Mon environnement change involontairement, et tandis que les sens de Mizuki s’effacent, ils laissent place à ceux de Kenji, qui observe Samuel. Quelques minutes se sont écoulées encore une fois. Je suis dans la boulangerie de Hanakaze, située au rez-de-chaussée de la maison des Ariin. Mon ERA a encore perdu un point. Samuel plaque ses grosses mains sur le comptoir en chêne et dit fermement, mais avec le sourire :

« Qu’est-ce que je te sers, Kenji, un pain doré, une onctueuse pâtisserie ? »

« Je vais prendre une brioche. Tu connais la gourmandise de ma fille. »

Samuel sourit, puis retire ses mains du comptoir. Il attrape une grosse brioche dorée dans l’étagère derrière lui, tandis que le bois crépite dans le four en brique où le pain cuit lentement.

« C’est sûr qu’avec Mizuki, ma brioche ne va pas faire long feu. »

« Au fait, Samuel. Cette coupe au bol ressort parfaitement avec tes cheveux frisés. »

« Merci, c’est sympa ! C'est Éline qui m'a fait cette coupe, j’ai hâte de pouvoir la gâter ce soir. »

Samuel place la brioche dans un sac en toile, puis la pose sur le comptoir. Kenji sort dix pièces de bronze d’une petite bourse et les dépose dans la main de Samuel. Sans recompter, il les range dans une caisse en bois. Je sens via l’odorat de Kenji l’odeur discrète de la pâte qui fermente, ainsi que celles des pâtisseries sucrées, des viennoiseries caramélisées, du pain frais bien doré.

« Je peux savoir pourquoi tu me fixes comme ça, Samuel ? »

« Tes cheveux sont de plus en plus grisonnants ! Tu sais qu’Annie a des produits pour ça ? »

« Je sais, mais ça ne me dérange pas de vieillir. »

« Tant mieux, c’est bien de savoir s’accepter comme on est. »

Samuel réajuste le filet qui couvre ses cheveux, puis secoue son tablier blanc couvert de farine. Kenji fixe son regard noiraud qui trahit un doute, puis s'exprime avec calme :

« Quelque chose a l’air de te perturber, Samuel ? »

« En fait, je me demande juste si mon enfant sera comme sa mère. »

« C’est vrai qu’Éline est l’opposée de Mizuki sur la nourriture. »

« Exact ! Je ne veux pas la forcer, mais cela m’a toujours inquiété. »

« Tu devrais peut-être essayer un autre type de pâtisserie ! »

« C’est une bonne idée ! Je vais y réfléchir. »

« Parfait, c’est le bon état d’esprit ! Je sais que tu es un travailleur acharné. »

« Je commencerai dès ce soir après avoir fait le ménage. Je sais qu’Éline aime ce qui est pimenté. »

Sonia entre soudainement, puis s’approche du comptoir avant de claquer ses mains dessus. Samuel laisse ses pensées s’exprimer alors qu’elle le fixe, Kenji observe calmement les choses.

(Je sens qu’elle va dévaliser les pâtisseries.)

« Qu’est-ce que je te sers, Sonia ? »

« Des gâteaux secs aux fruits ! J’en veux un plein sac… Non, deux ! »

« Je vais rentrer, Samuel ! Ne mange pas trop, Sonia, on a un long trajet tout à l’heure. »

« D’accord ! Passe une bonne journée, Kenji. »

« T’inquiète pas, Kenji ! Je fais juste le plein pour la route et mon petit déjeuner ! »

Kenji quitte la boulangerie, tandis que, depuis le regard fatigué de Shana, un feu de camp m’apparaît.