Chapitre Second, Partir II, Bis

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Leudel sourit, manifestement touché par l’idée. Empêtré dans ses idées, Elwant repris.

— Ta conception est brillante. Les choses sont et ne sont pas en même temps. C’est comme ça que les scientifiques ont toujours définit le futur, un ensemble de possibilité, une ramification qui ne se décide qu’à l’instant même de la décision, il n’est pas avant d’être, mais aurait pu être absolument tout. J’avais toujours trouvé la conception légère, mais si nous considérons qu’elle laisse des stigmates dans le passé et le présent, ça change absolument tout.

— Je ne te suis pas.

Elwant désigna le dernier pigeon qui n’avait pas été délivré de son message avant de reprendre.

— Ce message, ça pourrait être n’importe quoi, il est déjà écrit, mais là, dans la latence où tu ne l’as pas lu, pour toi, c’est un univers entier, il peut tant être une liste de nom que l’annonce du suicide de Kelde qu’un pigeon égaré qui t’annonce une invasion de locustes dans le méridional.

Leudel sourit et, saisissant sans manière le pigeon pour lui ôter son message le lu, son air se rembrunit assez rapidement.

— Pas de locuste, une liste de nom encore.

— Je fais un assez mauvais parieur, déplora Elwant.

— Effectivement.

 Pendant un instant, ils restèrent ainsi l’un et l’autre à observer le silence tandis qu’elle retranscrivait les derniers noms sur son carnet. Les pigeons s’envolèrent rapidement, un instant, Elwant se demanda comme ils avaient trouvé Leudel. En effet, si ces volatiles étaient utilisés pour transmettre des messages c’est qu’ils rentraient toujours là où ils avaient été élevés. C’était l’instinct du retour qui guidait leur route. Et l’idée de pouvoir trouver un individu perdu en pleine mer semblait inconcevable. Puis, considérant que ça demeurerait probablement un mystère emprunt des secrets de la maitresse-espionne, Elwant laissa l’idée aller, il ne pouvait pas tout savoir. C’était même sa première certitude, son état des connaissances, bien qu’avancé pour le commun des mortels, était minimal, il ne pouvait qu’approcher les choses par des questions incessantes et tenter de comprendre ce qui pouvait l’être. Le secret de l’histoire ne se trouvait probablement pas dans le vol incongru de pigeons envoyés pour dresser une liste de morts.

— Vous avez un avis assez intéressant sur un point, dit Leudel en interrompant le flot des pensées de l’université.

— Plait-il, peina à émergea Elwant.

— Les mots sont une frontière qui t’es hermétique. C’est ce que tu as dit. C’est une idée étrange, surtout pour un homme de lettre tel que vous.

 Elwant sourit, il aimait avoir cette discussion, il aimait raconter ce qu’il avait compris au fil de ces lectures, méditations et expériences. Cela lui donnait l’impression de ne pas avoir travaillé pour rien, sinon une élite pompeuse qui liraient ces pensées longtemps après sa mort, espérant y comprendre une réponse à un présent trop oppressant.

— Les mots ne sont pas adaptés à l’homme.

— C’est vrai qu’ils le sont beaucoup plus aux cigognes, elles ont un sens de la conversation qui m’a toujours estomaquée, railla Leudel.

— Bon, d’accord, je me suis mal exprimé, concéda Elwant. Les mots ne sont pas adaptés pour la pensée de l’homme.

— Je ne suis pas sûre de saisir la nuance.

— Tu me demandais tout à l’heure le sens de la vie, transpose ta question aux mots. Quel est le sens du langage ?

— Communiquer ? Transmettre des informations qui ne peuvent exister en dehors de leur verbalisation ?

— Exactement. Le langage existe pour dire ce qu’on ne peut pas montrer. Mais sa conception était beaucoup plus pragmatique que ça. L’idée qu’on va modeler par nos mots, c’est initialement une pensée grégaire, c’est préciser un danger ou un besoin, c’est énoncer les termes d’un contrat et raconter ce qu’on vécut. Le langage existe pour que l’individu puisse être comme une entité indépendante au milieu du groupe. Les limites de notre langage définissent les limites de notre monde.

— Jusque-là, je te suis, malgré le langage un peu jargonneux

— Si je tente de t’expliquer l’origine du temps, les pensées d’un hypothétique Dieu où même l’inexorable complexité de la nature humaine et de son esprit. Je fais face à des concepts qui échappent à la pensée de la majorité de la population et c‘est cette majorité qui a créé le langage. Une langue c’est le legs d’une société à son époque, c’est une création commune et mouvante, un monument intangible fait d’une puissance rare. On sait dire comment on aime et pourquoi, on sait dire comment on tue et pourquoi, mais lorsqu’il s’agit de définir ce qu’on vient de découvrir, l’esprit peine à utiliser des mots qui n’ont pas l’envie d’être utilisé à cette fin. La science est un art de lettre.

— Et qui sait manier le langage gagne la bataille des idées, compléta Leudel. C’est au final assez simple. Un simple jeu d’échec à l’échelle universitaire, je suppose que vous feriez un bon espion. Savoir faire des mots son allié est une qualité primordiale pour manier le secret.

— Si on ne tient pas compte de ma haine de la violence, j’en suis plus ou moins convaincu également, rit Elwant.

 Ils se sourirent l’un à l’autre, puis Leudel se leva, rangeant les notes dans une besace solidement harnachée au mat avant de descendre dans la cabine sortir de quoi manger. Quelques biscuits trop secs et une eau plus si fraiche. L’euphorie d’Elwant qui était retombé déjà fit un dernier recul. Et l’universitaire comprit que même en pleine mer, même en compagnie d’un autre esprit aussi brillant que le sien, certains conforts pouvaient manquer et faire rêver à un retour plus rapide à la civilisation.

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