06. Le retour du lieutenant prodige

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Mathias


— Franchement, elle abuse, marmonné-je en m’asseyant sur ma valise.

Julia est à la bourre. Etonnant ? Un peu… Quoique, c’est peut-être une façon de me punir d’avoir mis tant de temps à lui répondre. En plus, mes appels restent sans réponse, ce qui fait sourire Florent, un peu moins Jérémy et Sébastien, qui s’impatientent déjà. Si j’ai embauché ces deux-là, ce n’est assurément pas pour leur bonne humeur et leur caractère facile. Oh non, ils en sont loin. Mais ce sont deux vieux fidèles amis qui nous ont déjà sauvé les miches, à Julia et moi. On peut dire que l’armée française débarque en force, et ça me fait sourire.

Oui, je souris alors que je n’avais aucune envie de revenir ici. Parce que mon petit cœur blessé commence déjà à panser ses blessures à l’idée de retrouver les Zrinkak, de prendre sa dose de câlins de ces gamines adorables, de picoler jusqu’à sombrer avec une vieille amie, de charrier et me chamailler avec Arthur… Ouais, je crois que c’est sans doute un mal pour un bien. Je vais éviter de repenser au camp, à cette petite brune qui a fait battre mon cœur plus fort pendant des mois, qui m’a fait tourner la tête avant de me la mettre à l’envers.

— Regarde, je crois que c’est elle !

Ça ne peut être qu’elle, oui. Il n’y a qu’elle pour ressembler à quelque chose dans un pantalon de treillis et des boots, même avec un vieux tee-shirt trop grand qu’elle a dû piquer à Arthur. Je me relève donc et croise les bras sur mon torse en prenant un air blasé, mais elle me saute littéralement au cou et je peine à garder mon sérieux.

— T’es en retard, Lieutenant Sexy, grommelé-je en la serrant contre moi.

— Oh, tu abuses, Lieutenant Canon ! J’ai à peine dix minutes de retard ! Vous avez eu un traitement prioritaire pour les bagages, non ? Et je vois que tu as ramené tous les beaux gosses, ajoute-t-elle en leur adressant un sourire charmeur. Contente de vous revoir ! Ça faisait trop longtemps !

Je l’observe saluer tout le monde avec chaleur et constate que mon amie semble toute excitée de nous voir ici. Soulagée ? Ou juste heureuse de nous voir ?

— Dix minutes, pour une ancienne militaire, j’aurais honte à ta place, la taquiné-je. Dire que tu me cassais les pieds quand j’avais une minute de retard aux briefings !

— Eh bien, premièrement, je ne suis plus militaire et deuxièmement, les filles voulaient venir avec moi. Tu ne sais pas ce que c’est de négocier avec elles, toi !

— Et tu as osé leur dire non ? Pourquoi elles ne sont pas là ? m’étonné-je, plus déçu que je ne l’imaginais à ces paroles.

— Elles sont parties avec Arthur et vous attendent tous à votre hôtel. C’est ça, la négociation… On y va, sinon elles aussi vont me reprocher d’être en retard !

Elle nous tourne déjà le dos en nous faisant signe de la suivre, et nous embarquons rapidement dans un gros SUV aux vitres teintées. Enfin, moi je monte rapidement, mais Flo galère à virer le siège auto pour pouvoir s’installer, et Jérémy sort de sous ses fesses une peluche à la propreté douteuse.

— Voiture de fonction et voiture de Maman ? ris-je alors qu’une comptine résonne dans l’habitacle. Putain, où est passée ma Lieutenant ?

— T’inquiète pas, je suis une femme, je sais faire deux choses en même temps, moi ! s’amuse-t-elle à me répondre.

— Jure-moi de ne pas utiliser un mouche-bébé en préparant la bouffe quand tu m’inviteras à dîner, grimacé-je alors qu’elle démarre.

— Parce qu’en plus je dois t’inviter à dîner ? Mais ce n’est pas prévu, ça ! Enfin, ne t’inquiète pas, souvent, c’est Tutur qui fait le cuistot. Je lui dirais juste de mettre autre chose que simplement son tablier sexy !

— Pitié, épargne mes yeux, oui, je l’ai déjà suffisamment vu à poil comme ça ! Ça… Ça fait plaisir de te voir, Ju, bafouillé-je en pressant sa cuisse de ma main.

— Et moi, si tu savais comme je suis heureuse de vous voir tous les quatre ! Même si j’ai l’impression que tes camarades sont encore en train de dormir. J’espère que vous serez plus dynamiques quand la mission aura commencé ! se moque-t-elle.

— On attend le briefing avec impatience, parce que le secret défense, c’est bien mignon, mais on aimerait bien savoir dans quoi on a mis les pieds, rétorque Florent derrière moi.

— Oui, et puis, on le sait bien que c’est Snow que tu préfères. Nous, on fait toujours comme à l’armée, s’exprime enfin Jérémy, on laisse parler les chefs et on fait le taf derrière.

