III
Au cour de l’hiver dernier, peu avant Noël, la maladie de ma
mère à progressé de façon fulgurante.
Lorsqu’elle me fut présentée en avril, elle ne reconnaissait déjà
plus personne et ne parlait que rarement.
Son regard était en permanence flottant et vague et elle semblait
ne rien comprendre à son entourage.
Elle refusait tout contact physique avec qui que ce soit et se
mettait à trembler puis à hurler dès qu’un humain s’approchait
d’elle à moins d’une longueur de bras.
Seule Lucie, la sublime, la profonde Lucie, pouvait la toucher, la
laver, la peigner, l’habiller.
Je l’avais trouvé ravissante, dans sa robe d’été, un étrange
chapeau sur la tête, malgré le maquillage improbable qu’elle
exigeait de garder et dont elle s’affublait chaque matin, comme
une personne normale disait elle, se barbouillant les paupières
de rouge à lèvres et les pommettes de mascara.
Je leur rendais visite chez Lucie où elles avaient élu domicile, en
bord de mer, près de l’embouchure de la rivière.
Je m’asseyais à la table du salon. Elle, sur son fauteuil ne
semblait pas me voir. Le regard posé dans le flou, dans un rêve
interminable, demandant d’une voix affaiblie « où est partie ma
mère ? » ou déclamant de façon péremptoire en découpant les
syllabes : ‘je veux re-trou-ver-mes-amis’.
Au cours de mes séjours, Lucie a bien tenté, à plusieurs
reprises de me présenter à elle.
-Ton enfant Irène, ton enfant retrouvé, ton fils !
Annotations
Versions