Matt

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Je ne sais pas dans quoi je me suis embarqué. La fille a fait une crise de panique quand j'ai voulu la déposer à l'hosto, c'est pourtant là qu'est sa place vu son état.

Elle n'a pas dit un mot, ne m'a pas regardé. Elle est terrifiée et je peux la comprendre.

Bordel!! Je garde en tête l'image de sa découverte. Son corps amaigri, strié de crasse et d'urine. Et cette odeur. Depuis combien temps elle était attachée? La chaîne courrait le long du mur et ses poignets étaient noués ensemble à un anneau. Elle pouvait juste se déplacer pour dormir sur ce matelas, enfin ce déchet qui doit être plein de puces. Le seau devait lui servir à... Beurk, c'est dégueulasse. Même un chien on ne le traite pas comme ça.

Ca me fou en rage. Je sais ce que c'est que de prendre des coups, mon daron était un connard qui avait la main leste, surtout après avoir picolé. Le départ de ma mère n'a rien arrangé, elle n'était plus là pour prendre les coups à ma place ni pour me protéger. Il l'a eu à l'usure. Un jour je suis rentré de l'école et elle était partie. Me laissant seul avec lui. Je ne l'ai jamais revu et je ne l'ai jamais cherché non plus.

Je continue de rouler en direction de chez moi, la fille toujours calée derrière mon siège. Elle ne pleure plus. Elle s'est peut-être endormie. J'attrape le plaid qui est resté côté passager et le bascule derrière moi. Elle doit avoir froid car j'ai laissé la fenêtre ouverte. L'odeur s'accroche et je vais devoir nettoyer ma caisse rapidement.

Je vais devoir nettoyer la fille aussi et je ne sais pas pourquoi mais je sens que ça ne va pas être une mince affaire.

Je ne sais pas pourquoi je fais ça mais je vais avoir besoin d'aide, je n'y arriverai pas tout seul. Je prends mon téléphone et appel la seule personne capable de m'aider pour cette mission. Lisa.

- Il est deux heures du matin... Dis-moi que c'est pour une urgence sinon je te tue.

- Tu n'es pas de garde ce soir?

- Non et je rêvais de cette nuit sans appel depuis une semaine. Je te déteste! Allez raconte-moi.

Lisa est mon amie d'enfance, elle habitait la maison à côté de la mienne. Nous avons été dans la même classe durant plusieurs années, ça a commencé à la maternelle. C'est elle qui me soignait après être passé sous les coups de mon père. Elle me cachait dans sa salle de bain et me badigeonnait de mercurochrome, comme sa mère le faisait avec elle quand elle trébuchait et s'égratignait les genoux. J'avais plus de traces rouges que quand j'arrivais, mais à neuf ans on fait comme on peut.

- Passe chez moi avant ton boulot demain... Et prends ta mallette de secours.

- Quoi!! T'es blessé? Qu'est-ce que tu as encore foutu Matt? La voilà bien réveillée maintenant.

- Je vais bien mais j'ai ramassé un oiseau blessé.

- Putain Matt, je ne comprends rien. Cette nana sait tout de moi, elle connait mon caractère et surtout, elle sait ce que je fais dans la vie. Elle n'a jamais approuvé, bien évidemment, mais elle reste toujours à mes côtés.

- Dors et viens avant ton boulot, je te paie le petit déjeuner. Je raccroche avant qu'elle ne pose trop de question et puis de toute façon, je viens d'arriver chez moi.

J'ai du mal à extirper la fille, elle est en boule bien calée entre mon siège et la banquette arrière. Une fois hors de la voiture, je la calle dans mes bras, légère comme une plume qui empeste le caniveau. Sa tête dans mon cou, je suis surpris de son souffle dans mon cou. Il m'envoie un doux frisson brûlant, pourtant, à cet instant, je ne ressens qu'un mal au cœur.

Une fois à l'intérieur de mon appart, j'hésite à la mettre dans mon lit pour qu'elle continue à dormir mais elle est tellement sale que je me résigne. Je la pose doucement sur le canapé et immédiatement elle se tourne pour cacher son visage dans les coussins. Je la couvre avec une couverture. Son plaid vire à la poubelle immédiatement. Cette odeur s'imprègne partout où elle passe. Ca me file la nausée.

Elle est fatiguée mais moi aussi, cependant le bain s'impose. Pourvu qu'elle se laisse faire, je n’ai pas envie de me battre contre elle ni de lui faire encore plus peur.

Je file dans ma salle de bain attenante à ma chambre et fait coulé l'eau chaude. Je verse du gel douche en grande quantité dans la baignoire et la mousse envahie rapidement l'espace.

Quand le bain est prêt, je m'approche de la fille pour la réveiller doucement.

J'écarte la mèche de cheveux qui cache son visage, elle tressaille à mon contact mais ses yeux restent clos.

- Réveille-toi. Lui dis-je doucement. Elle soupire, elle ne dort pas. Pourtant ses paupières restent fermées.

