3.
Le lendemain, Amélie franchit les portes sécurisées par un digicode dès l’ouverture des bureaux, à sept heures et demie. Chaque employé possédait un libre intervalle d’une heure pour embaucher, mais ils devaient tous être présents à l’arrivée de leur directeur, aux alentours de neuf heures. Ce dernier avait instauré cette règle en vue de contrôler le retard de ses salariés. S’il en manquait un passé huit heures trente, Arnaud connaissait sa prochaine cible à abattre.
Ses collègues arrivèrent au compte-gouttes jusqu’à ce que l’open space ne se remplît complètement. La jeune femme prit le temps de saluer ses collaborateurs et transmit les missions et objectifs du jour à son équipe. Elle éluda les questions que lui posèrent ses collègues à propos de son entretien de la veille et, après avoir pris un premier café et échangé les dernières nouvelles, tous se mirent à leur poste et débutèrent leur journée.
Neuf heures moins cinq. Le bip sonore des portes du rez-de-chaussée résonna, signal donné à tous les employés qui se levèrent de leur siège et se tournèrent vers l’allée qui séparait le plateau en deux. Des bruits de pas retentirent depuis la cage d’escalier. Amélie déglutit. Un épais manteau noir apparut au loin, au détour du couloir. Portant une mallette dans sa main droite, un café dans celle de gauche, les cheveux impeccablement cirés et coiffés, Arnaud s’élança dans le bureau paysager. De larges lunettes de soleil recouvraient une partie de son visage et renforçaient son air renfrogné. Sans un mot, sans marquer d’arrêts auprès des différentes équipes, il traversa l’allée du plateau comme un grossier mannequin qui défilait pour une marque de haute couture. Sur son chemin, il récolta les salutations de ses employés qui baissaient la tête à son approche. Ce rituel se répétait tous les matins. Quotidiennement, ils accueillaient leur directeur comme s’ils recevaient le roi Charles III, les révérences en moins quoiqu’elles y trouveraient leur place.
Soudain, Arnaud ralentit lorsqu’il passa à côté d’Amélie. Le palpitant de cette dernière s’accéléra. Le directeur pivota en direction de la jeune femme et retira lentement ses lunettes de soleil, arborant alors un sourire des plus forcés.
— Amélie ! s’écria-t-il. Comment allez-vous ?
— B… Bien, et vous ?
— Misérable, comme toujours, j’ai planché sur vos dossiers désastreux toute la nuit. J’espère trouver dans mon bureau le courrier que je vous ai demandé.
— Vous n’en aurez pas besoin. Je vais reprendre les dossiers de mon équipe et je leur apporterai les corrections nécessaires.
L’attitude joviale que faussait l’homme disparut aussitôt. Une grimace remplaça le sourire, les sourcils se froncèrent. Amélie déglutit à nouveau. Elle planifiait cette confrontation depuis le réveil et, malgré les nombreux scénarios qu’elle avait imaginés, une seule certitude persistait : elle ne devait révéler aucun signe de faiblesse si elle souhaitait convaincre son supérieur. Le dos droit, la tête haute, la jeune femme soutint son regard amer lorsqu’il se rapprocha d’elle.
— Je ne crois pas que vous ayez saisi la teneur de mes propos lors de votre entretien, tonna Arnaud, la mâchoire serrée.
— S… Si, mais ma place est…
— Vous bégayez, la coupa-t-il sèchement.
— Non, j… je…
Un subtil ricanement s’échappa des lèvres du directeur, puis il tourna le dos à Amélie pour rejoindre son bureau situé à l’entrée de l’open space. Plongés dans un silence de circonstance, les employés se rassirent et reprirent leur activité en essayant d’oublier l’altercation à laquelle ils venaient d’assister. Le cœur lourd, Amélie imita ses collègues sans grande conviction. Elle savait que contrarier son supérieur de la sorte revenait à proclamer une guerre sempiternelle qu’elle ne remporterait probablement jamais.
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