Un silence à travers
Lien du défi : https://www.atelierdesauteurs.com/defis/defi/721573151/une-nouvelle-chaque-dimanche----uncd-223
____
Je ne sais pas vraiment quand la guerre a commencé.
Peut-être le jour où elle a cessé de me parler autrement qu’avec les yeux.
Depuis, c’est une bataille de silences et de gestes retenus. On vit ensemble comme deux étrangers polis. Chacun son lit, chacun son rythme. Les discussions se limitent à l’essentiel : les courses, les horaires, les enfants. Et même là, ça sonne creux, comme un message préenregistré.
Pas de cris. Pas d’éclats. 
Juste ce calme trop propre qui ronge les murs.
Hier, elle m’a tendu une tasse de thé sans un mot.
Ses mains tremblaient légèrement.
J’ai dit :  
— Merci.
Et c’est tout.
Pourtant, c’était un moment fragile, un fil tendu entre nous. Il y avait dans ses doigts quelque chose de tiède, comme une braise qui n’osait pas s’éteindre. Mais je n’ai pas su quoi faire. Ma gorge était pleine de choses que je ne savais plus dire.
Elle a refermé la porte de sa chambre doucement. Comme toujours.
Alors ce soir, je suis sorti marcher.
La ville est calme à cette heure. Les fenêtres s’éteignent une à une, et les gens s’enroulent dans leur fatigue. Moi, je cherche un endroit où respirer. Le trottoir est large, mais je me sens à l’étroit.
Je pense à elle. À ce qu’elle aimait avant. La lumière de fin d’après-midi sur les feuilles. Les poèmes discrets glissés dans les livres. Le goût du café froid en été.
Elle disait que la vraie force, c’était la douceur.
La capacité à rester ouvert dans un monde qui pousse à se fermer.
J’ai envie de frapper à la porte de sa chambre et de tout lui dire.
Lui dire que je suis désolé.
Que j’ai eu peur.
Que j’ai laissé l’habitude prendre le dessus.
Mais je suis là, dehors, à écrire dans ma tête une lettre que je ne lui enverrai peut-être jamais.
Je crois que l’amour, c’est ça : une écoute qu’on oublie d’entretenir, un feu qu’on laisse s’éteindre sans y penser.
Et puis un jour, il ne reste que la cendre d’une ouverture qu’on n’a pas su garder vivante.
Alors je rentre.
Je tourne la clé sans bruit.
Et je dépose cette lettre — ce texte — sur la table du salon.
Elle la lira, ou pas.
Mais ce soir, c’est tout ce que je sais faire.

Annotations