui aussi un responsable à qui il doit rendre des comptes.
— Les dirigeants sont encore pires que lui ! Et ils ne viennent quasiment jamais sur site, ils sont inaccessibles. Et si je leur adresse un mail ou un courrier, mon écrit se retournera contre moi. J’en suis certaine.
Un ange passa tandis qu’Amélie délaissa les fourneaux pour rejoindre son petit ami sur le divan, assis devant le poste de télévision qui diffusait les informations locales. Trois collègues de Tom étaient interviewés au sujet d’une série de crimes qui sévissait depuis plusieurs semaines dans la région. Outre l’inquiétude qu’elle ressentait pour son avenir professionnel, Amélie s’inquiétait surtout pour son compagnon qui risquait sa vie au quotidien.
— Encore ce malade qui a tué une autre victime ? osa-t-elle demander.
— Hmm. Il a essayé à nouveau de maquiller son meurtre en suicide. C’est à peu près sûr qu’il s’agisse du même gars. Le même mode opératoire, le même stratagème pour ne laisser aucun indice, bien que cette fois-ci nous ayons retrouvé une bague lui appartenant.
Les journalistes montrèrent justement le bijou en question, un anneau doré dont les motifs gravés dessus ressemblaient à deux roses entremêlées.
— Que comptes-tu faire ? s’enquit Tom en tournant la tête vers la jeune femme. Démissionner comme il l’a exigé ?
Le regard voilé par le doute, Amélie ignorait quelle stratégie adopter. Elle aimait son travail, ses nouvelles responsabilités, mais ne supportait plus l’animosité ambiante dans laquelle elle évoluait. Pourtant, la jeune femme n’arrivait pas à se convaincre de céder à la démission. Pour une fois, elle souhaitait se battre pour ce qu’elle méritait et elle souhaitait gagner, maintenir sa place dans l’entreprise qu’elle fréquentait depuis huit ans, et obtenir le respect de ses pairs et de sa direction.
— Je ne partirai pas de mon propre chef. Si Arnaud souhaite se débarrasser de moi, il le fera par le biais du licenciement ou de la rupture conventionnelle. Car je ne démissionnerai pas.
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