Jour de mon éveil 22/04/405 à 04h05
Tout est silencieux dans cette obscurité intangible dénuée d’odeur et de goût, mais sans émotions ni mémoire épisodique, ce n’est pas perturbant, surtout avec des besoins physiologiques inexistants.
Cependant, je sais qu'on est le 22/04/420 et qu'il est 04h05 du matin. Je me trouve dans le village de Hanakaze, plus précisément dans la chambre de Mizuki qui est à l'étage, dans la maison des Ashura.
Je sais également que mon ERA est au maximum, soit 999/999. Je ne me souviens pas de mon identité, mais je sais que si mon énergie restante activable tombe à zéro, je meurs.
Une pensée traverse mon esprit, mais ce n’est pas la mienne. Alors qui ? Mizuki, ce nom m’apparaît.
(J’adore écouter le bourdonnement mélodieux des firins et le doux clapotis des aquinas.)
J’entends les mêmes sons depuis son ouïe. Il y a aussi le bruissement des feuilles balayées par le vent qui cache sa douce respiration apaisée. Aucun doute possible, je suis un observateur. Ses pensées affluent encore dans mon esprit en supplantant les miennes.
(Yumi avait raison, car je sens toujours l’odeur de la lavande sur mes draps !)
Je sens les mêmes odeurs qu’elle, mais aussi un léger parfum musqué. Des parfums floraux plus lointains sont variés. Encore une fois, ses pensées calmes et apaisées m’envahissent tel de l’eau qui remplit un verre.
(Je me sens tellement bien ce matin ! J’en oublierais presque de me lever.)
Mizuki commence doucement à bouger dans son lit, je ressens la douceur des draps en coton sur sa peau, la tendresse de l’oreiller en plume sous sa tête, la chaleur de sa couverture en laine sur son corps dénudé, le moelleux du matelas qui épouse ses formes, puis la caresse de la brise matinale. Ses pensées prennent encore le pas sur les miennes, j’ignorais qu’un observateur avait un tel lien.
(J’ai hâte de pouvoir manger de la brioche en buvant un grand verre de jus d’orange.)
Elle est gourmande ? Le goût de sa salive s’accumule dans sa bouche, un filet coule sur sa douce joue. Ses paupières s’ouvrent lentement, sans cligner, et j’aperçois depuis son regard les poutres en chêne du plafond.
(Michel dort sûrement, mais Papa doit déjà être réveillé.)
Qui est le Chishiki qui m’a conçu ? Pourquoi est-ce que je l’ignore ? Mizuki se redresse doucement, tandis que sa couverture glisse sur ses cuisses dans un mouvement d’inertie, mais elle ne la retient pas. Le grand miroir face à elle reflète son image, un beau regard émeraude, des traits juvéniles, un visage ovale, une peau éclatante. De nouveau, ses pensées prennent le pas sur les miennes.
(On dirait que j’ai encore eu une pensée gourmande ce matin.)
Elle rit quelques secondes, puis d’un geste rapide du revers de la main, essuie délicatement ses fines lèvres, pendant que je m’interroge un instant sur l’absence de mon reflet. Il est vrai que les observateurs n’ont pas d’enveloppe. De nouveau, les pensées de Mizuki prennent le pas sur les miennes, pendant que ses doigts fins glissent doucement dans sa courte chevelure d’ébène et commencent à essayer de retirer les épis.
(Mes cheveux repoussent déjà alors que je suis passée chez Annie le mois dernier.)
Malgré son ton grommelant, son sourire accentue son regard en amande et sa petite bouche ronde. Rapidement, elle fixe sa poitrine dans le miroir, puis pousse un soupir avant de penser avec calme.
(Je suis contente que mes seins aient cessé de grossir, mais mes tétons pointent souvent le matin.)
Cela est dû à une réaction physique du corps qui provient d’un courant d’air. Soudain, son regard bascule sur la droite, ce qui me permet d’observer de nouvelles choses. Au mur, un calendrier contenant treize mois de vingt-huit jours, sauf pour le dernier qui en a un de plus. La petite table est couverte de feuilles et d’un encrier. Enfin, derrière la fenêtre entrouverte, de minuscules insectes bioluminescents virevoltent en jouant une symphonie musicale. Les firins ! Les pensées de Mizuki sont joyeuses.