- Je t'ai fait couler un bain, il faut que tu te laves. Après tu mangeras ou dormiras, comme tu veux.

Elle se crispe d'avantage s'accrochant à la couverture. Tout son corps tremble. C'est au mot "bain" que ça a commencé. Mais qu'est-ce qu'on lui a fait?

Enfermée dans cette cave, enchaînée au mur, privée de toute lumière et d'hygiène. Cela ressemble sans aucun doute à de la torture. Mais depuis combien de temps elle subit ça. Malgré tout, je n'ai pas toute la nuit et vu son gabarit je peux facilement lui forcer la main. Je soupire parce que j'aurai préféré qu'elle se lève d'elle-même.

Je retire brusquement la couverture et la porte dans mes bras pour l'emmener dans la salle de bain, je ne suis pas un homme patient. Elle s'agite immédiatement, se débat, me repousse, me frappe, me griffe mais je resserre ma prise.

- Calme-toi tu veux. Je ne vais rien te faire mais je ne peux pas te laisser aussi sale, tu empestes.

Aucun son ne sort de sa bouche hormis des grognements de contestation et je ne sais toujours pas de quelle couleur sont ses yeux.

Au-dessus de la baignoire, son agitation s'intensifie et sans le vouloir, je lâche ses jambes. Ses pieds plongent dans l'eau chaude mais je perds l'équilibre parce qu'elle s'accroche à moi avec force. Je me retiens tant bien que mal contre le mur mais la vapeur rend la paroi glissante.

La fille se retrouve allongée dans la baignoire, mon bras dans son dos. Je suis juste au-dessus d'elle à moitié trempé et tout habillé.

Ses mains sont toujours agrippées à mon tee-shirt et pendant un bref instant ses yeux s'ancrent aux miens. Bordel!! C'est quoi cette couleur? Ses iris émeraudes parsemés de points jaunes me scrutent mais pas assez longtemps à mon goût. Elle tourne la tête, la baisse comme honteuse ou désolée, je ne saisis pas bien mais je reste sous le choc de l'intensité de son regard.

Cette chute a le mérite de la détendre et ses mains me lâchent. Je me redresse à moitié trempé mais au moins, elle est dans le bain.

- Lave-toi, je te prépare des affaires. Elle reste immobile, tête toujours baissée. L'image de son regard reste imprégnée dans ma mémoire. Ses yeux sont magnifiques, hypnotisant, bouleversants. J'ai toujours pensé que Lisa avait les plus beaux yeux, d'un bleu profond, ils sont magnifiques mais il faut avouer que ceux de la fille sont bien plus impressionnants.

Quand je reviens dans la salle de bain avec de quoi l'habiller, elle a mis de la mousse de partout, vraiment partout. Sur les murs, le sol mais ma présence la dérange, elle s'immobilise comme attendant la sentence. Je lui sors du tiroir une brosse à dent neuve, une brosse à cheveux aussi et repart.

Une demi-heure après j'entends la porte de ma chambre s'ouvrir. Vêtue de mes fringues beaucoup trop grandes pour elle, un bas de jogging dans lequel elle flotte et un tee-shirt qui lui tombe au niveau des cuisses. Elle s'approche doucement de moi sans jamais me regarder. Je suis assis à table devant nos assiettes remplie d'une omelette et de jambon. Arrivée à ma hauteur elle me tend la brosse à cheveux.

Si elle veut que je la coiffe, elle va être déçue. Les seuls cheveux dont je me suis occupé, ce sont ceux de Lisa quand je tirais dessus pour la faire enrager. J'avais 10 ans.

- Je ne fais pas ça mais ne t'inquiète pas, on s'occupera de tes cheveux plus tard. Assied-toi et mange.

Elle s'installe face à moi et après avoir goûté une première bouchée, elle englouti le reste avec frénésie. Elle mange avec ses doigts, enfourne rapidement la moitié de son assiette, elle avale sans mâcher.

- Calme-toi, tu vas te rendre malade.

Ca n'y coupe pas, elle se redresse vivement et cours à la salle de bain pour vomir. Vu sa maigreur, elle n'a pas été nourri correctement et son estomac ne l'a pas supporté.

Je la retrouve à genoux devant les toilettes, je relève ses cheveux, enfin, le nid de corneille qu'elle a sur la tête. Je l'aide à se relever, se rincer la bouche au lavabo. Ses jambes vacillent, elle est faible alors mon bras se glisse derrière ses genoux, l'autre toujours dans son dos, je la porte, elle se laisse faire, calant encore sa tête dans mon cou et elle me surprend à respirer fort comme pour me sentir. Je la pose doucement sur mon lit, la couvre et la regarde s'endormir.

Je suis épuisé, physiquement mais aussi émotionnellement. Cette rencontre me secoue plus qu'elle ne devrait. Elle me rappelle moi quand j'étais gosse, apeuré, tremblant dans l'attente des coups à venir. Sauf que moi j'avais une amie sur qui compter. Mais elle, qui est-elle?

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