Chapitre Premier, Partie V, ter

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 La table était immense, aussi large que longue en bois finement ornée. Il y avait à chaque angle les armoiries de la ville qui rappelait fièrement son origine, on avait peint sur son plateau une carte du monde connu. Que Ragne avait déjà ponctué des informations dont il disposait.

 L’Archipel à l’ouest trônait dans son isolationnisme, on y retrouvait quelques pièces pour représenter une armée peu nombreuse, mais brillamment équipé. Plus bas en dessous, la péninsule qui accueillait Ishar était surplombée par une statuette représentant le fanion de la secte, un zéro horizontal biffé d’un huit en son centre, le cercle de l’Ordre face à l’entropie du Chaos. Au nord de la péninsule, la Passe verrouillait l’accès au continent. Les montagnes du Romin n’autorisaient qu’une seule route, hérissée de fortins hérités de la première Secte. C’était, et ils le savaient, un mouroir, capable de juguler les plus grandes forces militaires. Il leur faudrait la franchir vite, pour ne pas voir leur croisade stoppée par une défense. C’était à Gürmz, au nord de la Passe qu’était leur prochain objectif. Si cette ville tombait, le continent suivrait.

 Les trois hommes se penchèrent ainsi en silence sur la carte, évaluant dans le silence les options dont il disposait. L’objectif de la Secte était la forteresse Kelde au Nord, c’était la barrière ultime, l’objectif à abattre pour empêcher l’hérésie de se créer. Il n’y avait qu’une chose que Kelde haïssait plus que les hommes et c’était l’irrationnel besoin spirituel. Dans un monde où des presque dieux avait foulé la terre, peu de gens avaient énoncé la nécessité de croire. Il fallait donc la prendre de vitesse, et la détruire avant qu’elle ne réagisse.

 Les Immortels pouvaient être tués, les fantômes également, dans la besace de Fredel, on retrouvait des rituels anciens pour dominer les ombres, chasser l’esprit et détruire le corps. Kelde disparaitrait sous les assauts de la Secte. La plus vieille ennemie de Ragne serait ainsi détruite. Quelques part, Fredel parfois doutais que Ragne n’utilise pas la Secte à son avantage, pour venger une rancœur ancienne. Mais au final, ça n’avait que peu d’importance, l’histoire ne retenait pas les raisons des alliances, seulement la victoire. Et la Secte pourrait enfin régner sur le monde.

— Les longues-vies vont partir au matin pour trouver ce que tu as demandé Marcheur, dit enfin Karoozis pour rompre le silence.

— Non, répondit Ragne, laudatif.

— Tu t’es enfin décidé à mettre ces sauvages au service de la Secte, triompha Fredel.

— Non plus. J’ai reçu… de nouvelles informations par le réseau de Leudel, continua Ragne. Ta présence va être requise à la Passe.

— C’est en rapport avec l’arme dont vous ne voulez pas me parler ? Eructa Fredel.

— Les informations sont une arme à part entière pontife, il faut savoir les distiller avec parcimonie.

— Ou du moins, les donner à quelqu’un qui sait à quoi sert une dague, railla Karoozis.

Fredel lança un regard assassin au vieil ami du Marcheur, puis reporta son attention sur les cartes.

— On va avoir un problème sur la Passe, repris Ragne. Nous étions attendus. Même si les informations dont je dispose manquent de clarté, Kelde connait déjà notre action.

— La fourmilière ? Interrogea Karoozis.

— Il n’était pas là en personne, mais ses agents étaient présents.

— Vous parlez des chimères de Kelde, dédaigna Fredel. C’est votre pute Leudel qui vous en a informé !

— Tu es jaloux à l’idée qu’on l’enfile le prêtre ? J’ai deux trois soldats qui ont cette appétence avec les hommes, je peux t’arranger ça, railla le géant noir.

— Hérésie ! Blasphème ! C’est une traitresse, elle s’est retournée contre ses anciens maitres ! Comment peut-on lui faire confiance ?

— D’une, Ragne lui fait confiance, et en général, on réfléchit à plusieurs fois avant de trahir quelqu’un qui peut scinder la terre en deux et qui est immortel. Et de deux, la dernière fois que j’ai vérifié, les infos étaient bonnes et malgré ta gentillesse religieuse, elle ne t’avait toujours pas décapité, répondit lentement Karoozis.

— Assez, trancha le Marcheur ! Nous n’avons pas le temps pour vos chamailleries. La Passe va être impénétrable dès la nuit. Et une vieille amie s’y trouvera.

— Kelde s’y déplace en personne ? Blêmit le longue-vie.

— Nous la tuerons dans fléchir une seule seconde, sourit Fredel à la même seconde.

— Non, ce n’est pas Kelde.

 Le silence tomba comme un couperet à cette déclaration. Karoozis comprenant lentement les conséquences d’une telle affirmation, le plan allait se précipiter et leur calendrier était donc mauvais. Si Ragne avait cette information, alors la date approchait très vite. Le colosse lança un regard attristé vers son ami. Voilà des années qu’ils foulaient la terre ensemble, et le jour qui venait annonçait la fin de leur voyage. Au-delà de son cocon de rire, Karoozis sentit une boule d’amour sincère poindre dans sa poitrine. Ragne avait vieilli au cours de la dernière décennie. Il mobilisait aujourd’hui ses dernières forces pour finir ce qu’il avait commencé. Et le marcheur transpirait de peur à l’idée d’affronter ce futur.

 Fredel lui piaffait des phrases incompréhensibles de son interlocuteur, le sentant, Karoozis estoqua le silence pour prendre les devants.

— Je m’en occuperais.

— C’est pour ça que j’avais requis ta présence à la Passe. Elle s’appelle Olirne. Elle essaiera de te tuer.

— Elle le tente toutes, désamorça le colosse.

— Mais elle tu souhaiteras aussi de la tuer… Mon vieil ami, je suis désolé, demain, tu n’auras plus de descendance.

 Karoozis se figea à l’annonce. Il déglutit, puis, hochant la tête sèchement, tourna les talons. La journée avait été longue, trop de sang avait coulé, il devait maintenant accepter l’idée que ça continuerait le lendemain et que loin de lui, son dernier enfant mourrait, tué par une autre.

 Ragne tenta d’esquisser un geste pour soulager l’âme de son ami, mais ne l’acheva pas. Parfois, il fallait de la solitude au cœur pour supporter sa peine.

 Le Marcheur repencha alors son attention sur les cartes et continua d’établir avec Fredel une stratégie d’attaque. La fatigue était bien trop ancrée dans son corps pour qu’il puisse à nouveau séduire le sommeil.

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