Je ricane en échangeant un regard complice avec Julia, et c’est dans une ambiance plutôt bon enfant que nous gagnons l’hôtel. J’avoue que je prends une claque en traversant les rues. On est bien loin des ruelles bombardées que nous avons foulées, des personnes terrifiées que nous avons croisées, de l’ambiance morbide et déprimante d’une période à la fois très lointaine et pourtant encore bien présente dans ma tête.

Est-ce que je suis un grand fragile ? Quand je croise le regard de la petite Lila qui n’est plus si petite que ça, clairement. Putain, je me prends un coup de vieux presque aussi brutal qu’en voyant Arthur et ses tempes et sa barbe de bûcheron qui grisonnent. La petite fille a pris deux ans depuis la dernière fois que je l’ai vue, j’ai l’impression qu’il s’en est écoulé au moins le double. C’est fou, mais c’est avec un plaisir sans nom que je la serre contre moi alors qu’approche plus timidement Sophia, qui ne marchait et ne parlait même pas quand ils sont venus à Paris. Tonton Snow vient de vieillir brutalement, là.

— Les visios ne rendent pas bien la réalité, ris-je en attrapant Sophia qui me colle un baiser baveux sur la joue. Tu m’expliques comment tu survis avec toutes ces jolies filles à surveiller, Zrinkak ?

— Ce sont elles qui me donnent le plein d’énergie, sourit-il. Et le plein de cheveux gris, aussi. Ça fait plaisir de te voir, Snow. Franchement, ça faisait trop longtemps que tu n’avais pas mis les pieds ici !

Il me gratifie d’une accolade virile mais pas moins amicale, et mon regard alterne entre ces quatre personnes qui forment un bout de ma famille. Pas celle qu’on nous impose, non, celle qu’on choisit. Je me rends compte qu’être réfractaire à revenir ici m’a fait perdre du temps avec eux, que j’ai manqué beaucoup trop de choses, surtout qu’avec Julia, on ne se lâchait jamais, avant. Tout ça à cause d’une nana, bravo, Snow…

— Je suis sûr que ça fait kiffer Julia, tous ces cheveux blancs qui pointent. J’avais bien repéré qu’elle fantasmait sur les vieux ! Y a qu’à voir le Capitaine Tor…

— Boucle-la, Mat, grince l’intéressée en me collant un coup de poing dans l’épaule.

— Oh, ça va, t’as toujours aussi peu d’humour, détends-toi, tire un coup et ça ira mieux ! me moqué-je.

— Tonton Mat, intervient Lila en tirant sur ma manche. Tu nous as ramené quoi de France ? Papa a dit que tu aurais forcément des petits cadeaux pour nous ! Je veux les voir !

Je fusille Arthur du regard, mais remercie intérieurement Florent de m’avoir fait penser à ça. Je n’y avais absolument pas réfléchi, et lui a débarqué au bureau hier après la pause déjeuner avec un sac de cadeaux pour les petites. Je sors donc, tout fier, mes petits paquets pour les princesses Zrinkak, même si, vu le petit treillis que porte Sophia, je doute qu’elle apprécierait que je l’appelle comme ça.

— Jolie famille, soufflé-je à Julia alors que les filles sont installées sur le lit et qu’Arthur aide la petite à ouvrir ses cadeaux. Tu as l’air heureuse, Ju, ça me fait plaisir.

— Je le suis, même si ce n’est pas facile tous les jours. Tu imagines vivre avec une belle-mère comme la mienne ? Je cumule les difficultés de l’avoir aussi comme boss alors qu’elle est folle. Totalement folle…

— Tu dis quoi sur ma mère ? intervient Arthur en souriant.

— Elle dit que Mamie est folle ! chantonne Lila en déballant un joli carnet de notes avec des colombes de la paix dessinées sur la couverture.

— Je peine à te plaindre, désolé, Ju, parce que tout ce que je vois, c’est un pauvre Bûcheron esseulé au milieu de beaucoup trop de nanas, ris-je en l’enlaçant. Tu m’as manqué, Lieutenant Sexy.

— Ce n’est pas parce que tu me plains que tu as le droit de peloter ma femme, Snow !

— Je crois qu’il est aussi fou que sa mère, murmure Julia à mon oreille avant de sourire à son mari. Je peux me faire peloter par qui je veux, et de toute façon, Snow, ça ne compte pas, lui et moi, on s’est trop manqué pour que tu puisses dire quoi que ce soit !

— Je jure sur l’honneur que mes intentions sont bonnes, rétorqué-je en levant la main droite. Par contre, je ne promets rien quand je serai bourré !

Arthur lève les yeux au ciel, le sourire aux lèvres, et moi je me sens vraiment bien pour la première fois depuis… trop longtemps pour que je puisse compter les jours. C’est un peu un retour à la maison que je viens d’effectuer. Il faut juste que j’évite à mon petit cœur de repenser à ce que j’ai trouvé ici, avant de le perdre à Paris.

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