4.

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 Les jours qui suivirent furent une atroce épreuve à surmonter.

 Le mercredi matin, durant une réunion virtuelle avec d’importants clients, une perte de connexion interrompit Amélie dans la présentation de ses résultats. Malgré de nombreuses tentatives, impossible pour elle de retrouver le débit internet suffisant pour les rappeler. En partant de son bureau pour rejoindre la salle de restauration sur sa pause déjeuner, la jeune femme croisa Arnaud qui, esquissant un rictus mauvais, s’excusa du désagrément. Il confessa s’être trompé de numéro de poste en demandant au service informatique de résilier l’accès au wifi d’un collègue qui avait récemment démissionné. Le directeur espérait néanmoins que cette maladresse n’avait pas causé trop d’embêtements à son employée, et avait hâte de faire le point avec leurs clients sur sa présentation de ce jour.

 — J’ai toute confiance en vous, Amélie, dit-il avec un sourire étendu jusqu’aux oreilles. Je suis certain que vous avez su les convaincre. Autrement je devrais reporter l’incident à mes chefs. Vous savez à quel point il s’agit de clients notables.

 Le mercredi soir, alors qu’elle avait décidé de rester plus longtemps au bureau suite au courriel de remontrance qu’elle avait reçu de la part des directeurs généraux à cause de sa réunion catastrophique, Arnaud la rejoignit aux alentours de vingt heures afin de déposer une pile de classeurs à ses côtés.

 — Tenez. A traiter et à me rendre à la première heure, demain matin.

 — Je comptais rentrer chez moi. J’ai à peine terminé de renvoyer les fichiers-clients qu’on m’a demandé de revoir, je ne pourrai pas…

 — Si vous n’êtes pas faite pour le job, ce n’est pas mon problème. Vous avez une solution pour vous débarrasser de ce fardeau. En attendant, il vous reste plus de douze heures pour examiner mes rapports de prospection, c’est amplement suffisant.

 Le directeur tourna les talons avant de se raviser :

 — Pensez à sortir par l’issue de secours à présent. Il serait dommage d’enclencher l’alarme et de passer la nuit au commissariat.

 La gorge nouée, Amélie ne sut comment réagir autrement que par hocher servilement la tête. Une heure après le départ de l’homme, alors que ses paupières se fermaient machinalement, elle décida qu’il était temps de rentrer chez elle. La jeune femme rassembla ses affaires, veilla à éteindre son ordinateur, puis quitta son bureau en prenant la direction de la sortie de secours, située au fond du plateau. Quelle surprise lorsque les portes refusèrent de s’ouvrir.

 — Bien sûr, pesta-t-elle à voix haute.

 Enfermée dans le bâtiment, sans solution autre que de sauter par une fenêtre, Amélie dut se résoudre à descendre vers la sortie principale. Tandis qu’elle pénétrait dans le sas d’entrée, une sirène retentit dans l’édifice et les lumières s’allumèrent concomitamment. La jeune femme essaya tant bien que mal d’ouvrir les portes à l’aide de son badge, mais celles-ci restèrent solidement fermées. Peu de temps après, l’alarme assourdissante laissa place aux sirènes des véhicules de police dont les roues crissèrent bruyamment avant que des agents ne s’infiltrassent à l’intérieur du complexe professionnel.

 Amélie se justifia immédiatement, indiquant qu’elle travaillait dans cette entreprise, mais les policiers ne voulurent rien entendre. La procédure était la procédure. L’employée fut arrêtée et emmenée au commissariat le plus proche. Heureusement pour elle, Tom, qui était en fonction ce soir-là, aboya sur ses collègues et réussit à écourter la garde à vue de sa compagne. Elle rentra chez elle aux alentours de minuit et sombra dans un profond sommeil dont elle s’échappa à huit heures trente, le lendemain.

 Ainsi, le jeudi matin, Amélie mobilisa toutes les forces qui lui restaient pour rejoindre son lieu de travail en un temps record, grillant quelques feux jugés inutiles, roulant au-dessus des limites de vitesse autorisées. Ses efforts furent réduits à néant lorsqu’elle salua son directeur en passant devant son bureau.

 — Vous êtes en retard, gronda-t-il pour la retenir. Et le travail que je vous ai demandé ?

 — Excusez-moi Arnaud. Cela ne se reproduira plus. J’ai connu une soirée difficile, je n’ai pas pu m’y atteler.

 — Décidément. On ne peut pas compter sur vous.

 La jeune femme baissa honteusement la tête. Derrière cette grimace sévère que l’homme affichait, elle savait qu’il se délectait. Elle aurait aimé savoir comment inverser les rôles, comment le remettre à sa place, mais elle n’en était pas capable.

 — Oh, et, Amélie ? Je vous prierai de vous remaquiller. On ne travaille pas dans une morgue ici.

 Le jeudi après-midi, Amélie s’éclipsa du bureau paysager pour rentrer chez elle et terminer sa journée en télé-travail. En temps normal, elle aurait dû formuler une demande spécifique au directeur mais, ce dernier étant en déplacement jusqu’au lendemain, la jeune femme en avait profité pour s’octroyer un léger moment de répit, qui ne dura guère plus de deux heures. En effet, un mail inopportun d’Arnaud lui demandant d’accueillir des prospects qu’il avait conviés à la dernière minute lui gâcha la journée. Après une longue hésitation, Amélie regagna son bureau après une demi-heure de trajet, à l’heure convenue pour effectuer la visite des locaux et présenter les différents services de l’entreprise aux futurs clients potentiels. Elle prit un retard conséquent qu’elle rattrapa sur ses heures de sommeil.

 A son arrivée le vendredi, Amélie s’étonna de voir son siège occupé par un nouveau collaborateur. Ses affaires avaient été déplacées dans un étroit bureau à l’écart du plateau, loin de son équipe et surtout dans une pièce dépourvue de fenêtres. Au moment de confronter Arnaud sur ce changement de place, celui-ci la rassura immédiatement en lui précisant qu’il ne s’agissait nullement d’une mise au placard, seulement d’un déplacement provisoire en vue de résoudre le manque de postes sur l’open space. Amélie savait que cette situation deviendrait pérenne. L’unique avantage était qu’elle n’aurait plus à passer devant le directeur pour rejoindre ou quitter son bureau. Elle serait davantage libre, du moins c’était ce qu’elle souhaitait croire.

 En fin de journée, Tom lui rendit visite dans ses nouveaux locaux à peine spacieux pour deux personnes. Il avait insisté pour que sa petite amie acceptât une soirée de repos et l’avait invitée au restaurant afin de lui changer les idées. Le policier souhaitait également avoir une discussion avec son supérieur, mais Amélie l’adjura d’abandonner cette idée grotesque. Comme si le couple venait d’invoquer un ancien démon en prononçant le nom interdit, Arnaud se présenta dans l’encadrure de la porte. Il déclara :

 — Amélie, j’aimerais m’entretenir avec vous. Dans mon bureau, lundi, dix heures, vous notez ?

 — Très bien. A lundi, Arnaud. Passez un bon week-end.

 — Une dernière chose. Les visites sont interdites. Je ne viens donc pas au travail avec mon chien, voyez-vous.

 Tom et Amélie se consultèrent brièvement du regard, silencieux, tandis que le directeur disparut aussi vite qu’il était venu. Le policier doutait de son interprétation, pourtant il avait la fâcheuse impression d’avoir été comparé à un vulgaire animal de compagnie.

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