(Les firins oscillent du bleu au vert, c’est tellement beau.)
Elle continue après une légère pause.
(La couleur écarlate de la reine est vraiment unique.)
D’un geste vif, Mizuki repousse sa literie pour s’asseoir au bord du lit, puis elle ouvre rapidement le tiroir de sa table de nuit et attrape le briquet.
(Un seul objet, c’est facile de le trouver.)
D’un geste précis, mais rapide, elle allume la bougie présente sur sa table de nuit. Une simple réflexion me permet de savoir que ce n’est pas le calendrier grégorien qui est utilisé ici. Les pensées de Mizuki affluent encore.
(J’adore cette odeur citronnée, Papa m’a fait un super cadeau !)
Mizuki remet le briquet dans le tiroir, puis étire ses bras vers le plafond avec un grand sourire. Sa chambre est à la fois rustique, minimaliste et épurée. Les pensées de Mizuki continuent d’envahir mon esprit.
(Il faut que je demande à James s’il peut commander d’autres bougies.)
Elle pense encore.
(Oh, et aussi de nouvelles culottes ! J’en ai prêté une à Tatsuya hier.)
Mes réflexions me poussent à me dire qu’on est sur Terre, l’année, quatre cent vingt ? Cela explique le calendrier. Le tapis en laine réchauffe ses pieds froids, tandis qu’elle se lève d’une petite impulsion. Mizuki avance de trois petits pas, puis se tourne sur sa droite. Face à son miroir, elle glisse un doigt sous l’élastique de sa culotte blanche pour l’ajuster, puis étire ses bras vers le plafond, paumes ouvertes. De nouveau, ses pensées prennent le pas sur les miennes.
(J’aime bien la posture du tadasana !)
Je ressens les muscles de son dos et de ses épaules qui s’étirent doucement. Elle abaisse son torse sans plier les genoux, puis pose fermement ses paumes au sol, alors que ses pensées affluent.
(L’uttanasana est cool, je peux voir entre mes jambes !)
Cette fois, ce sont les muscles inférieurs des cuisses qui s’étirent.
(Je me rappelle quand j’étais petite !)
Mizuki rit en maintenant sa position.
(C’était difficile pour moi, mais heureusement Papa m’a tout appris.)
Un observateur doit observer sans réfléchir, depuis les sens natifs d'une cible donnée. Cependant, il n'est pas sensé avoir une conscience. Même mes souvenirs globaux sont troubles.
(Il faut que je pense à finir ma chanson, je n'ai pas eu le temps hier.)
Alors que Mizuki est parfaitement détendue, la sonnerie d’un réveil mécanique retentit depuis une pièce qui se trouve derrière le mur attenant à la tête de son lit.
Soudain, je ressens chez elle un agacement rapide, mais elle reste en uttanasana. Sa voix douce, mais vigoureuse, s’élève dans sa chambre et emplit l’air.
« Michel ! Éteins ce stupide engin ! »
Ses pensées sont claires, mais elle essaye de se calmer malgré tout.
(Je déteste ce bruit strident ! Inspire ! Expire.)
Soudain une voix fatiguée, mais puissante, est audible de l’autre côté du mur. Mizuki reste attentive, mais concentrée.
« Désolé, Mizuki ! Laisse-moi une minute. »
C’est sûrement Michel, je vais essayer de ne pas analyser pendant un court instant, vu qu’ils vont certainement discuter.
« Tu sais, Michel, que je peux venir te réveiller le matin si tu veux ? »
« C’est gentil, Mizuki, mais apprendre à me lever seul fait partie de mes responsabilités. »
« Très bien, je n’insiste pas. »
Mizuki pense de nouveau.
(Michel est encore tout groggy. En plus, il est parfois trop obstiné, mais c’est aussi une qualité.)
Sans que je le réalise, les sens de Mizuki s’effacent. Mon esprit glisse involontairement vers ceux de Michel alors que le temps s’est écoulé naturellement de quelques minutes. Me voici dans un nouveau lieu, qui est très différent, mais semblable.
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