05h02
Kuroki transpire à grosses gouttes dans une chaleur étouffante, tandis que le feu du bas fourneau crépite vivement. Déjà presque une heure écoulée depuis mon éveil. La forge est au rez-de-chaussée de la maison des Rénard. Une question me perturbe : comment est-ce que je sais tout ça ?
« Cette lame est vraiment usée et il sera difficile de la restaurer bien plus longtemps. »
Kuroki, bien que seul, parle bruyamment avec sa voix graveleuse. Il enfile un large tablier en cuir, puis des gants épais et plonge le métal dans le bas fourneau sans hésitation. Après quelques minutes, il le retire vivement, puis commence à chanter d’un ton rauque tout en martelant le fer de l’épée avec son marteau.
♪La pierre, c’est la base. Ensuite vient le fer. Avec acharnement, il faut s’entraîner. Le feu ne se maîtrise pas, tu dois le dompter ! Ce n’est pas un ami, ne lui fais pas confiance. Forger, c’est la vie, tu crées un miracle, mais ne te réjouis pas, car apprendre, il te faudra. N’est pas forgeron qui veut, ce n’est pas une passion, c’est un dévouement. Oublie tout le reste, seule la forge compte, et si tu manques d’attention, tu en subiras, les conséquences, impardonnables !♪
Alors qu’il continue de chanter, la résonance métallique emplit les lieux, puis il effectue une trempe dans l’huile. Un sifflement aigu envahit mes perceptions via son ouïe, tandis qu'un brouillard de fumée envahit la forge.
« Bien ! La lame reste usée et je doute qu’elle tienne plus d’un mois, mais c’est déjà mieux. »
Kuroki prend une pierre blanche d’affûtage, puis commence à effiler la lame. Les minutes s'écoulent encore avant qu’il ne termine sa tâche. Il observe son visage buriné, son regard bleu céruléen inébranlable et ses cheveux grisonnants dans le reflet de cette dernière.
« Le tranchant reste bon ! Maintenant, je peux continuer à travailler sur mes autres commandes. »
Les sens de Linda guident mes perceptions, au moment où ceux de Kuroki s’effacent.
*** *** ***
Je suis de nouveau à la bibliothèque, alors que des bruits de pas rapides résonnent dans l’escalier. Noémie descend en trombe les marches sous le regard de Linda qui est assise à son bureau. Elle se précipite vers la porte d’entrée sans même se retourner.
« Noémie ! »
Les pensées de Linda sont contrariées.
(Elle est vraiment intenable le matin !)
La main de Noémie serre toujours la poignée, mais elle est figée par la voix ferme de Linda qui pense encore.
(Je déteste cette mauvaise habitude qu’elle a prise.)
« Prends le temps de t’habiller correctement avant de sortir ! »
Noémie observe ses vêtements un instant, puis, d’un simple geste, reboutonne sa chemise entrouverte. Elle réajuste ensuite son short, avant de le boutonner. Enfin, elle se baisse pour lacer ses chaussures.
« Imagine ce que dirait, Michel, s’il t’avait vue ainsi ! »
« Michel ne sort jamais aussi tôt ! Je dois filer, sinon, Henri va encore me réprimander ! »
« Attends ! Tes cheveux sont encore en bataille ! »
Linda fixe les cheveux de Noémie, qui tombent sur ses épaules de façon éparse puis se met à réfléchir, tandis que ses pensées envahissent les miennes.
« Pourquoi tu me regardes comme ça ? »
Alors que Noémie pose sa question, les pensées de Linda se manifestent.
(On dirait le plumage d’un corbeau. Dire qu'on a cette même couleur noir de cheveux.)
« Pour rien ! Tu t’es encore couchée tard ? »
Les pensées de Linda sont encore présentes.
(Même nos iris ont cette couleur noisette identique.)
« Pas tant que ça ! »
Noémie est perturbée, sa façon de frotter son bras est révélatrice. Ses pensées sont hésitantes.
(Linda est bizarre ce matin, j’espère qu’elle n’est… non, non, non, impossible.)
« Au vu des cernes sous tes yeux, je dirais au moins vers une heure du matin. »
« C’est bon, je ne suis pas un bébé, Linda ! Je te rappelle que c’est moi, la grande sœur ici ! »
« Je suis au courant que tu as deux ans de plus, Noémie, mais je garde le droit de te réprimander ! »
Le regard de Noémie est un peu fuyant, alors que Linda la fixe toujours.
« Tu as pensé à mettre la crème qu’Annie t’a donnée pour tes taches de rousseur ? »
« Oui ! Enfin… pas ce matin, mais je la mettrai tout à l’heure et il faut vraiment que j’y aille ! »
Noémie ouvre rapidement la porte et la franchit d’un pas vif, tandis que Linda se lève en criant.
« Bonne journée ! »
Alors que ses pensées sont de nouveau présentes, elle referme la porte de la bibliothèque.
(Qu’est-ce qui lui a pris de détourner le regard ? C’est bizarre.)
Linda sourit en continuant de penser.
(Je me rappelle qu’avant elle était matinale, mais je ne peux pas lui en vouloir.)
Mes perceptions reviennent au sens de Mizuki, alors que ceux de Linda s’effacent.
*** *** ***
Mizuki effectue des pompes plongeantes avec efficacité et facilité. Toujours dans sa chambre, elle est calme et souriante. Le temps progresse, mon ERA baisse. C’est assez routinier de faire cette analyse.
(Ok, j’ai passé la centaine ! Mais je ne transpire toujours pas ?)
Mizuki, se relève pendant cette pensée, puis commence à effectuer des squats rapides, mais précis. Tandis que la voix de Michel devient audible depuis la chambre voisine.
« Mizuki ! Je ne vais pas tarder à descendre, tu devrais commencer à t’habiller aussi ! »
« Je veux d’abord terminer mes abdominaux et mes squats. »
« D’accord, mais ne viens pas te plaindre si je pars avant toi et que je mange trop de brioche. »
« On se retrouve à la croisée des chemins de toute façon ! Et laisse-moi ma part ! »
Les sens de Mizuki s’effacent au profit de ceux de Michel.
*** *** ***
Il est devant sa commode et baisse son caleçon. Il est, comment dire… Inutile de mentionner cette partie de son corps. Il en enfile un propre, avant de mettre un pantalon, puis une chemise. Enfin, il se tourne vers le portrait d'Émilie et murmure d’un ton triste et joyeux.
{Veille sur nous depuis l’endroit où tu es, maman, je te rendrai fière.}
Les changements s’enchaînent… Cette fois, je perçois les sens de Yumi, mais plus ceux de Michel.
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