06h50

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Les yeux de Mizuki sont clos alors que je ressens ce même bois lisse sous ses bras, c’est donc bien sa chambre. Ses pensées, semblent encore plus présentes dans mon esprit que d’habitude. J’ai du mal à les différencier. Elles sont comme fusionnées avec le mien. (Une goutte d’eau tombe, mais avant de l’apercevoir, elle a disparu pour former une flaque.) Le vent fait bouger ses cheveux, tandis que son cœur bat lentement. (Elle finit par disparaître dans la terre, alors qu’une seconde s’écoule pour devenir une minute.) En ce moment étrange, ma connexion avec elle est plus forte que jamais. (Elle devient une heure, tandis que ce qui est dissocié se rassemble, car le monde est interconnecté.) Sa relaxation est si grande qu’elle donne l’impression que le monde, c’est elle, et rien d’autre. (Je fais partie de cet ensemble, mais je n’en suis qu’une minuscule composante et pourtant ma seule présence influence tout ce qui m’entoure. Suis-je unique ou indissociable de toute existence ?) Une impression étrange me parcourt, comme si Mizuki et moi n’étions qu’un. (Tout est relatif et rien n’est une certitude, car je suis, mais pour autant je ne suis pas.) La façon dont Mizuki perçoit le monde ne semble pas humaine, j’ai déjà eu cette sensation. (Unique, mais dissocié. Connecté, mais isolé. Un, mais tout, qui suis-je vraiment ? Moi, toi, ou celle qui est enfouie sans rien dire.)

Cela n’aura duré qu’un court instant, car mes sens sont désormais ceux de Kenji.

*** *** ***

Il est assis derrière son bureau, dans sa chambre au rez-de-chaussée, et verse quelques larmes avant de sourire tout en lisant une vieille lettre jaunie à voix basse.

{Mon cœur, sache que je comprends que tu aies accepté cette mission pour le bien d’Hanakaze. Je protégerai notre enfant qui va bientôt naître, mais si je ne survis pas à l’accouchement, je veux que tu l’élèves pour qu’il puisse me succéder afin de protéger ce village que j’aime tant. Je sais que c’est difficile pour toi d’abandonner ton rêve d’aventurier ; cependant, je suis heureuse que tu sois prêt à le faire pour moi. Quand tu reviendras, après ta quête, reste avec moi pour toujours, et je serai ainsi une femme comblée. Signée Émilie, celle qui t’aime.}

« Pour toujours mon amour, je t’aime, et ceci ne changera jamais, je le jure sur mon cœur. »

Kenji replie délicatement la lettre jaunie avant de la ranger soigneusement dans un tiroir. Et ses pensées arrivent.

(Ça fait déjà quinze ans, l’anniversaire de Michel me le rappelle chaque année.)

Je me demande ce qui m'est arrivé avec Mizuki, c'était presque comme si j'étais devenue elle. J'avoue que ceci m'effraie, mais pourtant je n'ai pas d'émotion. C'est tellement contradictoire. Le goût du café à la cannelle m’indique que les sens de Linda me guident de nouveau.

*** *** ***

C'est à la fois agréable et désagréable d’autant changer de perspective, j'arrive à me perdre parfois. Linda est toujours assise à son bureau dans la bibliothèque. Elle relit ses notes pendant qu’une légère brise est audible depuis son ouïe.

/Vulturis te va bien mieux, mais les savants préfèrent vulture. Ton but dans la vie, est la mort, car ainsi tu te nourris en régulant les maladies. Derrière toi des cadavres, il ne reste rien, mais il est temps de te décrire./

Le vulture ou vautour est intéressant, le laboratoire en contenait pour étude.

/Tu es un volatile charognard qui mesure trente centimètres, avec un plumage safran sur le torse, mais qui devient noiraud sur ta queue et tes ailes alors que tes yeux aux pupilles rondes, sont de couleur vermillon. Ton bec crochu avec un tube interne aspire les liquides. Tu as de grandes pattes robustes aux serres acérées, avec lesquelles tu découpes les os en petits morceaux. Enfin, une crête cramoisie orne ta tête./

Cela ne ressemble pas au vautour ? Une créature de cette époque, alors.

/Pour en dire un peu plus sur toi, c’est dans les montagnes, ou les déserts que tu vis. En parfaite coopération avec les tiens, tu ne voles jamais seul. J’ajouterai que tu es bisexué et que chaque année, tu ponds tes œufs dans les flancs des falaises où tu nourris tes petits, afin qu’ils deviennent autonomes pour quinze ans de vie. Par des cris stridents, tu signales ton périmètre, mais rarement tu n’en émets aucun, parce que tu acceptes qu’on y entre sans souci./

D’où vient cette différence entre les deux espèces ? La génétique, l’évolution naturelle. Mirina observait les vautours de temps à autre, mais ce n’étaient pas eux qui l’intéressaient, pas directement. Linda se lève brusquement alors que ses pensées vives coupent mes réflexions d’un seul coup.

(Mince, il faut que j’aille faire pipi ! Pourquoi, c’est toujours pareil quand je bois du café !)

Elle monte rapidement l’escalier avec une urgence que je ressens. C’est vraiment limite, plus vite.

(Depuis que Michel m’y a fait goûter, je suis vraiment accro. Surtout avec de la cannelle.)

Je me souviens ! C’est Mirina qui prononçait le nom de Noran. Voilà pourquoi il m’est si familier.

(Pourquoi a-t-il fallu que les toilettes soient à l’étage ! Pratique le soir, mais pénible en journée.)

Linda franchit la porte, puis baisse son short et sa culotte. Elle pose ses fesses rapidement sur la chaise des toilettes rustiques.

(Ah ! Juste à temps…)

Linda se soulage calmement, un tuyau inoxydable descend visiblement vers le bas. Mes souvenirs sont fragmentés, mais ils reviennent doucement, on dirait.

(Ce n’est pas vrai !)

Linda regarde vers la vasque avec contrariété.

(Noémie n’a pas remis de serviette ! Bon, je n’ai pas le choix !)

Différencier les pensées devient plus simple avec l’habitude.

Les sens de Linda s’effacent, ceux de Kuroki prennent le relais.

*** *** ***

Il est accoudé au comptoir de la forge et observe Michel qui le regarde aussi. Il est tout juste sept heures du matin, mon ERA restant est à 912.

« J’ai affûté la lame en la polissant et j’ai remplacé la poignée qui était usée. »

« Merci, Kuroki ! J’aime beaucoup cette arme, même si Papa m’a dit d’en changer. »

Kuroki remet son épée à Michel, qui l’attache à sa ceinture en laissant une pensée s’égarer.

(Kuroki est peu musclé, mais sa force est bien réelle.)

« Je sais, Michel. Après tout, Kenji, te l’avait offerte pour tes cinq ans. »

« C’est vrai que ça date. »

« Au fait, désolé d’avoir pris du retard pour ton cadeau d’anniversaire. »

« Ne t’en fais pas, je comprends que tes commandes passent en priorité. »

« Je vais quand même le finir dès que possible, mais je dois encore le peaufiner. »

« Bon ! Je vais aller te chercher ce minerai d’argent dans la journée. »

« Merci, je compte sur toi. »

Les sens de Mizuki guident de nouveau mes perceptions alors qu’elle siffle doucement.

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